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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 27 juillet 2025

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Droit de pétition, Robespierre : mémoire et hommage

Ce lundi 28 juillet est le jour de la 231° année de la mort de Robespierre. C'est l'occasion de lui rendre hommage pour le combat qu'il a mené à l'Assemblée constituante en 1791, en faveur du droit de pétition. Sa mise en oeuvre pour l'abrogation de la loi Duplomb est aussi un travail de mémoire.

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La pétition qui pourrait atteindre les 2 millions de signataires, a révélé un certain affolement parmi les « ravis » de cette loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Fut-ce au prix d’une « aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire » comme le dénonce la pétition.

Un petit bêtisier a accompagné ce vent d’inquiétude : de « simples avis personnels » (la ministre Aurore Bergé), une « instrumentalisation massive… » (le vice-président des Républicains François Xavier Bellamy), « …par les écologistes voulant mettre la pression au Conseil Constitutionnel » (le très informé Duplomb lui-même). Lesquels écologistes ont fait l’objet d’attaques de leurs permanences ou locaux par les « Chemises vertes » (1) de la Coordination rurale (celle d’Occitanie justifiant son action à Toulouse au motif que « la rentabilité, c’est le nerf de la guerre », encouragée par la loi Duplomb).

On sent poindre des regrets sur l’organisation du droit de pétition telle que définie au Conseil économique, social et environnemental en 2010, puis au Sénat en janvier et à l’Assemblée nationale en octobre 2020.

Ce fut là une extension limitée de la reconnaissance du droit de pétition tel qu’inscrit à l’article 72-1 de la Constitution. Soit un droit plus étendu pour les électeurs des seules Collectivités territoriales puisqu’il prévoit la possibilité pour celles-ci de soumettre à référendum des « projets de délibération ou d’acte relevant de (sa) compétence ». Ce qui n’est pas le cas on le sait, dans le système défini par les assemblées parlementaires (2).

Une fois encore la verticale et présidentialiste V° République s’avère incapable d’ouvrir son système délibératif à la société, comme c’est le cas dans plusieurs pays étrangers.

L’embarras dans lequel sont plongés les « cercles du pouvoir » (Présidence de la République incluse) en ce moment, est l’occasion de revenir aux origines de ce droit de pétition.

Il fit l’objet d’une législation par la première assemblée de la Révolution, la Constituante (juin 1789- septembre 1791). Les débats qui la fixèrent eurent lieu les 9 et 10 mai 1791, juste avant la fuite du roi.

C’est le député breton Le Chapelier qui rapporte devant l’Assemblée, au nom du Comité de constitution. Il soutient que le droit de pétition est un droit individuel réservé aux citoyens actifs (ceux qui paient un impôt équivalent de trois à dix journées de travail).

Robespierre combat cette restriction censitaire.

D’abord au motif que c’est un droit naturel imprescriptible : « Vous avez pensé accorder aux Français un droit nouveau, vous vous êtes trompés (…) Les Français jouissaient de ce droit avant que vous fussiez assemblés ; aucune loi ne l’avait limité et le décret que vous rendriez pour mettre des bornes à ce droit, serait la seule chose nouvelle que vous eussiez faite à cet égard. (…) Comment peut-on faire une distinction entre citoyens actifs et citoyens non-actifs ? (…) L’assemblée, à titre de législateur et de représentant de la nation, est incompétente pour ôter aux citoyens ce droit de l’homme et du citoyen. »

Ensuite, Robespierre dénonce la logique de la proposition qui conduira à entraver tout exercice collectif du droit de pétition, susceptible de créer des « désordres et les plus grands maux ». En décrétant que ce droit n’est qu’individuel, on le dénature : « ce n’est pas un droit politique, mais le droit de l’homme. (…) La pétition n’est donc point l’exercice d’un droit politique, c’est l’acte de tout homme qui a des besoins. (…) Si quelque chose peut causer de désordres, c’est d’ôter aux citoyens la faculté de pourvoir, d’une manière paisible et constitutionnelle à ce que peut exiger l’intérêt du public ; car si les moyens faciles ne leur sont point offerts, alors les abus de l’administration croissant toujours d’une part, de l’autre les citoyens trouvant des obstacles dans la disposition même des administrateurs, leur indignation croîtra aussi. »

Enfin Robespierre refuse logiquement que « le droit d’affiche ne (puisse) être exercé que par l’autorité publique ». C’est une restriction des libertés publiques telles que sont en train de les produire les clubs, la presse, les sans culottes, en grand nombre et dans l’effervescence.

Cette restriction se retrouvera dans la « Loi Le Chapelier » du 14 juin 1791, restée fameuse pour avoir, au nom de la lutte contre les corporations de l’Ancien régime, interdit aux ouvriers toute coalition et toute grève. Et le droit de pétition.

C’est à cette histoire et à ce combat que renvoi l’actuelle pétition contre la loi Duplomb. Honneur soit rendu, le jour anniversaire de sa mort, à l’Incorruptible, Maximilien Robespierre qui ouvrit tant de voies à la modernité démocratique.

*

(1) référence au mouvement crée et conduit par Henri Dorgères, admirateur de Mussolini dans les années Trente. Né en 1929 dans l’opposition à la reconnaissance des assurances sociales aux ouvriers agricoles, ses troupes s’en prenaient aux instituteurs ou aux piquets de grève durant le Front populaire.

(2) Existe depuis 2008 (en application depuis 2015) le Référendum d’initiative partagée (article 11) en réalité d’initiative parlementaire. Il exige de telles conditions (prés de 5 millions de signatures entre autres) qu’il s’est avéré impraticable jusqu’à ce jour.

Sources : Maximilien Robespierre. Discours. Tome VII. Pp. 334-345. Société des études robespierristes. 2011

Lire : Jean-Clément Martin. Robespierre. Perrin, Tempus. Poche. 2018.

Pour aller plus loin : Jean-Clément Martin. La fabrication d’un monstre, Robespierre. Perrin, 2016.

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