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Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 27 août 2016

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Un rappel à l’ordre républicain par le droit contre la confusion politique

Par sa décision du 26 août le Conseil d’Etat ne fait que rappeler le droit de la République, spécialement pour ce qui concerne l’application de la loi du 9 décembre 1905, fondement de la laïcité dans notre pays. Elle le fait dans un contexte de confusion politique problématique.

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Ce rappel à l’ordre d’une bonne partie des responsables politiques, à commencer par le Premier ministre lui-même, en dit long sur leur égarement vis-à-vis de « Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » tels que fixés par le Conseil Constitutionnel lui-même.

Le Conseil d’Etat a une position constante et séculaire sur l’interprétation de la laïcité. Il la fonde sur le propos d’Aristide Briand, ministre des cultes lors du vote de la séparation de l’Eglise et de l’Etat: « Toutes les fois que l’intérêt public ne pourra être légitimement invoqué dans le silence des textes ou le doute sur leur exacte application, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur ». La jurisprudence du Conseil d’Etat s’est toujours nourrie à cette source en considérant que la loi de 1905 ne définissait pas la laïcité, énoncée pourtant comme un principe mais entendu comme évolutif.  S’appliquant primitivement et principalement au culte catholique il s’est étendu au protestant et au juif comme il le fait désormais au musulman. C’est pourquoi la droit de la laïcité est principalement jurisprudentiel. La loi n’est pas adaptée pour prévoir les conflits d’interprétation et d’application du principe cas par cas. Le contentieux par contre permet d’établir une juste proportion entre les principes (de liberté, fixés par les textes constitutionnels et les conventions internationales) et leur respect par les collectivités publiques comme par les religions. Le Conseil d’Etat a ainsi développé sa jurisprudence toujours libérale et pragmatique mais en dégageant lui-même un « principe constitutionnel de liberté d’expression religieuse » (CE 27 juin 2008). C’est ainsi que dans un avis rendu le 27 novembre 1989 au début de l’affaire dite du foulard, il avait rappelé précocement comment s’entendait la neutralité du service public de l’enseignement, respectueuse de la liberté de conscience des élèves et donc « de leur droit d’exprimer et de manifester ses croyances religieuse à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité (à certaines de ces activités, sportives par exemple)». Les décisions rendues sur l’application de la loi 17 mars 2004 sur le port des signes religieux à l’école sont restées pour la plupart dans ce cadre.

La dérisoire et terrible à la fois, polémique suscitée par les arrêtés municipaux interdisant le port du burkini sur les plages a été tranchée en droit dans le strict respect de cette tradition jurisprudentielle. Le fait que des maires de droite s’obstinent à ne pas vouloir en tenir compte en dit long sur leur radicalisation (qui fait le bonheur des fanatiques islamiques). Mais celle-ci est alimentée par la dérive déjà ancienne d’un Nicolas Sarkozy sur ces sujets, lequel veut s'en prendre aujourd'hui à l'Etat de droit. Elle n’est donc pas une totale surprise.

Ce qui est stupéfiant c’est la réaction de Manuel Valls qui semble oublier qu’il est Premier ministre. Son billet sur Facebook dés ce 26 août minimise la décision du Conseil d’Etat qui « n’épuise pas le débat qui  s’est ouvert dans notre société sur la question du burkini ». Gageons qu’il va donc une nouvelle fois se montrer attentif aux propositions de la droite pour légiférer sur le sujet. Une nouvelle fois, il faudra faire confiance aux hautes juridictions (bientôt le Conseil constitutionnel en l’occurrence) pour arrêter cette déraison politique et culturelle. Le gouvernement (et sur ce sujet, le mutique président de la République pourtant si bavard avec la presse pour raconter sa vie à l'Elysée) n’en sont même plus les garants.  Que le droit soit devenu nécessaire pour leur rappeler ce que sont les principes républicains en dit long sur leur déchéance idéologique et politique. Leur confusion devrait les disqualifier à gauche pour longtemps.

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