Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

332 Billets

2 Éditions

Billet de blog 29 août 2025

Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

La crise de régime continue

La Convention pour la 6° République vient d'adopter un texte analysant les causes de la crise ouverte par le Premier ministre. Il ne s'agit pas d'une crise gouvernementale de plus, mais bien d'une crise de régime qui se prolonge. Il existe des voies pour en sortir.

Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La décision du Premier ministre François Bayrou d’engager sa responsabilité devant l’Assemblée Nationale, est le rappel d’une crise de régime dans laquelle la France est plongée depuis plus d’un an.

A l’issue des élections législatives du 7 juillet 2024, ce que la Constitution de 1958 contient de parlementaire aurait dû conduire le président de la République à choisir une ou un chef du gouvernement issu de la formation arrivée en tête, à savoir le Nouveau Front Populaire (26,68% des suffrages exprimés). Il a préféré confier la fonction à un représentant des Républicains (7,41% des suffrages exprimés), puis à la figure de « l’extrême-centre » que l’on sait (au score indéchiffrable). Il en est logiquement résulté l’incapacité pour les deux Premiers ministres successifs de trouver une majorité parlementaire quelconque.

C’est là le rappel que la Constitution interdit tout espoir d’une telle construction primo-ministérielle : en faisant du choix du Premier ministre, une prérogative exclusive du chef de l’Etat (étendue par la pratique à la révocation de celui-là), l’article 8 de la Constitution empêche que l’Assemblée fasse elle-même ce choix à la suite de coalitions ou de compromis sur un programme de gouvernement. C’est donc bien une interdiction qui est dans la loi fondamentale et qui réduit à néant tout espoir de « culture du compromis ». Beaucoup d’ « experts » ont néanmoins reproché aux formations politiques d’en être dépourvue et d'être la cause de l'impasse. Or c’est là, dans la lettre de la Constitution qu’est le mal et que s’enracine la crise que nous connaissons.

C’est donc bien une crise de régime.

François Bayrou n’a pas réussi à trouver une quelconque majorité parlementaire, en particulier sur les questions budgétaires dès lors qu’il se contentait de reproduire à l’identique la « politique de l’offre » d’Emmanuel Macron, appliquée depuis sept ans, largement responsable du déficit pourtant présenté comme une catastrophe. Il a agi jusqu'à ces derniers jours, comme s'il n'était responsable que devant le président de la République, découvrant tout à coup qu'il l'était aussi devant l'Assemblée nationale.

Mais il n’a pas réussi non plus à procéder à des réformes qui étaient à sa portée, comme celle du mode de scrutin législatif : alors qu’il avait fait de l’application d’une proportionnelle une conviction quasi-doctrinale, alors que des soutiens à celle-ci pouvaient se trouver jusque dans les diverses oppositions, il est resté inerte. Bien qu’une telle réforme n’appelle aucune révision constitutionnelle, il a ainsi conforté l’idée que la V° République était irréformable.

Ainsi la France apparaît comme un système politique archaïque et dérogatoire en Europe: tous ses voisins comparables (l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie) pratiquent avec succès la représentation proportionnelle et connaissent la stabilité gouvernementale. Tous (et plus encore, de la Belgique à la Slovénie en passant par la Pologne) connaissent la « motion de défiance constructive » qui n’est rien d’autre qu’une motion de censure qui obligent les partis qui la votent à prévoir un chef du gouvernement de remplacement. La France elle, ne connaît que la confiscation de la censure par le gouvernement (art.49-3) ou la dissolution à la discrétion du chef de l’Etat (art. 12 de la Constitution).

Une nouvelle fois est faite la démonstration de l’inadéquation de ce régime avec la société, ses attentes et ses capacités. Et c’est bien une crise du régime qui se prolonge. Ceux qui en doutent, invoquent le statut et les pouvoirs d’un chef de l’Etat irresponsable, dernier recours et clef de voute d’une conservation des institutions à l’identique. Ils ne veulent pas voir que c’est au prix d’un présidentialisme mortifère qui fait le lit de l’extrême-droite, d’ores et déjà soutien affiché à cette République.

D’autres voies existent, depuis la révision sans tarder des articles 8 et 12, jusqu’au chantier d’une nouvelle Constitution avec et après l’élection présidentielle, en passant par l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel personnalisé.

Seules ces voies peuvent mobiliser les démocrates. Ils sont la majorité de ce pays.

Le Conseil d'Administration de la C6R, le 28 août 2025

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.