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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 1 août 2008

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Retour sur la portée de la révision constitutionnelle

Jean-Michel Helvig a publié ici sur son blog le 28 juin un papier ("Le monôme des socialistes") qui me semble exprimer parfaitement l'esprit dominant de l'époque concernant la V° République: soit un régime qui a su démontrer sa souplesse et sa plasticité (voir les cohabitations) et qui a fondé sa légitimité sur la centralité du pouvoir présidentiel; pouvoir qu'il est vain de remettre en cause vu sa ratification populaire; tout aménagement de ce pouvoir est donc bon à prendre.

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Jean-Michel Helvig a publié ici sur son blog le 28 juin un papier ("Le monôme des socialistes") qui me semble exprimer parfaitement l'esprit dominant de l'époque concernant la V° République: soit un régime qui a su démontrer sa souplesse et sa plasticité (voir les cohabitations) et qui a fondé sa légitimité sur la centralité du pouvoir présidentiel; pouvoir qu'il est vain de remettre en cause vu sa ratification populaire; tout aménagement de ce pouvoir est donc bon à prendre.

Dans les circonstances de la récente révision, les socialistes et plus généralement ceux qui y ont vu une aggravation des tares du dit régime se seraient gravement trompés. Le Président dit (dans Le Monde du 17 juillet) que le plus important c'est "le renforcement des droits du Parlement". "Comment nier le progrès ou plutôt, pourquoi le faire ?" avait déjà noté Alain Duhamel (dans Libération du 29 mai) si ce n'est par "calcul politicien, pour ne pas créditer Nicolas Sarkozy d'un succès". Et voilà comment une critique politique et théorique de la réforme et de sa portée est dépouillée de la plus élémentaire de ses vertus : nourrir le débat public ; construire une opinion. Tout s'entend donc comme s'il n'y avait pas ou plus de logique dans ce système mais des ajustements incrémentalistes qu'on ne saurait refuser. Or il y a bien une "nature cachée" des institutions qu'aucun usage pragmatique ne pourra dissoudre. N'est-ce pas ce dont nous avertissait en 1986 cette anthropologue américaine, Mary Douglas dans son ouvrage "Comment pensent les institutions" (Edition La Découverte-Mauss, 1999) ? : à la différence des « primitifs »,nos sociétés dites développées, imaginent l’individu comme le seul et le vrai souverain, celui qui décide jusqu’à la vie ou la mort sans se soumettre à des croyances produites par les institutions. Le lien social n’est produit que par l’interaction de préférences individuelles, celles d’individus essentiellement rationnels ; ils ne sont en tout cas pas entravés par des institutions opaques, magiques, incompréhensibles qui régissent elles, la vie des « primitifs ». Les modernes ayant crée leurs institutions, les représentations du monde dépendent de leurs connaissances, idées et ressources d’où naissent des institutions réduites au rôle de fonction seconde de l’ordre social.

Mary Douglas renversait cette perspective en renouant avec une tradition, celle de Durkheim qui prétendaient traiter les institutions comme des individus : « comme les pré-modernes dit-elle, nous sommes tributaires, pour penser et opérer des choix, des institutions qui pour l’essentiel accomplissent le travail de penser et de choisir à notre place » . Elle rejoignait ainsi Michel Foucault et son travail sur le dressage des pensées et des corps d’où il ressort que les institutions peuvent être atteintes de « mégalomanie pathétique » quand elles parviennent à programmer ensemble la mémoire, les émotions , l’information, la solution des problèmes et jusqu’à la justice dont elles se prévalent. Voilà pourquoi, cher Jean-Michel Helvig il y a un rapport caché mais puissant entre la question institutionnelle et la question sociale.

Si l’on veut bien admettre cela, on conviendra qu’il importe de connaître les logiques institutionnelles. On a ici même et en temps réel, assez décortiqué le texte des 47 articles de la révision et dit le bien qu’il fallait penser des trois (42, 43, 46) concernant le travail législatif pour ne pas être concerné par les accusations de « sarkophobie » . Fallait-il pour autant s’en tenir aux effets de langage des autres dispositions (sur le partage de l’ordre du jour, le contrôle des nominations présidentielles, le référendum d’initiative populaire et tant d’autres), ne pas dévoiler leur caractère illusoire, aléatoire ou carrément trompeur ? Ne pas le faire eut été s’en tenir aux mots et à l’apparence des institutions. La V° République souffre d’une série d’archaïsmes qui ruinent tous les jours un peu plus la représentation politique de la société et la vie démocratique du pays : un Sénat injustifiable, un absentéisme parlementaire dû au cumul des mandats, une séparation des pouvoirs atrophiée, une prise en compte des territoires violemment inégalitaire, une ignorance de pans entiers de la population. Mais tout ceci ne peut-il pas attendre ? Est-ce d’ailleurs vraiment du domaine de la Constitution ? Le problème est que ces questions jamais posées (par la gauche non plus bien sûr) sont verrouillées parla logique du système : une présidence sur-puissante qui envahit tous les pouvoirs et les partis; un parlement tellement rationalisé que seule la majorité y dispose de droits à l’exercice improbable vu sa double nature de majorité présidentielle (le Président irresponsable conserve le droit de la dissolution sans que cela ait fait débat). Tant qu’il n’y aura pas de rééquilibrage entre ces deux sources de légitimité, le système restera ce qu’il est : présidentialiste et bonapartiste. Ce qu’il faut voir dans la révision c’est bien une concentration nouvelle de la puissance présidentielle dont la première victime est le Premier ministre suivi de prés par le gouvernement ; cela, même les constitutionnalistes les plus optimistes l’ont admis. Et c’est l’essentiel dès lors qu’on n’a pas voulu trancher la dyarchie de l’exécutif et l’inféodation de la majorité parlementaire à la Présidence. C’est donc bien sur le terrain des droits de l’opposition qu’aurait pu se jouer une première partie de l’indispensable rééquilibrage ; ce qui nous aurait mis au diapason des autres démocraties européennes. On sait comment Sarkozy n’en a pas voulu, au grand dam de Balladur lui-même.

Reste un dernier argument sous la plume d’Helvig : une vraie réforme, qui plus est l’avènement d’une VI° République, serait impensable. Il paraît que j’aurai appelé , sans doute dans un dernier geste de désespoir, à une Constituante en évoquant « l’oubli du peuple souverain ». En réalité je n’ai fait que rappeler la procédure très précisément imaginée par l’entourage de la candidate socialiste il y a un an, dans le strict respect des textes en vigueur. Le référendum de l’article 11 n’est tout de même pas une Constituante. Point n’est besoin de guerre civile ou aux frontières pour penser le changement. Il suffit d’une ferme volonté politique et donc d’une conviction nourrie par une philosophie des institutions. Ceci peut donner un vraie stratégie ouverte sur la société. Toutes choses dont a manqué la gauche française depuis plus d’un quart de siècle.

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