Le 4 janvier 2016, à l’issue du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement annonce que le champ d’application de la déchéance de nationalité est ouvert au débat. Le 6 janvier 2016, contredisant le porte-parole du gouvernement, le Premier ministre (qui pourtant avait nécessairement participé au Conseil des ministres tenu l’avant-veille) fait savoir qu’il n’acceptera pas une extension de la déchéance de nationalité à tous les français « terroristes » et donc que seuls les bi-nationaux nés français sont concernés par le projet de loi constitutionnelle soumis au Parlement.
C’est donc bien une révision constitutionnelle dépourvue de toute effectivité pratique qui est soumise à l’examen du Parlement depuis le 23 décembre 2015 ; n’étant apparemment plus à un paradoxe près, la Garde des Sceaux l’a elle-même admis le 7 janvier 2016, et a souligné que tel est également l’avis… du Premier ministre (« Je ne fais pas mystère du fait que oui, je pense que la déchéance de nationalité n’est pas souhaitable pour des Français binationaux parce que l’efficacité, et le premier ministre en a convenu, est absolument dérisoire »).
Certes, il y a déjà dans la Constitution des dispositions « de fond » introduites récemment qui demeurent inappliquées, malgré les déclarations d’intention des décideurs publics qui en sont à l’origine : tel est le cas par exemple pour le référendum rendu obligatoire par une révision de 2005 si un nouvel Etat souhaite rejoindre l’Union européenne (article 88-5 de la Constitution) ; tel est le cas pour le « référendum d’initiative parlementaire » introduit par une révision en 2008 (article 11 al. 3 de la Constitution). Depuis l’origine, la Constitution de 1958 comporte un article 36, relatif à l’état de siège, qui n’a heureusement jamais été mis en œuvre et qu’il serait bienvenu d’abroger ; l’article 68 sur la destitution du président de la République par la Haute cour est pour l’instant également « symbolique ».
Ce qui est inédit dans l’actuelle révision constitutionnelle, c’est la reconnaissance initiale par l’exécutif auteur du projet que cette révision est inapte à atteindre l’objectif recherché, qu’elle ne fera pas avancer la lutte contre le terrorisme et donc en réalité qu’elle est de nature purement communicationnelle (« l'efficacité - et tout le monde l'aura compris depuis cette annonce - n'est pas l'enjeu premier. C'est une mesure à caractère hautement symbolique », a dit le Premier ministre). La révision constitutionnelle ou l’impuissance publique comme programme politique. L’entrée par la grande porte dans la division des français espérée par les terroristes, au prétexte de combattre ces mêmes terroristes.
Pourquoi ne pas aller plus loin encore dans le grotesque ? Les parlementaires semblent y prendre plaisir, puisque l’on est informé que les députés s’interrogent gravement sur l’opportunité d’ajouter l’indignité nationale à la déchéance de nationalité dans la révision constitutionnelle en cours.
D’autres mesures « hautement symboliques » et tout aussi ineffectives peuvent être proposées à un constituant qui a apparemment du temps à perdre, mesures en lien ou non avec le terrorisme qui, selon un sondage de l’Institut « JE-COUTE-UN-FRIC-FOU-AUX-FINANCES-PUBLIQUES » réalisé à la demande de l’association « JE-SUIS-SUBVENTIONNEE-PAR-DES-FONDS-PUBLICS », sont plébiscitées par 90% des dix personnes interrogées (enquête réalisée selon la méthode dite du « doigt mouillé » le 15 janvier 2016 ; attention : marge d’erreur de 2%) :
- « Toute personne, même française de naissance, qui a commis un crime ou d’un délit portant gravement atteinte aux intérêts de la Nation, est privée de dessert sur le territoire métropolitain (y compris en Corse, pour reprendre cette curieuse précision figurant dans les décrets du 14 novembre 2015 déclarant l’état d’urgence, comme si la Corse n’était pas en métropole…) » ;
- « Lorsque le président de la République le fera savoir, le pacte de sécurité l’emportera sur le pacte de stabilité » ;
- « Par décret pris en Conseil des ministres, la courbe du chômage peut être déclarée en baisse continue sur l’ensemble du territoire de la République, jusqu’à la fin de la législature. Au-delà de cette période, l’état d’urgence contre le chômage ne peut être prorogé que par une loi, qui en fixe la durée définitive » ;
- « Conformément aux engagements pris lors de la COP 21, il est fait interdiction aux températures, sur tout le territoire de la République, d’augmenter de plus de 1,5° d’ici à 2100 par rapport aux températures moyennes de 2015 (non-comprises toutefois celles du mois de décembre, où il a fait anormalement chaud) » ;
- « Il y a, sur tout le territoire de la République, quatre saisons. Leurs dénominations et leurs durées sont fixées par une loi organique » ;
- « L’année civile comporte, sur tout le territoire de la République, 365 ou 366 jours. Les modalités d’application de cet article, en particulier le nombre des heures, des minutes et des secondes composant chacun des jours de l’année civile, sont fixées par une loi organique » ;
- « Le peuple français mène une guerre totale et permanente contre le terrorisme sur le territoire de la République et en dehors de celui-ci si les circonstances l’exigent, y compris sans mandat de l’ONU » ;
- « Le président de la République peut, sans formalité préalable, librement déclarer la France en guerre, y compris contre des ressortissants français se trouvant sur le territoire français ou en Europe ; pendant cette période de guerre, le ministre de la Défense ne peut exercer ses fonctions que si, parallèlement à celles-ci, il préside une Région » ;
- « Lors de leur nomination, les membres du gouvernement signent une Charte de déontologie, qui prévoit notamment en son point 4 qu’ils ‘consacrent tout leur temps à l’exercice de leurs fonctions ministérielles ; ils doivent, de ce fait, renoncer aux mandats exécutifs locaux qu’ils peuvent détenir’ ; le président de la République ne tient aucun compte de cette Charte, qui est dépourvue de toute valeur juridique ou même symbolique » ;
- « Pendant la mise en œuvre de l’état d’urgence prévue à l’article 36-1 de la présente Constitution, le ministre de l’Intérieur peut faire délivrer une lettre de cachet contre toute personne dont un comportement, un projet, un propos, une relation ou même une pensée, passé ou futur, a été ou serait susceptible de créer un trouble à l’ordre ou à la sécurité publics. Cette lettre de cachet est prise sous la forme d’un arrêté et est dénommée ‘assignation administrative’ »…
Plutôt que de faire mauvaise diversion avec la déchéance de nationalité et l’inutile constitutionnalisation d’un état d’urgence qui n’a pas besoin de cela pour fonctionner à plein régime, quand les pouvoirs publics se décideront-ils non pas à prendre mais seulement à commencer à réfléchir à des mesures sociétales, de fond et de long terme (autres que de type policier, comme le préfigure l’avant-projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée), de nature à prévenir le considérable défi posé par le terrorisme « djihadiste » ?