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Billet de blog 29 juillet 2017

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Palinodies politiciennes autour de la réserve parlementaire

Le 28 juillet 2017, l’Assemblée nationale a supprimé la réserve parlementaire, après que le gouvernement et la majorité parlementaire ont tenté d’en conférer un monopole d’attribution… au gouvernement.

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Au point de départ, il y a la volonté affichée par l’exécutif, dès la présentation des projets « de moralisation de la vie publique » le 1er juin 2017, de supprimer la réserve parlementaire, cette pratique par laquelle chaque parlementaire se voit attribuer une enveloppe – 130 000 euros, beaucoup plus pour les « huiles » des deux chambres – qu’ils peuvent faire distribuer en tout ou partie via le ministère de l’Intérieur à qui bon leur semble, y compris à des personnes ou institutions se trouvant en dehors de leur circonscription (comme par exemple des associations nationales étudiantes ou des personnes publiques – Conseil d’Etat, Conseil constitutionnel, Cour des comptes…).

Cette suppression de la réserve parlementaire est traditionnellement présentée par la presse comme une « mesure phare » des lois de moralisation de la vie publique.

A la fin, il y a la suppression effective de la réserve parlementaire, telle qu’elle a été votée lors de la deuxième séance du 28 juillet 2017 à l’Assemblée nationale, à l’article 9 du projet de loi organique relatif pour la confiance dans la vie publique, dont le I dispose : « Il est mis fin à la pratique de la réserve parlementaire (…) ».

Mais entretemps…

Entretemps, il y a cette très longue discussion à l’Assemblée nationale commencée à 15h et qui durera près de 5 heures. Avant l’examen des amendements relatifs à la rédaction de l’article 9, plus d’une soixantaine d’orateurs se sont succédés qui pour souhaiter le maintien de cette pratique, qui pour proposer sa suppression pure et simple, qui pour suggérer des modifications dans sa mise en œuvre : c’est le jeu normal et bienvenu de la démocratie (v. cet article du Monde pour un résumé des débats).

Puis, tout à coup, en fin de discussion, vient le dernier amendement, présenté sous le n° 354 par la députée Paula Forteza et les membres du groupe La République en Marche (LREM).

En début de séance, Mme Forteza soutenait ceci : « D’après le dictionnaire Larousse, la « réserve » est une « quantité mise de côté en vue d’un usage ultérieur au moment nécessaire ». Cela signifie que les parlementaires peuvent mettre de côté de l’argent public, c’est-à-dire de l’argent qui a été prélevé pour servir l’intérêt général, pour l’utiliser au moment nécessaire. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.) (…) Comment imaginer que l’on puisse encore réserver de l’argent public sans contrôle ? (…) Je souhaite m’arrêter sur un autre terme utilisé dans cet article, celui de « pratique », puisqu’il est question de la « pratique » de la réserve parlementaire. Que signifie ce terme ? La réponse est simple : il s’agit d’une coutume. La réserve parlementaire était une vieille et mauvaise habitude. Il s’agit d’abord d’une pratique inconstitutionnelle, aux termes de l’article 40 (…) qui a été tolérée jusqu’à présent, mais qui ne peut plus l’être. Cette pratique était si peu encadrée qu’elle a donné lieu à des dérives. Le message que nous envoyons aujourd’hui est fort : les parlementaires ne pourront plus distribuer de l’argent public de manière discrétionnaire (…) ».

Fort bien. Mais… in cauda venenum.

La députée ajoutait aussitôt : « Toutefois, les députés du groupe La République en marche sont pleinement conscients de l’usage honnête de la réserve dont une majorité de parlementaires a pu faire preuve. Celle-ci a permis la survie de nombreuses associations et le soutien à l’investissement local dans certaines collectivités. (…) Nous sommes extrêmement sensibles à ces besoins et à la nécessité d’y répondre. Nous entendrons au cours de nos discussions, j’en suis certaine, des exemples très touchants. (…) Il faut que nous trouvions des moyens d’action adéquats, et nous avons interpellé à ce sujet Mme la garde des sceaux et ses équipes ».

Voilà qui était curieux : l’allocution commence par un plaidoyer vigoureux et convaincant pour la suppression pure et simple de la réserve parlementaire, mais se termine par le constat de l’utilité de cette pratique – de toute évidence, pour leurs bénéficiaires, ces fonds publics attribués discrétionnairement sont très bienvenus – et la recherche de mystérieux « moyens d’action adéquats ».

Le mystère contenu dans cette intervention est entretenu lorsque la députée LREM Laetitia Avia déclare, quelques instants plus tard : 1/ « on ne peut nier le spectre et la certaine réalité du clientélisme induit par ce mécanisme discrétionnaire » ; 2/ « il est vrai que la réserve parlementaire constitue un coup de pouce aux collectivités, aux associations, aux projets, et il ne faut pas que ses bénéficiaires soient lésés. C’est pourquoi j’en appelle à ce que les sommes soient redéployées au maximum vers le tissu local associatif à et ce que le gouvernement vienne rendre compte, peut-être chaque année, ici, devant les parlementaires, de l’utilisation de ces crédits, à travers un rapport annuel ».

On continue de s’interroger : supprimée, ou pas, la réserve parlementaire ?

Puis la garde des Sceaux intervient, selon le même schéma binaire : 1/ « doit-on encore considérer que les parlementaires doivent rester des ordonnateurs des dépenses publiques, ce qu’en fait la réserve parlementaire ? » ; 2/ « le gouvernement (rendra) compte annuellement de la manière dont auront été employés les fonds qui étaient auparavant destinés à la réserve parlementaire ». C’est donc que ces fonds ont vocation à être maintenus malgré la suppression de la réserve parlementaire ?

Cette ambiguïté est non pas levée, mais éclairée, en toute fin de discussion parlementaire, vers 20h00, quand la députée Paula Forteza présente l’amendement n° 354 tendant à ajouter l’alinéa suivant à l’article 9 de la loi organique :

« Le gouvernement présente, dans le cadre d’un rapport annuel d’information, les modalités selon lesquelles les fonds anciennement affectés à la réserve parlementaire ont été employés, en tenant compte des besoins qui auront pu être identifiés par les parlementaires et transmis au gouvernement, de manière transparente, pour soutenir les projets des collectivités territoriales et des associations ».

Et là, on dégringole de la chaise sur laquelle on regardait tranquillement la retransmission en direct de la séance à l’Assemblée nationale :

. parce que cet amendement est, dans les modalités de sa mise en œuvre, incompréhensible ; que les services de la Chancellerie en aient validé la rédaction – l’amendement a été écrit en concertation avec la place Vendôme – est inquiétant (mais sans doute n'avaient-ils pas le choix, face à une "commande" politique) ;

. parce que l’exposé de cet amendement est aussi contradictoire que les interventions qui viennent d’être mentionnées lorsque, en même temps, il : 1/ se félicite de la suppression de la réserve parlementaire, présentée comme « une grande avancée en faveur de la transparence de la vie publique, qui permet de mettre fin aux soupçons de clientélisme qui pouvaient planer sur ce système d’attribution de fonds » ; 2/ ajoute que : « la majorité (parlementaire à l’Assemblée nationale) souhaite que ces fonds, bien que ne transitant plus par (les parlementaires), puissent continuer à être employés à cet effet ».

En séance publique, il a été présenté ainsi par son auteure : « Nous proposons, dans le cadre de la suppression de la réserve parlementaire, un dispositif visant à assainir la façon dont les associations et les collectivités territoriales reçoivent un soutien public, en évitant tout risque de clientélisme, et en redonnant ainsi confiance aux citoyens dans la vie politique ».

Au fond, cet amendement revenait ni plus ni moins à transférer au gouvernement le soin de gérer des fonds aujourd’hui laissés à la discrétion des parlementaires, ainsi que le souhaitaient des députés de la majorité (v. ici). En pratique, au lieu d’avoir 577 distributeurs d’argent public, tout aurait été centralisé à Matignon (de fait, à l’Elysée), sans que l’on comprenne très bien ni comment, ni au nom de quel principe.

Malgré les invraisemblables dénégations de la garde des Sceaux (« ce n’est pas une reconstitution de la réserve… (…) pas plus qu’une dépense : il s’agit d’un rapport remis au Parlement, voilà tout »), avec cet amendement, la réserve parlementaire aurait été supprimée au profit de la création… d’une réserve gouvernementale, dont « naturellement » les parlementaires auraient pu contrôler le saupoudrage a posteriori, une fois celui-ci effectué par l’exécutif, lequel aurait vraisemblablement eu tendance à privilégier certaines circonscriptions par rapport à d’autres.

Du clientélisme « au carré », en quelque sorte ! Et certainement pas « l’évitement » du clientélisme….

La présidente de la commission des Lois et la garde des Sceaux ont donné un avis favorable à l’adoption de cet amendement, la garde des Sceaux le présentant de la manière la plus tranquille du monde : « il est naturel que le Gouvernement rende compte annuellement de la manière dont les dotations anciennement affectées à la réserve parlementaire seront utilisées ». « Naturel » de rendre compte, certes ; mais pas « naturel » de recycler la réserve parlementaire !

Toutefois, en toute fin de séance, la députée Paula Forteza a repris la parole, après les interventions offusquées de plusieurs parlementaires (y compris de représentants de groupes proches de la majorité parlementaire : v. celle de Philippe Michel-Kleisbauer : « le MODEM était favorable à la suppression de la réserve parlementaire mais il n’est pas favorable à son attribution par le Gouvernement. Nous voterons donc contre cet amendement »). On retrouve alors le schéma binaire : 1/ je maintiens l’amendement n° 354 (« il faut que vous compreniez que l’objectif de ce rapport est d’introduire une plus grande transparence et de garantir tout ce que vous défendez depuis des heures. Vous ne pouvez pas reprendre nos propres arguments contre nous ! Ce débat est ridicule » - et ridicule, il l’était en effet, mais au détriment de la majorité parlementaire) ; 2/ en définitive, je retire l’amendement n° 354, la garde des Sceaux ayant précédemment appelé à « travailler à une nouvelle rédaction ».

Puis cette ultime intervention de la députée : « je suis triste de constater que vous avez saisi l’occasion de la discussion de cet article pour rejouer le jeu des oppositions. (Exclamations sur divers bancs.) Or cela vous dessert, car notre intention était justement d’apporter une garantie sur le fait que les bénéficiaires de l’actuelle réserve parlementaire auraient accès à des fonds et à des soutiens. (Exclamations sur les bancs des groupes LR et LC) (…) En tout cas, nous tous, députés du groupe La République en marche, sommes fiers d’être des députés de terrain, des députés qui veulent renouveler les pratiques ». Renouveler les pratiques, vraiment ?

Comme dans les contes de fées, l’histoire se termine bien.

Par 112 voix pour contre 45 contre et 29 abstentions (mais que faisaient les quelque 400 députés qui n’étaient pas en séance publique ?), dont certaines « abstentions sidérées » (Jean-Luc Mélenchon) et d’autres « abstentions désabusées » (Olivier Faure) en raison du cafouillage produit par l’amendement n° 354, la réserve parlementaire est supprimée de manière « sèche », sans être remplacée. Dans la soirée, sera supprimée à l’unanimité la réserve ministérielle – dont la garde des Sceaux ignorait l’existence au jour de sa nomination et que le gouvernement voulait initialement conserver (v. « Le revirement du gouvernement et de la majorité sur la suppression de la réserve ministérielle »).

Mais comme dans les contes de fées, certains des protagonistes de l’histoire ont révélé leurs caractères au fur et à mesure que la séance parlementaire se déroulait. Et ce n’était pas à leur avantage.

Le Monde du 28 juillet 2017 titrait en une : « (Emmanuel) Macron veut éviter de nouveaux ‘couacs’ à l’Assemblée ». Le même jour, le pire des « couacs » se produisait à l’Assemblée.

La distinction entre « l’ancien » et le « nouveau » monde parlementaire est-elle morte le 28 juillet 2017, « en même temps » que la réserve parlementaire ?

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