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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 3 février 2017

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RASED : Aider les élèves peut-il les mettre en difficulté ?

A propos d'une récente recherche de l'IREDU sur les réseaux d'aide aux élèves en difficulté (RASED)

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La recherche que trois chercheurs de l’IREDU (1) viennent de présenter sur les RASED franchit un pas supplémentaire dans la remise en cause des actions d’aide aux élèves en difficulté. Des rapports précédents avaient interrogé l’efficacité des RASED mais celui-ci n’affirme pas seulement que l’aide apportée par les enseignants spécialisés est inefficace mais il nous assure qu’elle contribue à l’échec des élèves en difficulté.

Quels sont les arguments de ce rapport ?

Tout d’abord que l’aide ne cible pas les élèves qui en auraient le plus besoin. Seul un tiers des élèves en grande difficulté bénéficieraient des RASED. Un tel constat est interprété comme témoignant de l’incohérence des critères de « sélection ». On pourrait faire une toute autre analyse : l’insuffisance du nombre d’enseignants spécialisés, largement aggravée par les suppressions massives de postes sous le mandat présidentiel de Sarkozy est la raison majeure d’une insuffisante prise en charge des élèves en difficulté par les RASED. Depuis bien longtemps, la question du choix des élèves pouvant bénéficier d'une aide spécialisée est l’objet d’un travail régulier et concerté entre les enseignants spécialisés et ceux des classes, et si un constat devait être fait qui conduise à devoir améliorer la pertinence des choix, il n’est en rien de nature à remettre en cause l’existence des RASED.

Le second argument majeur est que l’aide spécialisée des élèves en difficulté stigmatiserait les élèves. Les chercheurs de l’IREDU invoquent l’effet Pygmalion. Pour tout dire, s’il fallait évoquer l’influence de l’attitude de l’enseignant spécialisé sur la réussite de l’élève, ce qui vient à l’esprit immédiatement c’est l’effet positif de ses discours sur la capacité de réussite des élèves qu’ils accompagnent, que ce soit vis-à-vis des élèves eux-mêmes, des enseignants de leurs classes ou de leurs parents. Je n’ai jamais rencontré d’élèves qui se sentaient stigmatisés parce qu’ils allaient travailler avec le maître spécialisé, bien au contraire. Ce qui stigmatise c’est l’échec… pas l’aide !

Un autre argument est de considérer que l’aide spécialisée réduirait l’ambition qu’on pourrait avoir pour les apprentissages des élèves concernés. Argument déjà utilisé par ceux qui voudraient mettre fin à l’éducation prioritaire. Là encore, l’observation du travail des RASED montre une réalité bien plus complexe qui ne peut permettre de confondre le travail d’adaptation des objectifs à la réalité de l’élève avec un renoncement. Il est tout de même paradoxal que dans un temps qui sacralise la personnalisation des parcours, on puisse considérer l’adaptation aux besoins de l’élève comme un manque d’ambition pour sa réussite.

Sur le redoublement, le taux de redoublement est considéré comme un indicateur en soi. Que l’analyse globale qui ait pu être faite des redoublements ait conduit, à juste titre, à engager leur réduction, ne permet pas de considérer la réduction des redoublements comme l’indicateur d’une meilleure réussite. Quant à la corrélation entre prise en charge RASED et redoublement, en conclure un lien causal est étonnant d’autant que bien des facteurs tiers peuvent expliquer le besoin d’aide spécialisée comme le redoublement.

L’argument de la sortie de classe comme privant l’élève des apprentissages qui s’y déroulent pendant qu’il bénéficie de l’aide personnalisée n’est pas nouveau. Il faisait partie des discours qui accompagnaient la politique de suppression des RASED voulue par Darcos puis Chatel. Il témoigne d’une profonde méconnaissance de la réalité des organisations de classes élémentaires. Pour un élève en difficulté, l’apprentissage ne se circonscrit pas dans une leçon unique. Cet argument fait fi dutravail de concertation entre l’enseignant spécialisé et l’enseignant de la classe et nie la réalité actuelle des prises en charge par les maîtres E dont une partie des interventions se déroule au sein même de la classe.

Le rapport propose qu’à la place des RASED soit mis en œuvre un programme développé en Angleterre : « literacy hour » dont il souligne les effets positifs. Sur le principe, l’idée de développer une action ciblant la maîtrise de la lecture ne peut être évidemment rejetée. Mais en faire une méthode garantissant la réussite des élèves relève d’une simplification abusive. Rappelons que l’action anglaise s’est développée dans le contexte d’une augmentation d’investissement financier considérable pour l’école voulue par le gouvernement Blair, après la désastreuse période Tatcher. Si plusieurs études ont souligné les résultats positifs de la « literacy hour », il reste difficile de faire la part spécifique de cette action et celle d’un contexte général d’investissement dans les moyens accordés à la politique scolaire. Enfin, il est tout de même paradoxal de vanter « Literacy hour » pour l’école française quand les tentatives de dispositifs type « Coup de pouce-CLE » n’ont pu bénéficier des moyens qui auraient permis leur développement et parfois ont dû cesser faute de financement.

Evaluer les RASED pour améliorer leur fonctionnement ou se servir de leur évaluation pour légitimer leur suppression?

L’évaluation du travail des RASED est une nécessité. Y compris quand elle questionne les pratiques enseignantes mais ce qui sous-tend ce rapport de l'IREDU est d'un autre ordre. C'est l’idée, a priori,  que la réussite des élèves se joue exclusivement dans la classe. Tout autre dispositif ne serait qu’un « saupoudrage » inefficace. Si le débat est nécessaire pour questionner l’aide spécialisée et ses relations avec le travail en classe, il doit aussi prendre en compte l’immense difficulté de pouvoir, au sein d’une classe, procéder à l’ensemble des différenciations nécessaires qui permettraient de répondre aux besoins des élèves. D’autant que cette difficulté est renforcée par l’augmentation des effectifs moyens des classes comme par l’insuffisance patente de formation initiale et continue des enseignants sur la question des difficultés d’apprentissage. On peut toujours décreter que l'idéal serait de tout régler en classe mais organiser le sytème sur ce postulat supposerait qu'on puisse être assuré de sa faisabilité. Force est de constater que la plus déterminée des volontés enseignantes en la matière est fortement mise à l'épreuve par la complexité des difficultés d'apprentissage.

Il ne s’agit pas de mythifier l’action des RASED, de nier la nécessaire progression des articulations entre la prise en charge spécialisée et les apprentissages au sein de la classe. Il faut répéter que la réussite des élèves en difficulté se joue fondamentalement dans la classe. Mais, pour autant, affirmer avec certitude que cette centration sur la classe nécessiterait la disparition des RASED serait une erreur grave dont pâtiraient les élèves en difficulté. D’autant qu’une telle affirmation est évidemment attendue par ceux qui pour des raisons strictement budgétaires cherchent à trouver une légitimation « scientifique » à leur volonté économique.

Disons-le clairement : aucune étude ne viendra prouver scientifiquement la validité ou l’invalidité de l’intervention spécialisée des RASED. Le rôle de la recherche en éducation n’est pas d’extrapoler en prétendant que le traitement de données est en capacité de construire des solutions. La question de la difficulté scolaire est complexe et le développement de la capacité du service public à faire réussir tous les élèves ne peut se résoudre par la recherche d’une solution univoque. C’est au contraire en agissant à tous les niveaux, de l’essentielle formation initiale et continue des enseignants au développement des moyens accordés aux RASED, comme aux ressources spécifiques de l’éducation prioritaire et à la diminution de la taille des classes, que nous pourrons relever le défi de la démocratisation du savoir. L’éducation est un système qui ne peut se circonscrire à l’aune d’une étude particulière. Ceux qui voudront utiliser l’étude de l’IREDU pour faire la preuve que la suppression des RASED est nécessaire n’échapperont pas au paradoxe de la période actuelle : nous n’avons jamais tant parlé de la démocratisation de la réussite scolaire que dans ces temps où l’école se voit privée des moyens dont elle doit disposer pour que la réussite scolaire ne puisse se limiter à l’intention généreuse des discours.

 (1) Claire BONNARD, Jean-François GIRET, Céline SAUVAGEOT, Effets du passage en RASED sur le parcours scolaire des élèves ?

 Paul Devin sur Tweeter : @pauldevin59

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