Interrogée sur ses priorités, Anne Genetet, ministre de l’Education nationale, a affirmé avoir trois priorités : « Élever le niveau, élever le niveau, élever le niveau[1] ».
L’ambition pourrait paraître louable mais l’effet rhétorique de la répétition dissimule mal la vacuité de la formulation.
La première question qu’elle pose est celle de la nature monomaniaque d’une ligne politique qui ferait croire que la situation actuelle de l’institution scolaire pourrait se suffire de ce seul objectif parce que son problème majeur serait la faiblesse du niveau scolaire. La formule fait écho à celle de Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur, qui affirmait n’avoir qu’une ambition « rétablir l’ordre, rétablir l’ordre, rétablir l’ordre[2] ». Force est de constater que ce sont souvent les mêmes qui lient le désordre et la baisse de niveau pour décrire une situation scolaire désastreuse, torpillée par le laxisme des enseignants et la démotivation des élèves.
Or, en matière de niveau scolaire, la situation est pourtant tout autre. Ce que révèlent les grandes enquêtes internationales à propos de l’école française n’est pas la faiblesse singulière de son niveau puisque notre école produit des résultats qui sont dans la moyenne de ceux des autres pays. Par contre, ce qu’elles nous montrent clairement, c’est la nature particulière de notre problème : les écarts entre les élèves qui ont les meilleurs résultats et ceux qui ont les plus grandes difficultés, écarts qui s’avèrent largement plus marqués en France que dans les autres pays.
S’il fallait utiliser une formule répétitive, il faudrait affirmer comme priorité : « une école égalitaire, une école égalitaire, une école égalitaire ».
Mais évidemment, on perçoit rapidement que la formule d’Anne Genetet n’est là que pour introduire l’annonce de la reconduction de la politique de Gabriel Attal, celle dite du « choc des savoirs », et nous assener à nouveau que cette réforme vise une meilleure réussite des élèves. Peu importe qu’une quasi-unanimité des travaux de recherches aient montré que les organisations hétérogènes de classes étaient les plus favorables à une orientation égalitaire, peu importe qu’une grande majorité des enseignantes et enseignants aient exprimé et expliqué leurs doutes et leurs craintes … l’essentiel sera d’affirmer comme un mantra que cette réforme est bonne pour la réussite des élèves
Quelle réussite vise-t-on lorsque l’organisation précoce d’un tri social au sein de l’école et du collège va choisir celles ou ceux parmi les élèves qui sont jugés aptes à des études longues et ceux qui devront rejoindre le plus tôt possible une activité professionnelle ?
Devra-t-on considérer que l’élève trié dès la sixième, précocement orienté vers l’enseignement professionnel parce qu’on l’a jugé incapable de poursuivre des études dans la filière générale et non parce qu’il en fait le choix et trouvant un emploi à l’issue de ses études… est un élève qui réussit.
Quand Paul Langevin affirmait l’ambition d’une élévation générale du niveau des connaissances, il le faisait dans la perspective affirmée par Georges Cogniot, celle d’une généralisation de la culture offrant « la possibilité pour toutes les intelligences d’accéder au bénéfice des plus hautes études ».
Madame Genetet se garde bien de concevoir ainsi l’élévation du niveau pour préférer, à la suite d’Attal, maquiller sous les termes de réussite, le retour à une conception de l’école qui veut réserver à une minorité la poursuite d’études longues. Et un tel choix refuse toute réflexion critique qui mettrait en doute la fatalité naturelle ou sociale d’un tel déterminisme. Alexandre Portier, dont le champ d’exercice ministériel est justement la réussite éducative balayait la question des injustices d’un revers de manche : « L’école est désormais présentée comme un lieu qui institutionnalise les discriminations et qu’il faudrait donc transformer pour y répondre. Or, tout analyser en termes de domination, voilà bien un trait caractéristique du wokisme[3] ».
C’est clair … la question de l’égalité ne sera pas une priorité de ce gouvernement !
[1] Le Figaro, 4 octobre 2024
[2] Le Parisien, 23 septembre 2024
[3] Le Monde 23 septembre 2024