C’est désormais presque un rituel. Les commentaires médiatiques et politiques à la suite de la publication des résultats de l’enquête PISA nous laissent croire à un élan unanime qui, porté par une volonté générale de démocratisation de l’école, vient dénoncer le scandale de l’échec scolaire.
Et cet élan se veut si généreux qu’il ne craint pas de dramatiser à outrance : ici on affirme qu’un élève sur deux en 3ème ne sait pas lire ; là que l’école française connaît un effondrement complet… Les contempteurs du service public en profitent pour décrier ses incapacités ; l’enseignement privé et les marchands de soutien scolaire tentent de prospérer sur les peurs suscitées … Mais le problème, c’est que ces défenses apparemment ardentes de l’égalité scolaire resteront confinées à la rituelle réaction aux résultats de PISA mais perdront singulièrement de leur vigueur dès qu’il s’agira de remettre en cause les fondements des inégalités scolaires.
Quand il s’agit d’accuser les enseignants de ne pas parvenir à faire réussir les élèves, de pourfendre le prétendu modernisme des méthodes ou de vilipender le laxisme d’une école dont aurait disparu les vertus de l’autorité, les plumes sont agiles et les volontés déterminées. Mais quand il s’agit d’interroger les fondements de l’inégalité, c’est à dire de découvrir que c’est le privilège des uns qui, pour garantir la reproduction des positions dominantes, produit l’exclusion des autres, la détermination du propos s’amoindrit.
Notre problème n’est pas tant le niveau que les inégalités !
Avec PISA 2022, l’OCDE ne brosse pas un portrait désastreux de l’école française. Elle la situe dans la moyenne. Même pour les mathématiques où est constatée une forte chute des résultats, la France reste à la hauteur de la plupart des autres pays, comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou les Etats-Unis …
En fait, c’est sur un autre point que l’OCDE nous alerte le plus fortement : nous sommes les champions de l’école inégalitaire, c’est à dire que nos résultats moyens cachent des écarts très élevés entre les meilleurs et les moins bons. Nous sommes ceux chez qui le rapport entre le niveau socio-économique et le résultat scolaire est le plus fort. Et de ce point de vue, nous ne progressons pas : les résultats de PISA, de PIRLS ou de n’importe quelle étude sociologique sur le sujet le montrent.
Ce constat d’injustice sociale, les commentateurs de PISA l’oublient pour ressasser un prétendu désastre scolaire. Alors redisons-le : l’essentiel du problème scolaire français n’est pas la faiblesse intrinsèque de son école mais l’immense difficulté des élèves issus des milieux populaires de pouvoir accéder à un cursus scolaire ambitieux, voire aux plus élémentaires savoirs.
Les politiques scolaires actuelles se moquent de PISA !
L’OCDE ne se contente pas d’analyser les résultats des élèves mais propose des préconisations.
Ainsi, à la suite de PISA 2015, avait-elle proposé à la France une plus grande mixité des établissements et une meilleure formation des enseignants.
Mais en matière de mixité, Jean-Michel Blanquer s’était gardé de toute initiative qui aurait pu menacer les avantages des établissements privés. Quant aux tentatives de Pap Ndiaye, elles échouèrent, les accusations d’atteinte à la liberté d’enseignement contraignant le ministre à renoncer !
Dans le domaine de la formation des enseignants, Jean-Michel Blanquer choisit de rentabiliser l’emploi des stagiaires en les mettant davantage en responsabilité en classe, les privant ainsi d’une véritable préparation à l’exercice de leur métier.
Quant aux indications de PISA comme de PIRLS sur les difficultés de lecture, elles auraient dû inciter à ce que les choix méthodologiques d’apprentissage de la lecture du ministre soient traités avec davantage de doute, notamment parce que l’essentiel des difficultés des élèves, dans les résultats de PISA, persistait à s’inscrire dans la compréhension et non dans la seule maîtrise du code… Il n’en n’a rien été.
Gabriel Attal n’a pas vraiment l’intention, lui non plus, de prendre en compte les enseignements de PISA 2022 par exemple quand ils attirent l’attention sur la formation des enseignants ou le climat scolaire. Il semble vouloir se contenter de jouer une stratégie politique d’alliance avec les idées conservatrices. Ainsi avec la vieille lubie du redoublement dont pourtant tous les spécialistes s’accordent pour dire qu’elle est incapable d’améliorer le niveau scolaire mais qui donne l’image tant attendue d’un retour aux fondamentaux. Sous un discours de démocratisation exigeante, c’est une politique de sélection et d’orientation précoce que l’actuel ministre dessine.
Que le collège unique d’aujourd’hui doive être réformé, nul doute… mais on attendrait de cette réforme que ses élèves en difficulté puissent être mieux pris en compte quand le ministre semble avoir pris le parti de les écarter par les filtres successifs du redoublement, des groupes de niveau et des examens de passage.
Ce que supposerait le choix de la démocratisation
Il n’y aura pas d’amélioration de la réussite des élèves sans un investissement massif dans l’école. Tout le monde sait que l’attribution de moyens ne suffit pas à engager une révolution qualitative mais elle reste néanmoins indispensable pour y parvenir.
Ces moyens sont la condition d’une amélioration de la formation initiale et continue des enseignants dont il est évident qu’elle constitue une nécessité absolue pour le dépassement des difficultés d’apprentissage des élèves.
Ils sont indispensables pour l’allongement d’un temps de scolarité que les politiques précédentes n’ont cessé de réduire.
Ils sont une exigence capitale pour une amélioration des conditions d’étude des élèves et de travail des enseignants y compris sur un strict plan matériel.
Ils sont une nécessité pour un meilleur encadrement pluriprofessionnel où les difficultés personnelles des élèves sont accompagnées pour reconstruire un cadre favorable aux apprentissages scolaires.
Au lieu de tout cela… le ministre brandit quelques vieilles recettes éculées que les spécialistes condamnent unanimement !
Pas compliqué, dans ces conditions, de prédire que PISA 2025 constatera à nouveau, pour l’école française, des résultats moyens et une profonde inégalité. Les cris d’orfraies seront de retour mais la démocratisation de l’accès aux savoirs attendra encore.