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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 9 octobre 2023

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Le ministre et les « évidences pédagogiques »

L’ « évidence des résultats » devient l’argument de justification des politiques éducatives. Mais cette prétendue évidence des faits, qui se pare d’une garantie scientifique, n’est que la stratégie d’imposition de choix politiques.

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Gabriel Attal a déclaré qu’on commençait à voir les résultats de la politique mise en œuvre depuis 2017 au travers de la dernière étude PIRLS[1] qui montre que la France est le seul pays où la situation a légèrement progressé sur la lecture. L’examen attentif des résultats de PIRLS devrait conduire à davantage de doutes. En effet, si la dernière livraison de l’enquête internationale rompt avec une baisse continue révélée par les enquêtes précédentes successives, elle nous livre un bilan plus partagé où l’on apprend que cette progression ne concerne pas les élèves en difficulté et ne réduit pas les écarts inégalitaires entre les meilleurs et les plus faibles.

Mais on y apprend aussi que la « faiblesse » des pratiques françaises d’enseignement réside dans un tardif et moindre intérêt pour les activités centrées sur la compréhension des textes.

Difficile donc de pouvoir en conclure le bien fondé du renforcement des apprentissages techniques centrés sur la déchiffrage !  Difficile aussi d’en conclure la preuve de la légitimité des dédoublements puisqu’ils ont concerné des élèves de milieu populaire dont l’enquête montre qu’ils n’ont pas progressé. A moins de fabriquer, sans véritables preuves, une attribution causale à de simples corrélations.

Le ministre annonce le retour à des classes de niveaux. Sans doute cherchera-t-il aussi à administrer la preuve par « l’évidence des faits ».  Une récente synthèse des recherches[2] montre que la question de l’hétérogénité/homogénéite ne peut se résoudre autrement qu’en fonction des choix de politique éducative. Une organisation homogène des classes favorise un « rendement » scolaire centré sur les élèves les plus performants, une organisation hétérogène favorise des résultats plus égalitaires. Ce n’est donc pas l’évidence des faits qui peut conduire au retour vers les classes de niveau mais un choix de finalités de la politique éducative. 

Le ministre annonce aussi, à mots couverts, la suppression des cycles. L’organisation en cycles est loin d’avoir permis de résoudre les problèmes de cohérence du parcours d’apprentissage de l’élève mais il serait difficile de croire que sa suppression y parviendrait mieux! Si la volonté ministérielle était celle d’un renforcement de la cohérence de l’enseignement dans une perspective démocratisante et émancipatrice, il ne pourrait envisager de l’améliorer par un retour à une fragmentation annuelle des programmes !

Ce qui est visé ici est une transformation profonde de la prescription faite aux enseignants qui ne cadrera plus leur travail par la définition de finalités et de contenus mais par l’imposition d’une progression unique et de ses mises en œuvre. Là encore on justifiera par l’évidence des faits l’usage exclusif de « bonnes pratiques ». D’ailleurs, Gabriel Attal revient à l’idée d’une labellisation ministérielle des manuels et l’Institut Montaigne, dont on sait l’influence sur les politiques éducatives actuelles ne cesse de fustiger la liberté pédagogique qu’il accuse de produire « la détresse de l’apprentissage des élèves »[3]. ().

L’argument d’une politique basée sur les preuves instrumentalise la recherche scientifique pour donner une vertu de vérité incontestable aux choix politiques. Il permet de stigmatiser les critiques et les oppositions en les considérant comme des résistances infondées et illégitimes. On pourrait se réjouir de décisions se fondant sur des analyses plutôt que sur des préjugés mais ce qui est à l’œuvre est d’une autre nature qui cherche à légitimer des choix politiques préexistants en ne retenant que les seules recherches qui prétendent les accréditer, au prix de leur lecture instrulmentalisée et d’une ignorance des autres recherches.

La complexité des enjeux éducatifs ne peut se résoudre par une vérité fragmentaire de laboratoire qui décrète le réel au mépris des savoirs de l’expérience, du débat pluraliste et des incertitudes nécessaires de la pédagogie. Sauf à avoir pour volonté première d'imposer au système éducatif les normes nécessaires pour soumettre le projet scolaire aux impératifs économiques et sociaux du néolibéralisme.

[1]  Evaluation internationale qui mesure les compétences des élèves de CM1 en littératie , c’est à dire l'aptitude à comprendre et à utiliser l'information écrite

[2] Daniel GABALDON-ESTEVAN, Heterogeneity versus Homogeneity in Schools: A Study of the Educational Value of Classroom Interaction, Education Sciences vol.10, n°11, novembre 2020)

[3] Baptiste LARSENEUR, Ecole : où concentrer nos efforts ? Institut Montaigne, septembre 2023

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