Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

218 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 mai 2025

Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

Dans l’intérêt du service ?

Plusieurs enseignant·es de l’académie de Créteil viennent de faire l’objet d’une mutation dans l’intérêt du service. L’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire dont elle use pour des raisons qui sont loin de se justifier par des besoins organisationnels mais qui menacent les fondements démocratiques du service public.

Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ni obligation de preuve, ni droit de défense : l’arbitraire de la décision
Il est une règle fondamentale de l’administration : si l’agent est titulaire de son grade, l’administration dispose de son emploi. En termes plus clairs, l’employeur ne peut pas contraindre un agent à exercer des missions qui ne correspondent pas à son grade (par exemple il ne peut pas exiger qu’un professeur des écoles exerce les missions d’un agent administratif) mais il est libre de l’affecter dans l’emploi qui correspond aux nécessités d’organisation du service public. C’est un principe nécessaire à l’intérêt général.

Mais …

Le 9 janvier 2025, le tribunal de Versailles enjoint le rectorat de réaffecter un professeur de mathématiques dans son établissement d’origine considérant que « la décision de mutation d’office n’a pas été prise dans l’intérêt du service ». Deux motifs ont amené le tribunal à cette décision : l’absence d’éléments prouvant que « l’enseignant avait participé activement à la dégradation du climat au sein de la communauté éducative. » et l’impossibilité pour lui de disposer d’éléments lui permettant d’organiser sa défense. Car ce qui caractérise une mesure de déplacement pour raison de service, c’est d’échapper à tout cadre formel puisque cette mesure ne nécessite pas la tenue d’une commission disciplinaire.

Le discours institutionnel tente de se justifier par le fait qu’il ne s’agit pas d’une mesure disciplinaire… justification difficile à entendre par l’intéressé qui subit des conséquences analogues à celles d’une mutation disciplinaire. Mais on pourrait, a minima, considérer que le droit à la défense nécessite la possibilité du contradictoire. Ce que l’administration évite compte-tenu de la fragilité des éléments qui fondent les motifs qu’elle invoque.

Un management qui menace les principes démocratiques du service public

Il faut revenir aux raisons fondamentales qui donnent pouvoir d’affectation à l’administration : l’intérêt général. Le fonctionnaire, dont on prétend qu’il n’a que des avantages, est en réalité contraint à occuper un emploi correspondant aux nécessités d’organisation du service public, notamment pour permettre de répondre aux besoins des usagers et usagères sur l’ensemble du territoire. Bien des professeur·es sont ainsi contraints d’exercer loin de leur région de résidence. Mais un tel principe, dont il faut accepter la nécessité, ne peut être instrumentalisé pour régler des situations conflictuelles au gré des volontés administratives. L’administration ne peut détourner un motif d’intérêt général pour gérer ses problématiques particulières.

Si les agissements d’un agent·e relèvent de la faute professionnelle, la procédure disciplinaire permet à l’administration d’agir dans le cadre d’une procédure contradictoire dont les exigences respectent les droits de l’agent·e. Mais si la situation n’offre pas de la possibilité de preuves de comportements professionnels fautifs, laisser la main libre à la décision hiérarchique ouvre la voie aux pires abus dont, au-delà de la question de droits de l’agent·e, rien ne garantit qu’ils servent l’intérêt du service public.

La construction historique du cadre statutaire avait permis une dialectique des droits et des obligations dont les enjeux étaient ceux d’un fonctionnement démocratique du service public. L’habituel jugement qui ne veut y voir que la défense des intérêts particuliers du fonctionnaire ne résiste pas à l’analyse qui montre que le cadre statutaire est avant tout une garantie de l’intérêt général.

Enfin, il est une donnée récurrente des décisions de déplacement d’office, c’est qu’elle concerne très souvent des syndicalistes. On perçoit bien qu’en multiplier les usages constitue un moyen de pression, une menace sur le droit syndical.

Penser la résolution des conflits dans un cadre de droits et d'obligations
Une institution humaine telle que l’Education nationale ne peut échapper à des situations complexes de conflit. Reconnaissons qu’elles ne sont pas toujours guidées par des motivations d’intérêt général. Mais la complexité des difficultés rencontrées ne peut être le prétexte d’un renoncement aux exigences statutaires. Il en va du droit des personnels dont la loi de 1983 avait réaffirmé que si leurs missions de fonctionnaire les soumettaient à des obligations, ils n’en restaient pas moins des citoyens dont le droit de se défendre constitue un fondement de la justice démocratique.

Le paradoxe est qu’une part de la complexité de ces conflits est produit par l’institution elle-même qui se nourrit de plus en plus de l’illusion de pouvoir améliorer le service public d’éducation par la contrainte autoritaire. Dans bien des cas de conflits, c’est l’autoritarisme du chef d’établissement ou du directeur qui en est la source. C’est son incapacité à prévenir le conflit par le dialogue qui a entraîné la cristallisation des oppositions. Quand l’exercice de la hiérarchie se fonde sur le respect conjoint de la liberté pédagogique et de la conformité aux instructions, les conflits ont peu de chance de prendre des tournures irrésolubles. Mais à force de faire croire qu’il y aurait une légitimité systématique de tout ordre donné, les tensions se multiplient et s’exacerbent.

Dans un contexte où les formes nouvelles de management ne cessent de développer les situations conflictuelles, la hiérarchie a fini par se priver des modes de résolution offerts par la recherche de médiations. Il serait temps d’interroger les conséquences de l’évolution néomanagériales dont on perçoit aujourd’hui clairement l’incapacité à améliorer le fonctionnement du service public d’éducation mais sa forte propension à dégrader les conditions d’un travail collectif.

Les risques de cette évolution néomanagériale
La contradiction entre un discours croissant sur la recherche d’un « bien-être » des personnels et l’évolution autoritariste des pratiques hiérarchiques est devenue une évidence. On y reconnaît la stratégie habituelle du néomanagement qui se pare d’une rhétorique de séduction pour mieux installer ses conceptions de pilotage injonctif. Elle produit un glissement permanent qui substitue au pouvoir traditionnel de l’administration, celui des lois et des règlements, une nouvelle forme de pouvoir personnalisé où la décision se fonde sur le jugement du supérieur et non sur l’application des textes. La première conséquence de cette évolution est la détérioration des conditions de travail.

Mais il est une autre conséquence. Une longue évolution historique a donné à la fonction publique un cadre statutaire pour la soustraire aux agissements d’intérêts particuliers. Détruire ce cadre, c’est laisser le service public devenir perméable aux risques que des volontés personnelles puissent l’éloigner de ses principes égalitaires.

La responsabilité de la hiérarchie est là : ne pas céder aux facilités l’autoritarisme pour garantir le cadre qui préserve notre service public de dérives peu favorables à ses principes démocratiques fondamentaux.  

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.