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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 11 septembre 2024

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Faut-il abandonner les évaluations nationales ?

Pourquoi lutter contre la généralisation des évaluations nationales et se mobiliser pour leur abandon ?

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On pourrait s’étonner que des enseignantes ou des enseignants refusent d’évaluer leurs élèves et que leurs organisations syndicales appellent à l’abandon des évaluations nationales. Un apparent bon sens nous laisserait en effet croire qu’il ne peut être que bénéfique d’évaluer les élèves pour mieux repérer leurs difficultés et les aider à les dépasser.
Disons-le donc en préambule, défendre l’abandon des évaluations nationales ne se confond pas avec un discrédit systématique du principe d’évaluation et particulièrement de l’usage qui, au sein de la classe, permet d’identifier les besoins d’aide des élèves pour mieux concevoir les aides proposées. Mais ce n’est pas cette finalité qui est à l’œuvre dans les évaluations nationales qui poursuivent trois buts très différents.

Le premier but est de contraindre les contenus d’enseignement. C’est particulièrement visible pour l’évaluation lecture au cycle II. Les épreuves ont été centrées seulement sur une partie des compétences, celle qui vise la maîtrise technique des relations entre lettres et sons. Cela a conduit les enseignantes et les enseignants de maternelle et de cours préparatoire à recentrer les activités de la classe sur ces apprentissages techniques, apprentissages nécessaires mais loin d’être suffisants… La conséquence a été de diminuer la part des apprentissages qui visent la compréhension des énoncés et développent l’usage des écrits dans la vie sociale et culturelle des élèves. Sans doute cela permettra de faire de meilleurs techniciens de l’oralisation mais ne suffira pas à permettre le développement des pratiques sociales et culturelles de l’écrit qui constituent pourtant l’enjeu émancipateur de la lecture.
Plus efficacement que la transformation des programmes, qui aurait suscité bien des débats, les évaluations nationales ont donc permis, facilement et rapidement, de modeler l’activité enseignante sur une conception de l’apprentissage de la lecture que le ministre voulait défendre par choix idéologique personnel. Elles sont donc, de ce point de vue, des outils politiques qui ne se préoccupent davantage de satisfaire des volontés politiques particulières que d’aider les élèves en difficulté !

Le second but des évaluation nationales est de construire un modèle qui cherche à réduire l’acte enseignant à un couple d’actions : évaluation/remédiation. La première conséquence sera la contrainte méthodologique de l’enseignante ou de l’enseignant. Mais, au-delà, en proposant un exercice ciblé en réponse à la détection d’une compétence non acquise, l’idée est d’explorer l’automatisation de l’enseignement grâce à une intelligence artificielle capable d’apparier les erreurs diagnostiquées par l’évaluation avec des exercices correcteurs. Dans une période où austérité budgétaire et crise de recrutement viennent réduire les effectifs enseignants, on imagine les attraits d’une telle évolution. Le problème est que cela suppose une simplification de la réalité qui laissera les élèves en échec… Parce que l’analyse des difficultés ne se réduit pas au constat de la non-acquisition d’une compétence et parce que la résolution de la difficulté d’apprentissage nécessite des interventions didactiques largement plus complexes que la simple fourniture d’un exercice. Il faut l’admettre, seul un haut niveau de compétences didactiques et pédagogiques peut espérer résoudre les problèmes d'apprentissage grâce à des propositions ajustables aux réalités singulières des difficultés rencontrées, bénéficiant des échanges sociaux permis par les dimensions collectives de l’apprentissage et grâce à une relation interindividuelle entre élève et enseignant…. Bien loin de la seule fourniture automatisée d’un exercice si pertinent puisse-t-il être en théorie !
On voit bien comment, à terme, une telle vision induira une tout autre conception du travail enseignant où la conception pédagogique et didactique n’est plus une nécessité puisqu’on peut se suffire d’une tâche technique de contrôle d’un dispositif automatisé et qu'elle peut être assurée par des personnels peu formés et peu diplômés.

Le troisième but devient particulièrement évident cette année du fait de la mise en œuvre conjointe d’une généralisation de l’évaluation au cours moyen et de la mise en place des groupes de niveau au collège. Le discours, désormais, nous affirme, au nom d’un meilleur respect des volontés de l’élève et d’une adaptation à la réalité économique, que la généralisation des études longues ne constituerait plus une ambition nécessaire. Sous prétexte d’aide et d’adaptation aux difficultés des élèves, il conviendrait dès lors de mettre en œuvre, tôt dans le cursus scolaire, une catégorisation qui permettrait la constitution des classes de niveau dès la 6ème et l’orientation précoce vers la formation professionnelle avant même la fin du collège.
Les évaluations nationales révèlent une autre de leurs fonctions : légitimer le tri social par une mesure prétendument objective.

Il y a donc quelques bonnes raisons de lutter contre la généralisation des évaluations nationales et de se mobiliser pour leur abandon.
Ça n’empêchera pas les enseignantes et les enseignants de continuer à chercher à connaître et comprendre les difficultés de leurs élèves, y compris par des moments d’évaluation qui resteront internes à la classe, s’intéresseront à tous les enjeux du savoir lire et se garderont de toute catégorisation visant le tri social des élèves.

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