Le développement d’une conception éducative basée sur l’idée d’un apprentissage spontané et naturel en opposition à une école jugée contraignante outrepasse désormais les seules questions pédagogiques. Se développe un discours tentant de mettre en cause radicalement ce que l’on pouvait considérer comme un acquis assuré de nos sociétés démocratiques : l’affirmation absolue d’un droit à l’éducation légalement concrétisé par l’obligation d’instruction.
Des écoles alternatives osent désormais affirmer que l’obligation d’instruction constituerait une forme de maltraitance contre laquelle il conviendrait de protéger les enfants ! Réunies dans un réseau européen (EUDEC), ces écoles qui se proclament « écoles démocratiques » ne cessent de se développer. Elles défendent une conception de l’éducation où le respect de l’enfant doit aller jusqu’à accepter qu’il refuse d’apprendre. Elles réclament une liberté totale d’enseignement échappant à tout contrôle et à tout programme.
Il est évidemment nécessaire que le débat pédagogique sur la contrainte scolaire puisse laisser place à des conceptions différentes des apprentissages mais c’est à la condition qu’ils restent centrés sur l’intérêt général, celui qui nous contraint à les interroger dans les termes d’une démocratisation des savoirs, d’une élévation générale du niveau des connaissances et de la construction d’une culture commune nécessaire à un exercice de la citoyenneté libre mais raisonné.
Le projet social de ces écoles "alternatives" se fonde sur le développement des personnalités, postulant d’une origine naturelle des dispositions de l’individu et ignorant que l’aspiration à la connaissance est une construction sociale et culturelle. Les principes de vie démocratique qu’ils développent sont centrés sur le seul équilibre de la communauté : tout est possible aux uniques conditions de la liberté de l’autre. Ces écoles font comme si la vie sociale ne s’inscrivait que dans les limites de ce que l’autre pouvait affectivement et émotionnellement accepter. Leur conception hédoniste du rapport aux savoirs relève à la fois de vérités assenées au nom des neurosciences et d’aspirations qui prétendent construire une nouvelle société alors qu’elles sont fondées à l’échelle de communautés réduites et fermées sur leurs seuls enjeux propres.
Nous pourrions nous rassurer en estimant que cela relève de la responsabilité des choix parentaux mais il y a dans le développement de ces écoles alternatives la volonté de contester les valeurs les plus fondamentales du droit à l’éducation. Et il y a lieu d’être inquiets que les volontés des politiques néo-libérales puissent s’en saisir à la fois pour réduire les dépenses publiques, pour laisser se développer les perspectives de nouveaux marchés et pour entretenir une idéologie du retrait de l’État.
L’enjeu n’est évidemment pas seulement celui d’une préoccupation pour l’avenir des enfants concernés par ces scolarités alternatives mais sur les incidences que pourrait avoir à terme l’affirmation d’une liberté totale qui rendrait acceptable qu’on puisse renoncer au principe d’une instruction obligatoire comme fondement d’une société démocratique.
Pour lutter contre un tel risque, puissions-nous retrouver l’enthousiasme de Hugo :
« Le progrès de l’homme par l’avancement des esprits ; point de salut hors de là. Enseignez ! Apprenez ! Toutes-les révolutions de l’avenir sont incluses, amorties, dans ce mot : Instruction gratuite et obligatoire. » (Victor Hugo, William Shakespeare, 1864)