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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 13 février 2016

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Les leurres de la classe inversée

Doutes et regards critiques sur les fantasmes d'une prétendue révolution pédagogique

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au dire de certains, la classe inversée constituerait une révolution pédagogique. Elle ferait renaître la motivation d’élèves s’ennuyant dans la classe « traditionnelle », permettrait une différenciation favorable à une meilleure réussite des élèves en difficulté, tout en offrant à tous d’être « acteurs de leurs apprentissages et producteurs de leur savoirs ».

Forcer le trait pour construire l’opposition radicale des modèles.

La description de l’activité pédagogique « traditionnelle » sur les sites promoteurs de la pédagogie inversée repose sur une analyse quelque peu simplificatrice. Il faut tout de même rappeler que la question de l’appropriation des savoirs par d’autres modalités que celles d’un monologue professoral ne constitue pas une préoccupation nouvelle. Des enseignants, depuis longtemps, cherchent à faire naître motivation et intérêt, mettent en œuvre des situations où les élèves sont amenés à résoudre des problèmes dans l’échange et se préoccupent des difficultés d’apprentissage. Les enseignants n’ont pas attendu l’engouement pour la pédagogie inversée pour interroger leurs pratiques et les effets de leurs pratiques sur les apprentissages.

Un des principaux sites de promotion de la « classe inversée » résume l’activité de l’élève au sein de la classe « traditionnelle » à « un enregistrement des connaissances transmises par l’enseignant » considéré comme une « tâche de bas niveau cognitif ». C’est d’évidence un jugement peu subtil qui obéit davantage aux stratégies d’une communication promotionnelle qu’à une véritable analyse de la réalité.

Catégoriser l’activité scolaire habituelle de manière binaire entre un temps de transmission (la classe) et un temps d’appropriation (les devoirs à la maison) procède de la même volonté de caricature outrancière. Bien des enseignants, depuis longtemps, cherchent à construire en classe les conditions d’une appropriation des savoirs. Ils savent que la réussite des élèves dépend d’un ensemble complexe de facteurs mais ils savent aussi qu’ils ne pourront jamais totalement les maîtriser. Car leur détermination à concevoir leurs enseignements dans les perspectives d’une réussite plus démocratique de l’ensemble des élèves, se heurte sans cesse à la complexité de cette ambition. De ce fait, ils doutent qu’un changement méthodologique puisse suffire à déterminer des conditions de réussite radicalement différentes. C’est pourquoi il faut mettre en doute, par un principe critique nécessaire et légitime, toute proposition postulant une causalité unique des difficultés d’apprentissage.

À vouloir l’examen critique, aurions-nous seulement un apriorisme méprisant ?

Dans un récent débat, alors que quelques questions étaient posées témoignant d’un doute face aux certitudes des partisans de la classe inversée, il fut fait réponse que les réserves exprimées témoigneraient d’un apriorisme méprisant. Dans ces temps de sacralisation de la bienveillance, la dispute argumentative est parfois immédiatement interrompue au nom d’un respect qui devrait interdire tout discours critique. Il importe pourtant que nous prêtions une grande attention à maintenir, comme facteur essentiel de la formation professionnelle, les débats contradictoires. Et cela ne peut évidemment se confondre avec les volontés managériales qui prétendent dicter des formes de travail au prétexte d’une prétendue preuve de leur efficience. C’est au contraire dans la « dispute professionnelle », pour reprendre l’expression d’Yves Clot que se construit la véritable liberté pédagogique. Il ne s’agit donc pas de condamner, d’interdire, ni même de préconiser mais seulement de postuler une nécessaire méfiance quand surgit à un moment donné un enthousiasme tel qu’il prétend résorber des problèmes qui traversent depuis des décennies les pratiques pédagogiques.    

De l’enseignement par capsule, comme moyen d’appropriation des connaissances ?

Un premier étonnement naît à l’examen des capsules, c’est-à-dire des vidéos, diaporamas ou animations que l’élève doit regarder chez lui avant le temps d’enseignement en classe. Bien sûr, elles sont des plus diverses mais pour avoir regardé un nombre conséquent d’entre elles, je ne peux que constater qu’elles reposent généralement sur les mêmes conceptions pédagogiques que celles du monologue professoral. La règle de grammaire ou la notion mathématique y sont exposées très magistralement. Souvent bien plus magistralement que dans bien des classes. Et la présentation formelle qu’elle ait une forme ludique, humoristique, provocatrice, ne change rien à cela.  

Alors pourquoi faciliterait-elle l’apprentissage ? Bien sûr, il y a ce postulat que le numérique produit des effets miracle sur l’attention des élèves. Mais nous savons que ces motivations liées aux changements formels sont éphémères. Sans doute la vidéo a-t-elle la possibilité d’être regardée plusieurs fois mais est-on sûr que l’ensemble des élèves disposera de la volonté de le faire ? Sans doute l’attention peut-elle être soutenue par un ensemble de procédés visuels mais combien de temps cette motivation durera-t-elle quand la capsule sera inscrite dans le quotidien de l’élève ?

Par ailleurs, sommes-nous sûrs que tous ces artifices motivationnels servent véritablement une construction intellectuelle ? Le gadget censé soutenir la motivation de l’élève ne peut-il pas intervenir, au contraire, comme un leurre attentionnel ne permettant pas à l’élève de percevoir le véritable enjeu d’apprentissage et de s’y engager ?  Il suffit d’interroger les élèves après la vision de ces vidéos pour se rendre compte que, pour certains, la mise en scène motivationnelle a fini par prendre le pas sur le contenu.

Parier sur une égalité facilitée par des habiletés numériques partagées par tous ?

L’observation des pratiques numériques des jeunes conduit souvent à constater une capacité d’adaptation et à conclure qu’il faudrait impérativement l’utiliser pour les apprentissages scolaires. Mais la réalité est plus complexe. Des chercheurs (Nicolas Roland, Norbert Ellis, …) ont montré que si l’appartenance des élèves ou des étudiants à la génération numérique en fait des usagers généralement habiles, cette compétence d’usage ne recouvre pas systématiquement les besoins nécessaires à l’usage pédagogique. On peut être fort habile à manipuler un objet numérique sans être pour autant capable de s’en servir pour apprendre.

Il ne suffit pas de proposer un environnement numérique quelle qu’en soit la qualité, il faut aussi permettre la construction d’une relation à cet environnement numérique qui soit de nature à faciliter les apprentissages. Or, les usages numériques n’évitent pas les problèmes fondamentaux de l’accès aux savoirs. Toutes les difficultés de l’enseignement « classique » sont encore là : difficultés à percevoir les enjeux et les finalités de l’apprentissage, inadaptations des schèmes intellectuels à la compréhension des notions, difficultés à traiter l’information dans les perspectives d’une construction conceptuelle, …

Contrairement à certaines idées reçues, les inégalités sociales ne se dissolvent pas par un usage du numérique qui outrepasserait les clivages produits par les usages de l’écrit. L’usage numérique aussi est marqué par les stratifications sociales et pas seulement en termes d’accès au matériel et aux connexions. L’accès aux ressources numériques ne donne spontanément davantage de savoirs qu’à ceux qui en ont déjà beaucoup ! Le mythe d’une culture partagée rendue possible par la seule mise à disposition de l’information est d’évidence une illusion. Les usages scolaires de Wikipédia par les élèves en fournissent l’illustration quotidienne…

Parier sur l’autonomie de l’élève ?

L’élève, seul chez lui, investirait donc mieux le travail proposé du fait de la situation d’autonomie dans laquelle il se trouve. Cette autonomie, il convient tout de même de la relativiser ! Quelle possibilité d’autonomie pour l’enfant qui doit négocier en famille l’usage d’un ordinateur unique, qui doit se concentrer sur le contenu de la capsule dans une pièce où le volume sonore de la télévision ou des conversations est de niveau élevé ? Et, plus radicalement encore, quelle possibilité pour celui qui n’a pas accès à internet ?

Au-delà de ces questions matérielles, l’inégalité est aussi produite par la possibilité ou non d’un accompagnement. Qui aura la ressource disponible d’une aide ponctuelle, d’une relance motivationnelle, d’une exigence au travail et qui pourrait croire que cette profonde inégalité d’accompagnement servirait une démocratisation de la réussite scolaire ?

Quelle différenciation ?

Ce n’est pas grave, dira-t-on, puisque la différenciation proposée le lendemain en classe sera égalitaire, puisque basée sur un constat objectif des besoins. Il faudrait alors expliquer quel est l’enjeu de renforcer l’hétérogénéité de la classe en creusant encore les écarts en amont. Nous savons tous les grandes difficultés de l’enseignant pour réussir à prendre en compte des écarts de besoins parfois très importants. Est-on sûr qu’en creusant encore les différences par la leçon autonome préalable, nous n’exagérons pas la difficulté de l’enseignant ? Quant à la constitution de groupes de besoins, si elle s’avère pertinente pour résoudre des moments particuliers de l’apprentissage, peut-elle constituer la base systématique de son organisation ?

L’analyse des difficultés se heurte à deux problèmes majeurs pour l’enseignant. Tout d’abord celui de l’identification de la nature exacte de la difficulté non seulement en repérant la notion ou la compétence que l’élève ne parvient pas à construire mais en identifiant la nature de la résistance, identification nécessaire à une réponse centrée sur la difficulté singulière de l’élève. La seconde difficulté est de pouvoir faire une typologie des difficultés capable de présider à la constitution de groupes de besoin pertinents. Et là, on peut toujours théoriser un principe mais c’est autre chose que de devoir le décliner dans une organisation pédagogique efficiente. La pédagogie inversée ne résout aucun de ces deux problèmes majeurs. Que les élèves aient eu accès, au préalable, aux contenus par une leçon magistrale ou par une capsule vidéo, le problème didactique reste, en fait, pratiquement le même.   

Éloge de la didactique

Ce qui permet à l’ensemble des élèves de s’approprier des connaissances, de construire des concepts, de partager une culture commune, c’est la compétence professionnelle de l’enseignant à concevoir des situations d’enseignement et à les mettre en œuvre. Ces situations doivent être de nature différente : parfois, elles nécessitent le discours professoral, parfois elles nécessitent l’échange avec l’élève et entre les élèves. Parfois, elles doivent mettre à l’épreuve la compétence individuelle de l’élève ; parfois elles postulent au contraire des dynamiques des échanges, des confrontations de représentations, des résolutions partagées au sein de la classe entière ou de groupes d’élèves. Rien qui puisse être de l’ordre de la recherche d’un dispositif unique, d’une méthode pédagogique idéale. Au contraire, c’est la construction permanente, avant la séance et au cours de la séance, de situations d’apprentissages et d’interventions enseignantes permettant l’activité intellectuelle de l’élève.

L’affirmation qu’il existerait un contexte culturel actuellement qui ferait que les élèves pourraient apprendre seuls et n’auraient plus fondamentalement besoin des enseignants procède à la fois de la naïveté idéaliste et de l’ignorance sociologique. L’apprentissage nécessite une relation sociale et la médiation d’un adulte disposant d’une maîtrise professionnelle. Et vouloir opposer à cette affirmation l’exemple de quelques exceptions autodidactes relèverait d’un renoncement aux ambitions démocratiques d’un service public d’éducation.   

Des limites de l’outil numérique

Les outils numériques peuvent être un atout évident. Par exemple, le professeur de géographie qui dispose de ressources (photos, cartes, schémas) qu’il peut mettre à disposition de la classe, sur un tableau numérique, en fonction du déroulement du cours et des difficultés de compréhension des élèves a un avantage évident sur celui qui ne peut travailler qu’avec des documents photocopiés, préalablement choisis.

Mais est-on sûr que cela est vrai pour tout contenu disciplinaire ? Est-on sûr que pour apprendre aux élèves de cycle II à distinguer le présent, du futur et du passé, le visionnement d’une vidéo qui devra recourir à des analogies figurables est réellement adapté et facilitateur. Pour la plupart des élèves, les problèmes d’accord du verbe avec son sujet ne proviennent pas d’une ignorance de la règle mais de la difficulté à maîtriser les catégories grammaticales. Le wagon sujet s’accrochant à la locomotive verbe ou le petit personnage bleu bondissant sur un ressort pour aller s’accrocher au verbe ne pourront pas grand-chose pour lui ! L’observation partagée et débattue de la langue écrite au sein de la classe, à partir d’énoncés judicieusement choisis par l’enseignant, me parait très clairement une stratégie plus pertinente. Le numérique reste contraint par les limites de tous les outils : il ne peut prétendre à un apport qualitatif systématique. Parfois, il n’améliore rien, parfois il n’est qu’une illusion de progrès.  

La ritualisation pédagogique

Là encore, la diversité des pratiques des partisans de la classe inversée ne permet probablement pas une généralisation. Mais, on ne peut pour autant nier la part importante de la normalisation rituelle dans les discours faisant la promotion de cette forme d’organisation pédagogique. Quel paradoxe : ce qui devrait constituer le progrès premier des pratiques professionnelles serait, au contraire, de se dégager de tout dogme méthodologique pour développer des compétences d’adaptation à la réalité des situations.  

Je vais me limiter à un exemple de ritualisation : l’usage de la carte mentale. Pour avoir passé du temps à interroger des élèves sur leur compréhension de ces cartes mentales, je ne peux qu’être très dubitatif sur leurs effets d’élucidation des concepts. Mais, au-delà, le fait de vouloir croire qu’elles pourraient avoir quelque similitude avec la réalité des liaisons neuronales et de ce fait faciliter neurologiquement les apprentissages est cette fois-ci une véritable imposture. Nous sommes toujours devant le même problème, que de telles représentations graphiques puissent, à certaines conditions de qualité, aider des élèves dont les savoirs sont déjà très élaborés ne signifie pas que les élèves qui ne parviennent pas à conceptualiser une notion puissent le faire à partir d’une figuration aussi abstraite. Mais tout cela, a été l’objet de travaux depuis longtemps par les didacticiens des sciences qui ont posé les problèmes liés à la schématisation.

Il y a parfois une persistance tautologique à l’égard de l’élève quand, au constat de sa difficulté à comprendre une notion, on le confronte à cette même notion au travers de l’étiquette d’une carte mentale qui lui reste toujours aussi étrangère!

Passer du « face à face » au « côte à côte » 

Le slogan respire la positivité relationnelle. Voilà qu’une méthode serait de nature à révolutionner la relation entre professeurs et élèves. Pour avoir, de par mes fonctions, observé une grande diversité de pratiques pédagogiques, je sais qu’il n’y a pas de lien systématique entre l’organisation pédagogique des enseignements et la nature de la relation entre professeur et élèves. L’organisation en groupe de niveaux n’induit pas, par nature, une meilleure attention aux difficultés singulières de l’élève. Et la présence « côte à côte », celle de la succession des aides individuelles ne garantit pas l’efficacité de l’intervention sur le plan de l’apprentissage. Parfois même, cela produit la substitution des aides à l’enseignement. Une forme d’aide tellement obnubilée par la positivité relationnelle qu’elle ne s’aperçoit même plus qu’elle ne porte même plus sur de véritables savoirs à enseigner.

Notre société est traversée par une vision où la sollicitude, la bienveillance, le « care » sont prônés comme les vecteurs fondamentaux de l’amélioration du système éducatif. Dans un contexte de réduction budgétaire, cela peut être séducteur pour les décideurs financiers du fait de l’absence de coût structurel d’une pédagogie basée sur l’attitude personnelle de l’enseignant. Mais ne nous méprenons pas, si la qualité de la relation avec l’élève est un devoir éthique et une condition favorable à son apprentissage, cette qualité ne peut se résumer à la positivité de la relation. Et surtout, elle ne peut se substituer à ce qui reste le vecteur fondamental de l’accès aux savoirs et à la culture commune : la qualité didactique et pédagogique de l’enseignement.

L’ouverture d’un marché et ses conséquences

Si nous investissons cette question dans les perspectives du débat pédagogique, d’autres ont d’autres motivations et perçoivent déjà de formidables enjeux de marché… Le problème est que cette opportunité économique constituera le moins favorable des contextes pour que les finalités du service publique d’éducation restent premières. Et les plus ardents défenseurs de la classe inversée sont aujourd’hui les start-ups : « La pédagogie traditionnelle cela marchait peut-être à l'époque de Jules Ferry mais ce n'est plus du tout approprié pour la génération Google » explique l’un d’entre eux. C’est donc sur ce postulat de confiance absolue dans le pouvoir pédagogique de la modernité numérique que s’engagera le marché. À cent lieues des questions didactiques fondamentales qui doivent guider l’élaboration d’une situation d’apprentissage.  

Faisons un peu de prospective. C’est évidemment toujours hasardeux la prospective mais des évolutions récentes ne peuvent que confirmer l’engagement dans certaines perspectives. Lorsque sont apparues les premières expériences de formation continue à distance, le discours général s’accordait à se féliciter d’une diversification et d’une modernisation qui, évidemment, nous disait-on, ne pouvait se substituer à la nécessaire formation en présentiel. L’évolution très rapide qu’a connu la formation continue des enseignants témoigne de l’inverse… et bientôt Magistère, FOAD et autres Moocs auront en grande partie remplacé les formes collectives de la formation continue « traditionnelle ». Quand sur une telle situation, quelques prophètes assurent que la rupture des paradigmes est telle que le savoir ne se transmet plus par les enseignants mais par internet, on voit quelles perspectives peuvent se dessiner. On aura tôt fait de produire des services privés, conduits par la rentabilité économique, dont on peut craindre qu’ils n’assurent ni la démocratisation des savoirs, ni la garantie d’un enseignement à l’abri des propagandes.

Les enthousiasmes du ministère

Peu d’organisations pédagogiques ont obtenu aussi rapidement autant de soutien institutionnel. CLISE 2016 en a fait la preuve. Deux questions se superposent.

Celle tout d’abord du déplacement progressif depuis quelques décennies des enjeux de la politique éducative vers un investissement de plus en plus marqué pour la préconisation pédagogique. Je crois, à l’inverse, à la nécessité d’une distinction entre la responsabilité des politiques (fixer les finalités de l’action éducative et les contenus de l’enseignement) et celle des professionnels (concevoir et mettre en œuvre les enseignements). Mais nous avons eu récemment dans un discours ministériel préconisant une méthode d’apprentissage particulière, la dictée quotidienne, la preuve de cette confusion croissante.

Celle ensuite des raisons d’un engouement pour cette conception de l’organisation de la classe plutôt que pour une autre. C’est, je crois, qu’elle offre les attraits de la modernité sans entraîner de coûts budgétaires. Parce que s’il s’agissait seulement de défendre une meilleure prise en compte de la situation diversifiée des élèves, d’autres stratégies le permettraient sans doute avec davantage de certitudes et tout d’abord celles portées par la réduction des effectifs de chaque classe.  

On sait que des rapports ont affirmé que le temps d’enseignement, considéré comme supérieur en France à celui d’autres pays, pourrait être diminué. La réforme Darcos en instituant l’aide personnalisée a réduit l’horaire d’enseignement primaire de deux heures. En déportant une partie des apprentissages sur le temps familial, on pourrait craindre que l’école, perçue dans des enjeux essentiels d’aide personnalisée et de différenciation, puisse devenir modulable au gré des besoins. Une telle perspective dans un contexte de pression budgétaire se solderait évidemment par la réduction du temps de scolarité.

À nouveau, affirmer les enjeux de la formation didactique et pédagogique

Former les enseignants à produire des capsules vidéo est sans doute plus facile que d’engager une véritable amélioration de la compétence didactique. C’est là qu’est pourtant l’enjeu fondamental.

Que nous puissions constater que les enseignants ne sont pas toujours en capacité de répondre aux exigences de la démocratisation du savoir relève d’une évidence, celle de la grande complexité des mises en œuvre nécessaires. Cela ne peut être confondu avec une explication causale méthodologique. La responsabilité de l’État ne pourra se dissoudre dans la valorisation d’un modèle pédagogique quel qu’il soit. Elle doit se centrer sur la mise à disposition des moyens nécessaires pour que le projet politique d’un accès de toutes et tous à une culture commune dispose des moyens nécessaires pour devenir effectif. Cela nécessite bien sûr des effectifs permettant le travail collectif des élèves et la prise en compte des difficultés qu’ils rencontrent. Cela nécessite aussi une véritable ambition formatrice, à l’abri des engouements passagers pour un dispositif ou un autre, à l’abri des modes méthodologiques mais délibérément centré sur un accompagnement des pratiques professionnelles faisant le pari d’une diversité des mises en œuvre rendue possible par une maîtrise professionnelle toujours accrue.

L’avenir de notre système scolaire ne repose pas sur les fantasmes d’une transformation structurelle ou méthodologique radicale et miraculeuse mais sur la progression continue, laborieuse, collective des compétences professionnelles. Il ne sert à rien de fustiger la réalité de l’école et d’en noircir les traits pour quelques mirages et enthousiasmes provisoires. Il sera toujours bien préférable, dans la diversité de pratiques libres et responsables, d’accompagner la réflexion déterminée qui anime les enseignants dans leur volonté d’agir pour la démocratisation de la réussite scolaire.    

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