Nous avons été tellement maltraités par l’autoritarisme de Blanquer et le mépris de Macron que nous sommes épuisés, écœurés et en colère. Nous espérions une véritable alternative qui n’adviendra pas aujourd’hui. Mais, pour autant, comment pourrions-nous nourrir le moindre espoir dans l’élection de Marine Le Pen ? Au-delà des discours de dernière minute et de leurs tentatives de séduction, sommes-nous prêts à oublier ce que l’extrême-droite défend depuis des années au sujet de l’école et des enseignantes et enseignants ?
Suppression de postes
Ce qui nous attendra d’abord, c’est la réduction du nombre de fonctionnaires, les seules créations promises concernant la police. Marine Le Pen annonce une réduction des effectifs des classes mais c’est sans annoncer la moindre création de postes enseignants : qui pourrait la croire ?
Et puisqu’elle juge l’école « suradministrée » et supprimera donc des postes dans les services administratifs où les conditions de travail de nos collègues se détérioreront et par conséquence le traitement des dossiers administratifs des agents ! Déjà qu’on peinait parfois à payer les contractuels sans retard…
Et ne nous méprenons pas… si Marine Le Pen avait protesté contre la loi de Transformation de la Fonction publique, ce n’était pas pour défendre les commissions paritaires et l’égalité de traitement qu’elles garantissaient. C’était pour s’inquiéter d’un affaiblissement de l’État… État qui, pour l’extrême-droite, ne vise pas à être une garantie d’égalité mais l’instrument d’une domination au service de son idéologie.
Mérite
Si sont récemment apparues quelques promesses de revalorisation, ce ne sera pas par le dégel du point d’indice mais par le paiement au mérite. Je vous laisse imaginer ce qu’il sera, porté par un discours idéologique qui annonce que la finalité essentielle de l’école est de « restaurer l’autorité du maître et de l’institution scolaire ». Déclarer une telle intention ne réglera en rien les difficultés que nous rencontrons dans les classes mais par contre donnera le tempo d’un contrôle accru des pratiques enseignantes au prétexte de la nécessité de l’ordre. Du coup l’autoritarisme de Blanquer pourrait nous apparaître vite comme très relatif.
Égalité hommes-femmes
Si Marine Le Pen s’affirme aujourd’hui sensible à la cause féministe, l’exercice de son mandat parlementaire européen témoigne de l’inverse par son refus de voter les mesures égalitaires. Les avancées pourtant tellement insuffisantes seront mises aux oubliettes et les discours, aujourd’hui prudemment laissés aux seconds couteaux, resurgiront qui réservent aux hommes, par disposition naturelle, l’exercice du pouvoir et assignent aux femmes les tâches domestiques. Pour un peu qu’une volonté d’union laisse une place aux zemmouriens, c’est à un véritable recul historique que nous assisterons quant à l’égalité des droits.
Programmes et méthodes
Marine Le Pen annonce une loi qui définirait les modalités concrètes d’enseignement. Les enseignants, dit-elle, devront être les « fidèles exécutants de programmes politiques définis par le Parlement ». Quant à ceux qui se penseraient protégés par une sorte de garantie parlementaire, n’oublions pas que les réformes électorales annoncées par Le Pen visent un scrutin proportionnel pensé en sa faveur.
Ce sera donc la généralisation des injonctions soutenues par une obligation légale qui annonce des stratégies coercitives des plus vigoureuses.
Tout cela au service d’une réduction de l’enseignement aux fondamentaux qui se confond avec toutes les nostalgies de l’école d’antan. Nous savons qu’elles n’apporteront aucun soulagement à nos conditions de travail et qu’elles conduiront à renoncer à toute perspective égalitaire. L’obsession syllabique transposée dans toutes les disciplines et l’idéologisation des programmes : avons-nous envie d’enseigner le grand remplacement et les bienfaits de la colonisation ?
Et si ces mesures seront catastrophiques pour notre quotidien professionnel … que dire de leurs effets sur nos élèves et tout particulièrement ceux des milieux populaires.
Rabaissement de l’obligation scolaire à 14 ans.
Les annonces de Macron, si inquiétantes soient elles, sur une découverte des métiers visant une orientation plus précoce, sont bien timides face à l’annonce radicale de la suppression du collège unique par un rabaissement de l’obligation scolaire à 14 ans pour permettre une mise en apprentissage précoce. Contrairement à ce qu’elle prétend l’apprentissage salarié ne garantit pas l’accès à l’emploi mais s’avère très ségrégatif pour les filles et les étrangers. Marine Le Pen l’a déclaré au Medef, la filière professionnelle sera livrée aux entreprises et les aides versées ou l’attribution de chèques-formation conduiront à un monopole du marché où les volontés des branches patronales guideront la définition des contenus. Quid de la formation du citoyen sur ses droits, si elle est livrée à la volonté des entreprises ?
Suppression de l’éducation prioritaire
En Éducation prioritaire, les menaces de Macron sur les REP deviennent chez Le Pen, la suppression immédiate de « toute discrimination positive » … pour le dire clairement la fin pure et simple de l’Éducation prioritaire. Associé à une libéralisation amplifiée de la carte scolaire et aux concessions faites à l’école privée, on imagine facilement la ghettoïsation accrue des écoles de banlieues qui en découlera. La difficulté du travail enseignant s’accroîtra et, avec, l'échec des élèves des milieux populaires.
Autoritarisme accru
Mais le plus difficile, pour nos vies professionnelles quotidiennes, sera sans doute la manière avec laquelle, la culture de la gouvernance se pliera, hors de trop rares résistances, à des injonctions insupportables parce que marquées par une idéologie réactionnaire, raciste et sexiste. Quelles pressions seront faites sur nous quand il sera jugé que nos pratiques professionnelles sont inspirées d’une « idéologie pédagogique mortifère »? Certains présument une résistance républicaine de l'institution scolaire... mais la politique libérale néomanagériale a préparé le terrain d'un autoritarisme violent en déréglementant et en développant les pouvoirs personnels. La conception du chef, chère à l’extrême-droite, viendra légitimer tout ce qui semblera de près ou de loin obéir aux stratégies de l’ordre. Pensons à ceux qui, une fois Le Pen élue, devront subir au quotidien les ordres d’un directeur, d’un principal ou proviseur, d’un Dasen acquis aux idées de l’extrême-droite ou partisan de concessions nécessaires ?
Pensons à celles et ceux qui seront la cible de parents partageant les opinions de Marine Le Pen, devenus plus vindicatifs et auxquels l’institution laissera le champ libre.
Quelles seront les initiatives de l’institution dans une école censée lutter contre « la décadence des mœurs » ? Celles et ceux qui diffamèrent des enseignantes et enseignants au moment de l’ABCD de l’égalité auront le champ libre pour exprimer et exercer leurs haines idéologiques.
Estime et reconnaissance
Quant à l’estime... que pouvons-nous attendre d’un parti qui affirme « la responsabilité des enseignants dans la dégradation et dans la décadence du sentiment national » ? N’oublions pas que, hormis les risettes électorales, l’extrême-droite dénonce notre laxisme, nous accuse de ne plus rien apprendre aux élèves voire de « génocide culturel » . Et pour justifier son idéologie d’ordre, l’extrême-droite a besoin de nous désigner comme les agents du désordre et de la décadence.
Enfin, n'oublions pas que se généraliseront les menaces de ceux qui, s’estimant désormais légitimes, auront à cœur de venir faire peur à l’islamo-gauchiste ou au syndicaliste qu’ils dénonceront en nous. De la menace à l'exercice de la violence, il n'y a pas toujours très loin... surtout chez ceux qui professent et agissent cette violence. N'oublions pas les agressions dont été déjà victimes des enseignants, à Lyon ou à Paris par exemple, par des militants d'organisations d'extreme-droite dont la présence avait semblé "logique" au dernier colloque organisé par Marine Le Pen sur l'éducation...