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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 16 août 2023

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Nouveau décret sur l’autorité du directeur

Avec son obsession d'instaurer l'autorité comme principe de pilotage, la droite laisse ses intentions idéologiques submerger la réalité concrète de l'école aux dépens des élèves comme des enseignants

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Le décret publié le 14 août dernier met en application les principes de la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d'école, loi dite Loi Rilhac.
A l’examen technique du texte, on conviendra vite que la définition des missions, telle qu’exprimée dans ce décret, ne porte aucun changement notoire dans les tâches confiées aux directeurs et directrices. L’essentiel n’est pas là mais dans l’affirmation idéologique d’une autorité, désormais affirmée « sur l'ensemble des personnes présentes dans l'école pendant le temps scolaire ».

Dans la réalité concrète de la vie administrative des écoles, cela ne changera pas grand-chose car à défaut d’un pouvoir statutaire, les directrices et directeurs ne pourront prendre aucune mesure coercitive, ces dernières restant réservées au directeur académique. Pour prendre un exemple concret, le directeur ou la directrice qui souhaiterait agir contre un enseignant qui arriverait régulièrement en retard ou qui ne tiendrait pas ses obligations de présence en conseil de maîtres ou conseil d’école, ne disposera de rien de plus qu’aujourd’hui.
Quant aux pratiques pédagogiques au sein des classes, la liberté pédagogique laisse encore une belle marge d'autonomie à l'enseignant pour concevoir ses enseignement tout en respectant le cadre des programmes. 

Alors que vise une telle évolution réglementaire ?
A en croire les arguments du rapport Rilhac destiné à argumenter le bien-fondé de la loi proposée en 2021, il s’agissait d’améliorer les conditions de travail des directrices et directeurs… Mais rien n’a été fait dans ce sens, ni pour améliorer les conditions matérielles de l'exercice des missions de direction, ni pour garantir des moyens humains d’assistance administrative… ni pour mettre fin à l’augmentation incessante des demandes dont directrices et directeurs ne cessent de dire combien elles rendent leurs vies professionnelles difficiles et d’alerter sur les risques psychosociaux qu’elle engendre. Le ministère ne communique aucun chiffre sur le sujet mais le témoignage des acteurs de terrain suffit pour affirmer la gravité de la situation.

Un discours fantasmatique : l’école a besoin de chefs !
Ce que la loi veut donner, c’est de l’autorité…
Un discours fantasmatique que la droite serine depuis des décennies et qui voudrait nous faire croire que les difficultés de l’école face à son ambition de démocratisation des savoirs seraient vaincues par une restauration de l’autorité.
Un vieux principe simpliste que le ministre Chatel exprimait en affirmant que pour bien fonctionner l’école n’avait pas besoin de moyens mais de patrons !
Que feront les directeurs de cette autorité sur l’ensemble des personnels ?
Dans une institution qui peine désormais à recruter des enseignants, qui a renoncé à les former à la hauteur des besoins, qui réduit année après année les exigence nécessaires pour se voir confier une classe… qui pourrait imaginer que l’autorité du directeur serait la clé de résolution des problèmes ?
Par contre, on imagine facilement que, chez des directrices ou des directeurs autoritaristes, un tel décret ouvrira la porte à la multiplication de conflits et de tensions qui dégraderont le travail collectif.

L'idéologie à l’épreuve de la réalité concrète
Nos gouvernants ont choisi l’affirmation de l’autorité comme ligne directrice de leurs volontés politiques, l’intention idéologique submergeant la réalité concrète. Ce fut le choix par exemple pour Gabriel Attal dont la première intervention ministérielle s’est focalisée sur le rétablissement de l’autorité « au cœur de l’école ». Dans un temps où la dégradation des conditions d’exercice des métiers de l’Education nationale produit une inquiétant pénurie, on peut toujours tenter d’affirmer l’autorité du directeur…
Mais quand le travail d’un directeur se heurte au comportement d’un élève pour lequel l’école ne dispose pas des moyens raisonnablement nécessaires pour permettre son inclusion …
Quand il se heurte à une carence des moyens de remplacement qui impose des organisations nuisibles aux apprentissages quotidiens des élèves dans les classes…
Quand il constate l’incurie de la formation pour aider des enseignants qui ne parviennent plus à aider suffisamment leurs élèves…
Quand la surcharge de tâches administratives vient envahir son emploi du temps et l’empêche de se consacrer à l’animation du travail pédagogique de son équipe…
Qui pourra croire qu’une affirmation réglementaire renforcée de son autorité viendra améliorer ses conditions de travail et sa capacité à fédérer le travail collectif de l’équipe enseignante?

L’accord des bonnes volontés s’employant à l’œuvre commune
Il y a plus d’un siècle, un autre texte réglementaire instituant le conseil des maîtres, avait fait un autre choix, celui de la collégialité
« L'école est une, quel que soit le nombre de ses maîtres, et tout enseignement est une collaboration : collaboration des maîtres entre eux en vue de la formation intellectuelle et morale de l'enfant ; collaboration des maîtres et des familles. Il n'est pas de conception plus fausse, plus étrangère à nos habitudes d'égalité et de bonne confraternité, que celle qui maintiendrait le directeur et ses adjoints dans un isolement mutuel, le premier concentrant en sa personne toute la vie administrative et pédagogique de l'école, les seconds réduits à une obéissance étroite et bornant leur activité à enseigner suivant des méthodes et des principes acceptés sans discussion et sans foi et imposés d’autorité. L'unité ainsi obtenue frapperait par avance l'enseignement de stérilité ; pour être féconde, l'harmonie doit être faite de l'accord de toutes les bonnes volontés s'employant à l'œuvre commune[1] »
L’époque n’était pas pour autant portée sur la négation de l’autorité… Le reste de la circulaire en témoigne largement. Mais c’était un temps où personne ne confondait les perspectives d’intérêt général de l’école républicaine avec la modélisation idéologique du service public sur le management entrepreneurial.

[1] Circulaire du 15 janvier 1908 citée par Ferdinand Buisson, Nouveau Dictionnaire de Pédagogie et d'Instruction primaire, 1911, article « Conseil des maîtres »

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