Tout au long de l’été la presse, notamment locale, a évoqué les « colos apprenantes ». La tonalité des discours n’est pas uniforme mais nombre d’articles nous expliquent que leur enjeu est de rattraper le retard scolaire des élèves voire lutter contre le décrochage : des vacances avec « une dimension scolaire » pour « renouer avec les apprentissages » et « remobiliser les savoirs » « pour réussir la prochaine rentrée scolaire ». Ministres, recteurs, préfets se sont déplacés au service de la promotion d’un concept dont ils s’évertuent à nous démontrer les aspects innovants et originaux.
Profiter des vacances pour apprendre … rien de très nouveau en fait. C’est une réalité sociale qui a plus d’un siècle et qui, dès l’origine, a conçu les colonies de vacances dans une perspective éducative et culturelle. Les initiatives en étaient multiples : associations, municipalités, caisses scolaires, paroisses, comités d’entreprise mais toutes affirmaient clairement une vocation sociale et éducative. Progressivement le financement public a fortement contribué à leur développement et les services de l’État ont opéré un contrôle qualitatif notamment par l’exigence d’une certification des animatrices et animateurs et de normes de sécurité exigeante. D’évidence les enjeux d’apprentissage n’y manquaient pas qu’il s’agisse d’apprendre à observer et respecter la nature, de développer des savoirs techniques, de pratiquer des activités sportives et artistiques, d’éduquer à l’hygiène ou à la santé … Depuis leur origine, les colonies ont été « apprenantes » !
Le seul élément nouveau des « colonies apprenantes » mises en œuvre par Jean-Michel Blanquer est de vouloir leur assigner des objectifs scolaires contrôlés par l’attribution d’un label nécessaire à l’obtention des financements. Cette assignation n’est pas sans poser question.
Déjà elle nourrit l’illusion que l’apprentissage scolaire pourrait se confondre avec toute activité annonçant un but d’apprentissage, c’est à dire qu’elle nie la spécificité du travail permis par une formation professionnelle enseignante. Qui pourrait croire qu’en quelques heures d’activités, un élève rencontrant des difficultés complexes d’apprentissage pourrait les vaincre quand elles ont résisté à maintes situations didactiques et pédagogiques tout au long de l’année scolaire? Et ce n’est pas douter des capacités des animatrices et animateurs de centre de vacances que de dire cela mais faire le constat de la spécificité de leurs compétences par rapport à celle des enseignantes et enseignants.
Ensuite, assigner un objectif scolaire aux colonies de vacances conduit à renoncer à ce qui constituait justement leur intérêt éducatif majeur : ne pas être soumis aux exigences des impératifs scolaires mais penser les objectifs d’apprentissage au travers d’activités de loisirs. Vouloir donner aux colonies de vacances des finalités scolaires, c’est mettre à l’écart la culture de l’éducation populaire qui défend d’autres modalités, d’autres dynamiques d’accès aux savoirs que celles mises en œuvre par l’école. C’est une richesse et une garantie pour la démocratie que l’accès à la culture puisse procéder à la fois d’un service public d’éducation assuré par l’État et d’initiatives citoyennes et associatives. Nous ne pouvons que nous inquiéter de la confusion de l’un et de l’autre.
A cela se mêle une stratégie économique déjà mise en œuvre, par ailleurs, par les projets ministériels de Jean-Michel Blanquer : celle du développement de la délégation aux entreprises marchandes. Les financements ne sont plus réservés aux associations agréées Jeunesse et éducation populaire mais peuvent être obtenues par entreprises à but lucratif, pudiquement désignées comme « opérateurs de colonie de vacances » ou « opérateurs de tourisme ».
L’ambitieux projet de loisirs éducatifs pour pour les vacances des enfants et des adolescents n’a rien à gagner à se contraindre à un prétendu rattrapage scolaire. Les associations et les collectivités doivent faire face à des difficultés financières majeures, notamment liées à la mise aux normes des structures d’accueil et au coût croissant des frais de fonctionnement. Elles ont besoin d’être d’un investissement financier public majeur qui leur permette de lutter pour retrouver une véritable mixité sociale, face à une polarisation sociale des vacances collectives pour mineurs qui résulte d’une offre marchande de séjours de consommation d’activités spécialisées ou aux destinations lointaines réservées aux catégories sociales les plus favorisées et séjours gratuits pour les familles aux plus faibles revenus et de l’exclusion des classes moyennes dont les salaires sont trop élevés pour bénéficier d’aides et trop faibles pour financer. Leur assigner d’organiser des devoirs de vacances ne leur permettra en rien de résoudre ces problèmes.
C’est une politique déterminée de défense et de soutien de l’éducation populaire qu’il faut mettre en œuvre, riche de la diversité des projets associatifs, capables de faire vivre aux enfants et aux adolescents une autre expérience sociale que celle de la famille et de l’école. Et nul doute que des enfants et des adolescents qui en bénéficieront y trouveront des ressources qui contribueront à leur réussite scolaire sans qu’il ait été besoin de leur faire faire des « devoirs de vacances » en colo !