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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 20 juillet 2023

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De la prétendue démission parentale dans les familles populaires…

[Rediffusion] La récurrente accusation d'une démission éducative des familles populaires ne repose sur aucune analyse objective. Elle s'inscrit dans une volonté de se débarrasser de la question sociale en considérant les classes populaires comme dangereuses et responsables de leur sort, histoire de prendre les victimes pour des coupables.

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A la suite des émeutes des derniers jours de juin 2023, l’accusation d’une négligence parentale a ressurgi dans les discours. Oscillant entre démagogie et accusations haineuses, les propos vont jusqu’à nier le principe même de notre justice pénale («Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait[1]») pour réclamer l’emprisonnement des parents.

Et le président de la république d’appeler à une sanction financière : « Une sorte de tarif minimum dès la première connerie ». Punir en supprimant les allocations familiales ou en réclamant des amendes pénales. Punir celles et ceux qui du seul fait de leur appartenance sociale seraient inconscients des enjeux de l’éducation et ne pourraient les prendre en compte que sous la menace d’une sanction financière ou pénale. Comme si la crise adolescente, complexe dans les familles bourgeoises qui n’hésitent pas à financer thérapies et soutiens pour les dénouer, obéissait dans les milieux populaires au seul manque de fermeté parentale. « Deux claques et au lit », préconise le préfet de l’Hérault, incitant les parents à contrevenir à la loi du 10 juillet 2019 relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires. Punir en privant une population entière de loisirs estivaux comme l’a décidé la municipalité de Blanc-Mesnil[2] reprenant à son compte le vœu de Valérie Pécresse de leur «pourrir les vacances[3]».

Mais qu’en est-il réellement de cette prétendue carence éducative des parents de milieu populaire? Depuis près d’un demi-siècle la sociologie de la délinquance et de la violence adolescente ne cesse de nous mettre en garde contre une attribution causale fondée sur la défaillance familiale[4]. La moindre analyse objective fait apparaître que l’indiscipline adolescente, y compris dans ses formes les plus graves, est largement partagée par tous les milieux sociaux.  

Bien sûr, il existe des familles négligentes dans les quartiers populaires mais pas davantage que dans les quartiers bourgeois : la lecture des faits divers fait apparaître que ce fait n’épargne aucun milieu social. Le vieux fantasme de la dangereuse incapacité des classes laborieuses permet si facilement de vanter le modèle de l’éducation bourgeoise qu’il arrive que les donneurs de leçons soient devenus amnésiques de situations concernant pourtant leurs propres enfants.

La réalité des vies

La lucarne médiatique produit souvent le récit d’une apparente évidence qui lierait l’exigence éducative au niveau social. Celles et ceux qui connaissent la vie réelle des familles populaires savent combien ces récits sont déformants car ce qu’ils constatent, au quotidien des vies de ces parents, c’est une volonté déterminée de réussite scolaire et professionnelle pour ses enfants, des exigences fortes sur leur travail comme sur leur comportement et l’espoir d’une vie plus confortable que la leur. Mais rien n’est simple quand les horaires de travail et les temps de transports réduisent considérablement la disponibilité sans que des revenus suffisants viennent offrir les ressources d’un service de garde des enfants à domicile.

C’est pour nourrir, vêtir et loger leurs enfants que tant de femmes les laissent seuls, sous la responsabilité d’un frère ou d’une sœur.

C’est parce que l’espace fait défaut dans l’appartement trop exigu que les enfants ne peuvent être épargnés des influences parfois nocives des cages d’escalier et des bas d’immeubles parce que le jardin clos de la maison individuelle ne les en protège pas.

Et quand la dégradation de la situation économique et sociale fragilise, rend l’avenir toujours incertain, nourrit le sentiment d’un doute permanent sur soi-même, comment trouver l’assurance de l’autorité parentale ?
Voilà une vie quotidienne de difficultés, de fragilités, de doutes … Elle ne peut être confondue avec un renoncement éducatif. Elle n’aspire qu’à être soutenue mais nul doute que le nombre élevé de places manquantes pour accueillir les jeunes enfants, que le manque de moyens accordés à la PMI, que les inégalités d’accès à la santé, à la culture, aux vacances ne contribuent guère à ce soutien.

Quant aux prétentions de l’État à tenir un discours moral sur la responsabilité éducative, instrumentalisé au gré des nécessités politiques du gouvernement, rappelons qu’elles ne sont pas à l’abri de défaillances. Lorsqu’un défaut d’éducation parentale réel nécessite une mesure judiciaire pour protéger un enfant, la politique mise en œuvre en la matière et notamment les moyens qui y sont consacrés sont loin de répondre aux besoins, les descriptions alarmantes de bien des rapports en témoignent.

[1] Code pénal, art.121-1

[2] L’Humanité, 1§ juillet 2023

[3] BFMTV, 5 juillet 2023

[4] GIOVANNONI Laurence, La « démission parentale », facteur majeur de délinquance : mythe ou réalité ? Sociétés et jeunesses en difficulté, n°5, printemps 2008

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