La note de service de la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) du 10 janvier 2023[1] est le témoignage de l’incurie didactique de ceux qui prétendent aujourd’hui dicter le travail enseignant et ne font que répéter quelques propos de sens commun dont l’évidence apparente a pourtant été mise en doute par maints travaux de recherche.
Pour éviter toute ambiguïté, réaffirmons tout d’abord qu’aucun discours raisonnable ne pourrait nier l’importance de la grammaire et de l’orthographe dans la maîtrise de la langue.
Pour autant, cela ne permet pas d’affirmer que la maîtrise des règles orthographiques et grammaticales constitue l’enjeu essentiel de démocratisation de l’apprentissage de la langue. Le ministère et l’institution scolaire devrait au contraire combattre cette idée reçue qu’une maîtrise des règles par l’exercice pourrait suffire à construire les compétences nécessaires. Ils depour inciter à des pratiques de production et d’échanges qui permettent de construire les savoirs nécessaire à l’usage de la culture écrite. Nous savons la complexité et les exigences de formation qui en découlent mais le ministère semble préférer se réfugier dans des poncifs où le sens commun prétend pouvoir remplacer l’expertise didactique.
L’orthographe et la maîtrise de la langue
Dans cette note de service, tout cela commence par une confusion entretenue sur le fait que la « dégradation substantielle du niveau en orthographe » constituerait le témoin essentiel d’un déficit de maîtrise de la langue. Toute la semaine les médias ont résonné du même amalgame dans les propos d’un ministre qui tente de faire croire que le retour à la dictée quotidienne constituerait la stratégie essentielle d’une réussite plus égalitaire des élèves. Il prend ainsi la suite de nombreux de ses prédécesseurs[2] qui se saisirent de l’orthographe pour en faire le signe de leur attachement aux apprentissages fondamentaux. Il reprend des principes régulièrement énoncés depuis le XIXe siècle qui affirment que la dictée est « le fondement de l’enseignement de la langue[3] ». Or, linguistes et didacticiens ont depuis longtemps exprimé leur désaccord avec cette affirmation. Et pas seulement dans les années 1970... A la fin du XIXe siècle, le linguiste Michel Bréal invitait déjà à centrer l’enseignement sur la production de textes et non sur l’orthographe. Jules Ferry qu’on invoque[4] à tort comme l’initiateur de la dictée quotidienne dénonçait les procédés de la « vieille méthode grammaticale » et de la dictée qui « consument tant de temps en vain[5] ».
Et toute la recherche didactique des dernières années du XXe siècle viendra le confirmer[6].
Pour une pratique régulière de la production d’écrits ?
La note de service affirme que « la pratique régulière de l'écriture de phrases et de textes complets est essentielle » mais elle insiste tant sur le fondement lexical, orthographique et grammatical de cette pratique, qu’elle finit par résumer l’attente en fin de CM2 à une capacité à écrire « un texte de 15 lignes en respectant les règles orthographiques, syntaxiques, lexicales et de présentation » : les éléments de culture textuelle comme les enjeux de sens et de communication sont négligés au point qu’au moment de lister les conditions de maîtrise des « compétences complexes » nécessaires à la production d’écrits, n’est affirmée que l’automatisation des règles de grammaire et d’orthographe ! L’appropriation de « schémas argumentatifs et narratifs » est citée mais elle est noyée dans la répétition de l’exigence d’automatisation grammaticale et orthographique dont il est affirmé que l’outil est la dictée quotidienne.
Si le discours institutionnel évoque les pratiques de production d’écrits, la conviction manque clairement pour en faire un objet de travail conséquent. Il suffit de regarder les ressources proposées aux enseignants par Eduscol : les principes généraux énoncés[7] comme la liste des outils proposés au téléchargement se focalisent sur le code, la grammaire et l’orthographe.
Un déni de la réalité
Le paradoxe est que l’analyse objective des pratiques ne fait pas apparaître un déficit de l’enseignement grammatical et orthographique. Au contraire, c’est de l’enseignement de la production d’écrits que l’Inspection générale a souligné la part très réduite[8] : l’étude de la grammaire, de la conjugaison et de l’orthographe continue à occuper une place très importante dont le rapport affirme qu’elle se fait « au détriment de l’enseignement de la compréhension et du travail sur la production écrite ou sur l’oral».
De même, le rapport sur la mise en œuvre des programmes de 2008[10] ne faisait aucunement un constat de déficit quantitatif de l’activité grammaticale et orthographique, constatant même parfois l’existence de « nombreuses séances […] pour un bénéfice limité ».
Et il y a une véritable malhonnêteté à vouloir se référer à PIRLS pour justifier la nécessité d’un renforcement de l’enseignement de la grammaire et de l’orthographe quand la conclusion essentielle de cette enquête pour la France est celle d’une pratique insuffisante des activités susceptibles de développer les stratégies et les compétences de compréhension de l’écrit notamment du fait d’un déficit de formation continue sur le sujet[11].
L’obsession de la fluence
Les défenseurs de la politique ministérielle insistent pour souligner un discours constant, y compris dans cette note de service, qui incite à développer le travail de la compréhension des textes. Mais, là encore, la part donnée à la maîtrise technique submerge tout le reste par l’insistance donnée à la fluidité du décodage. La part accordée à la fluence dans le discours institutionnel est telle que les activités destinées à son amélioration ont envahi les pratiques de classe aux dépens du travail sur la compréhension.
Dans le dispositif « 6è tremplin » de l’académie d’Amiens, qui a été choisi comme modèle national pour l’aide aux élèves en difficulté en 6ème, nous découvrons que l’évaluation de la difficulté en fin de CM2 repose exclusivement sur dictée et fluence et que l’objectif de l’évaluation après l’aide est la fluence[12] !
A moins de se contenter de la maîtrise de quelques habiletés suffisantes pour répondre aux obligations incontournables de la vie sociale et de l’emploi, ce n’est pas le recours à quelques poncifs de sens commun qui pourrait permettre la démocratisation des usages maîtrisés de la langue écrite. Face à la complexité des questions d’enseignement de la langue, l’école a besoin de réinvestir le travail didactique. La responsabilité du ministère est de lui en donner les possibilités en accordant les moyens nécessaires à la formation initiale et continue et en renonçant à une stratégie de prescriptions méthodologiques fondées sur des poncifs de sens commun.
[1] Note de service du 10-01-2023, Renforcer la maîtrise des savoirs fondamentaux des élèves en CM1, CM2 et 6e (cycle 3) pour faciliter leur entrée au collège.
[2] Jean-Michel Blanquer en septembre 2018, Najat Vallaud-Belkacem en septembre 2015, Luc Chatel au printemps 2012, François Fillon en 2004, Jean-Pierre Chevènement en 1984…
[3] Circulaire Rouland, 20 août 1857
[4] Et sans craindre une symbolique des plus grossières… c’est à l’école Jules Ferry de Clermont-Ferrand l’école que le ministre met en scène une dictée à laquelle il procède lui-même auprès des élèves de CM2.
[5] Jules FERRY, Congrès pédagogique des directeurs et directrices d’écoles normales et des inspecteurs primaires, 2 avril 1880
[6] Le groupe d’Écouen, l’équipe EVA, Catherine Tauveron, Josette Jolibert, Claudine Garcia-Debanc, Bernard Schneuwly et tant d’autres…
[7] EDUSCOL, Principes généraux pour l’étude de la langue, novembre 2018
[8] IGÉSR, L’enseignement au cours moyen : état des lieux et besoins, 2022-048, avril 2022, p.34-35
[10] IGEN, Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008, 2013-066, p.19-20
[11] Marc COLMANT, Marion LE CAM, PIRLS 2016 : évaluation internationale des élèves de CM1 en compréhension de l’écrit, Note d’information 17.24, DEPP
[12] Les 6è tremplin, Académie d’Amiens, novembre 2022