Tout semble obéir à une incontournable logique. Celle de faire face à une pénurie de recrutement qui imposerait une nécessité inéluctable : trouver rapidement des professeur·es, capables d’assurer un enseignement de français qui, sans cela, ferait défaut aux élèves. Et la procédure que met en œuvre l’académie de Dijon, fait la démonstration d’une capacité à répondre à l’urgence tout en affichant ne pas vouloir en rabattre de l’exigence : des entretiens de recrutement visent à garantir une capacité à assurer les enseignements de français en vérifiant la connaissance des programmes comme les compétences pédagogiques et didactique.
Tout pourrait conduire à une lecture superficielle de la situation qui nous amènerait à nous réjouir que, face aux difficultés créées par l’attractivité faible des métiers enseignants, notre administration fasse preuve d’inventivité tout en maintenant des exigences qualitatives.
Mais le propre des stratégies néolibérales est de produire ces illusions. On crée délibérément la crise et on défend que, face à son imparable existence, tout doit être tenté pour y remédier au mieux. En réalité, dans le processus de résolution engagé, se trouvent tous les éléments qui nous acheminent, à petites doses, vers une réforme profonde : ce qui apparaît comme une contrainte de crise est une stratégie de transformation.
Et pour la rendre acceptable, on soigne la façade en déclarant des intentions de garanties qualitatives alors que l’arrière-boutique prépare déjà les conditions d’un recrutement « souple », débarrassé des obligations statutaires.
L’habilité extraordinaire des stratégies néolibérales est le soin accordé à cette « façade » parfois par les seules habiletés rhétoriques du discours, parfois par des mesures effectives mais peu durables.
Dans ses résolutions actuelles, la stratégie de recrutement de l’académie de Dijon peut paraître raisonnable : elle se limite à des enseignants titulaires qui ont fait des études littéraires dont elle vérifie et atteste les compétences. Mais… ce cadre ne sera pas suffisant pour régler le problème alors les formulations prévoient déjà un usage extensible et sont prêtes à assouplir les conditions.
Ainsi évoque-t-on « des études littéraires », ce qui permet d’ouvrir largement l’empan des disciplines concernées… D’autant que ces études littéraires peuvent n’avoir constitué qu'« un moment donné de [la] formation initiale », ce qui constitue un minimum très minimal… que l’on pourrait finir par reconnaître à un simple bachelier puisque des « études littéraires » ont constitué « un moment donné de [sa] formation initiale ».
Dans les académies très déficitaires, nous avons pu observer ce jeu d’affaiblissement des critères avec le recrutement des contractuels :
- étape 1 : Un besoin urgent impose, au nom d’une impérative nécessité, un recrutement de contractuels. Au vu de la situation, on voit mal comment ne pas accepter.
- étape 2 : Pour rassurer, on affiche une volonté qualitative en posant des contraintes de recrutement exigeantes et en tenant des discours d'ambition !
- étape 3 : Au vu des difficultés croissantes de recrutement, on assouplit des critères et, in fine, on réduit les exigences minimum de recrutement
- étape 4 : De plus en plus d’agents et d’usagers finissent par s’habituer à ces conditions nouvelles, modifient leurs représentations et s’«acculturent» à une conception nouvelle.…
- étape 5 : Cette acculturation permet désormais d’engager les réformes « expérimentées » par voie légale et réglementaire pour les généraliser.
C’était la vieille formule de Luc Chatel quand il était ministre de l’Éducation nationale : "L’Éducation nationale a moins besoin de grands soirs que de petits matins quotidiens. C’est en travaillant à bas bruit, sous les radars, que les conséquences de nos réformes seront absolument majeures."