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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 23 décembre 2023

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Nouvelles volontés d’injonctions pédagogiques en histoire et géographie...

Roger Chudeau et les députés du Rassemblement national proposent de contraindre, par la loi, à l’affichage d’outils pédagogiques dans la classe : une frise chronologique représentant l’histoire de France et une carte de France !

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Plus aucune limite à la volonté de certains élus de vouloir enjoindre les enseignants à obéir à leurs desiderata pédagogiques : Roger Chudeau et les députés du Rassemblement national proposent de contraindre, par la loi[1], à l’affichage d’outils pédagogiques dans la classe : une frise chronologique représentant l’histoire de France et une carte de France !
Pour ceux qui l’auraient oublié, Roger Chudeau est celui qui avait fait scandale en méprisant ouvertement, au sein même de l’Assemblée nationale, des élus syndicaux représentants des personnels[2].  

De la justification de l’abus d’autorité
Qu’il soit légitime que le débat parlementaire interroge les finalités de l’école et réaffirme celles qui instituent le citoyen, ne peut se confondre avec la prescription de pratiques pédagogiques.
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi de Chudeau, il est rappelé qu’« il ne revient pas au législateur d’intervenir dans la didactique d’une discipline ». Voilà qui suffirait en principe à ce que cette proposition de loi  ne puisse exister mais on nous explique qu’il est de la responsabilité du législateur de « veiller […] à ce que soit illustré de manière iconique dans chaque classe, le processus de construction de la nation française. ». 
Un magnifique exemple de langue de bois puisque nous ne sommes très clairement plus dans une question de finalité mais de modalité pédagogique (« illustrer de manière iconique »). Cet argumentaire affirme à la fois l’illégitimité du législateur à se préoccuper de pédagogie et sa légitimité à le faire !
Et de nous expliquer que, de toutes façons, prescrire des affichages n’est pas nouveau.

Quelles obligations d’affichage ?
Rappelons à l’occasion ce que sont les obligations actuelles dans les classes : aucune !

Quelques obligations existent à l'échelle de l'école ou de l'établissement : affichage de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[3] et affichage de la Charte de la laïcité[4]. D'autres existent pour des raisons qui ne sont pas liées aux finalités éducatives, par exemple les consignes de sécurité. 

Pour le reste, rien d’obligatoire.
Ceux qui considèrent comme toujours en vigueur l'arrêté du 18 janvier 1887 qui exigeait l’affichage de l’emploi du temps dans la classe, risquent d’être en difficulté avec d’autres prescriptions de ce même arrêté ... par exemple sur les exercices des bataillons scolaires ou les 30 heures d’enseignement hebdomadaire !
A l’école primaire, la force de l’habitude conduit certaines directeurs ou inspecteurs à exiger des affichages qui n’ont en réalité aucune obligation réglementaire (liste des élèves, pyramides des âges, listes des poésies, …). Tout cela n’a aucun fondement d’obligation légale ou réglementaire.

Une stratégie d’imposition idéologique
Mais en réalité la volonté de ces instructions abusives a pour visée essentielle d’instrumentaliser l’école au service d’une idéologie. Ici on voit bien comment l’obligation d’affichage permettrait d'induire une frise chronologique dont les choix seraient loin d’être neutres. Dans un texte visant à demander la création d’une commission d’enquête sur l’école[5], Roger Chudeau déplorait déjà que l’enseignement de l’histoire soit incapable de construire, chez les élèves, une « identité culturelle et civilisationnelle » permettant de se sentir héritier de l’histoire française dont il citait comme : Clovis, Saint Louis, Jeanne d’Arc, Colbert… L’instrumentalisation tendancieuse de l’histoire apparaît clairement dans une liste aussi peu exhaustive et on devine, en creux, ce que seraient les événements essentiels de la frise! 

Et puisque Roger Chudeau aime à citer Condorcet, sans doute faut-il lui rappeler que ce dernier affirmait qu’ «aucun pouvoir public ne [doit] avoir ni l’autorité, ni même le crédit d’empêcher [...] l’enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés ».
C’est cela même qui fait le fondement de l’École en démocratie que de ne pas pouvoir l’asservir aux volontés d’une politique particulière.

[1] Proposition de loi 2035, 21 décembre 2023
[2] Voir en ligne Éditorial de la lettre de l’IR.FSU du 28 septembre 2023
[3] Code de l’Education, article L. 111-1-1
[4] circulaire n° 2013-144 du 6 septembre 2013
[5] Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’état de l’école de la République, 8 juin 2023

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