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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 24 mars 2023

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Recrutement enseignant: bricolages de surface et ruptures de fond…

La politique scolaire actuelle consacre une insuffisance de moyens qui produira une carence croissance de l’ambition démocratique d’éducation. L’histoire se souviendra de notre temps comme du temps où on aura renoncé aux valeurs les plus fondamentales de l’école pour des motifs strictement financiers ne concernant que les intérêts d’une petite élite de privilégiés.

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Le constat ne fait désormais plus aucun doute : la crise qui affecte les concours de recrutement des enseignantes et enseignants est grave. Elle menace désormais la continuité et la qualité du service public d’enseignement.
Pendant des années, en réponse aux alertes exprimées par les syndicats sur le sujet, le ministère les accusait de tout vouloir dramatiser, de confondre des phénomènes accidentels avec des tendances de fond, voire de porter atteinte à l’image de notre institution… En focalisant sur l’irresponsabilité corporatiste des syndicats, certains responsables ministériels s’étaient eux-mêmes aveuglés et avaient fini par se convaincre que tout cela serait facilement gérable par une bonne campagne de pub. D’autant que les reconversions qui attiraient vers les métiers de l’enseignement celles et ceux qui voulaient retrouver du sens à leur travail, nourrissaient l’espoir d’un développement du recrutement de seconde carrière.  
Mais la crise était telle que les créations de postes de la première moitié des années 2010 et leurs effets positifs sur le nombre de candidats n’ont tout de même pas réussi à pourvoir tous les postes.

Un phénomène global ?
Faut-il croire qu’il n’y a pas de problème particulier aux métiers de l’enseignement mais un phénomène global que la langue néolibérale nomme « attrition »  et qui éloignerait nos contemporains d’une relation pérenne à un métier. Ou faut-il craindre que la détérioration des contextes de pratique professionnelle ait fini par mettre en péril un choix professionnel qui jusque-là s’inscrivait dans de profondes motivations et se traduisait par la poursuite complète d’une carrière ?  Bien des travaux de recherches ont montré que s’est instaurée, au fil du développement des stratégies néomanagériales et de la complexification du travail, une « souffrance ordinaire  » des enseignantes et enseignants. Elle a fait son œuvre quand les consignes contradictoires et injonctives finissent par faire perdre le sens du métier, quand l’incurie de la formation professionnelle laisse les désemparés face aux difficultés des élèves à se mobiliser pour les savoirs, quand l’accumulation des tâches prescrite sans questionnement sur leur faisabilité conduit au stress et au burn-out. La confrontation à la difficulté n’est pas nouvelle mais nous sommes arrivés à un point où, pour beaucoup d’enseignantes et d’enseignants, la gratification sociale de l’activité, la qualité de relation aux élèves, le plaisir de l’enseignement ne suffisent plus à passer outre. Et voilà qu’un matin, c’est définitivement trop… et que l’idée de quitter le métier s’installe.
D’autant que la compensation par le salaire ne peut aucunement jouer dans un pays qui paie ses profs bien en-dessous des autres pays européens et qui n’a pratiquement rien fait pour contrer la chute considérable de pouvoir d’achat qui les a atteint.

Lignes de fond.
Si quelques décideurs étaient devenus aveugles, d’autres avaient parfaitement compris que la crise de recrutement constituerait une opportunité pour engager des changements radicaux qu’il deviendrait plus difficile de contrer puisqu’on évoquerait les impératifs de la nécessité. Ainsi Éric Charbonnier, expert de l’OCDE, d’expliquer déjà en 2014 que «les concours de l’enseignement sont par ailleurs exigeants et très axés sur la théorie, ce qui décourage certains jeunes de les présenter ».
Depuis tant de choses ont été écrites qui instrumentalisent la crise de recrutement pour mettre à bas les dispositions statutaires de recrutement par concours et les règles d’affectation, voire pour proposer un recrutement local sur liste d’aptitude.
Un récent avis du Conseil Supérieur des Programmes (CSP) est particulièrement révélateur. Il montre la volonté d’une argumentation agile. Ainsi le CSP considère qu’une stratégie essentielle devrait être le développement de la formation et, jusque-là, nous pourrions le suivre si cet argument ne s’associait pas à une exclusion totale de la situation salariale. C’est pourtant une évidence absolue que la faiblesse de la rémunération enseignante en France est un facteur majeur de baisse de l’attractivité. Ensuite le CSP, se livre à une stratégie désormais ordinaire : affirmer le statut tout en proposant des réformes qui le fragilisent tant qu’elles en viendront à bout. C’était le principe de la loi de transformation de la fonction publique de 2019 et on voit bien comment le CSP l’utilise pour réduire le concours à néant. Et c’est faire coup double puisque les hypothèses d’évolution du concours contribueront aussi à la transformation de culture professionnelle qui veut désormais que l’essentiel soit affaire de comportement professoral et non de maîtrise des savoirs. Un métier pensé comme celui d’une mise en application de consignes coûte tellement moins cher en formation comme en salaire.

Quelles solutions ?
La légère reprise pour les CRPE des années 2010-2015, liée au retour à une politique de création de postes, dit clairement que les créations de postes ont un effet vertueux sur les candidatures. Mais nous savons aussi qu’il n’est pas suffisant.
Il faudra renoncer aux conceptions néomanagériales qui dégradent les conditions d’exercice des métiers et produisent la perte de sens.
Il faudra renoncer à faire des formations l’instrument de propagande des réformes ministérielles pour leur redonner leurs objectifs de développement des compétences professionnelles et les refonder sur la capacité collective de l’échange et de la coopération.
Il faudra renoncer à un discours institutionnel qui, au gré de ses besoins, loue ou fustige le travail enseignant, s’enthousiasmant sur son engagement avant de sous-entendre sa paresse.
Mais de tout cela, nous sommes si loin…
Dans sa dernière intervention, Emmanuel Macron a affirmé : « Je veux qu’à la rentrée prochaine, on puisse remplacer du jour au lendemain les profs dans les classes ». Toutes celles et ceux qui connaissent l’état du système, savent que cette injonction est techniquement vaine. Sur le même principe des heures supplémentaires, Sarkozy avait fait la même annonce en 2007 avant de supprimer tant de postes que le déficit du remplacement allait connaître son acmé !
Mais en laissant croire qu’il suffirait d’un peu de fermeté du discours présidentiel, Emmanuel Macron a sous-entendu, à nouveau, que les fonctionnaires sont responsables des dysfonctionnements du système alors que sa politique vient de refuser de profiter de la baisse démographique pour renforcer les moyens de remplacement.

Dans une irresponsabilité totale, la politique actuelle consacre donc une insuffisance de moyens qui produira une carence croissance de l’ambition démocratique d’éducation, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. L’histoire se souviendra de notre temps comme du temps où on aura renoncé aux valeurs les plus fondamentales de l’école pour des motifs strictement financiers ne concernant que les intérêts d’une petite élite de privilégiés.

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