Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

217 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 avril 2025

Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

Renoncer à éduquer à la paix pour « militariser » l’éducation morale et civique ?

En présentant leur rapport d’information sur « la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense » les députés Alexandra Martin (LR) et Frédéric Boccaletti (RN) ont demandé à ce qu’il soit donné « plus de militarité » à l’éducation morale et civique ! Le contexte nous demande-t-il de renoncer à l'éducation la paix ?

Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les insuffisances de l’éducation nationale ? 
Le rapport [1] oppose l’urgence de la situation et les insuffisances actuelles de l’Éducation nationale. Pour ancrer ce constat d’insuffisance dans une actualité pressante, Alexandra Martin fonde son argumentation sur une périodisation historique[2] dont la simplification outrancière sert essentiellement à mettre en œuvre les habituels recours à la peur de la droite réactionnaire. Une peur dont on découvre que, malgré les autres périls cités, ceux notamment issus de la politique de Trump, elle se fonde essentiellement sur « le terrorisme islamique [qui] reste pour notre pays la première menace intérieure et extérieure » et la faiblesse des réponses occidentales qui lui feraient face : « en Afrique, en Asie centrale et au Moyen-Orient, les groupes islamistes reconstituent leurs forces, profitant du retrait de l’Occident ». Face à cette urgence c’est une mobilisation à laquelle l’école doit contribuer : « Face à une telle menace, et plus encore à une agression armée ou attaque hybride – ingérences, désinformations, cyberattaques–, l’ensemble de la population doit être mobilisée, non seulement pour la repousser, mais aussi pour maintenir le pays en état de fonctionnement. »
Or, si on en croit Frédéric Boccaletti les dispositifs d’éducation civique actuels en seraient incapables, constituant un « mille-feuille », un « fourre-tout, éloigné des enjeux de défense et de sécurité nationale » auxquels se seraient substituées des « priorités sociales ».

La solution ?  : militariser l’éducation !
Aux yeux des rapporteurs, seules « les classes de défense et de sécurité globale (CDSG)» et les « préparations militaires » seraient véritablement intéressantes mais leur développement reste impossible au vu de « la contrainte qu’elles représentent pour une unité militaire. ». Le sous-entendu est clair seule l’armée est capable de former la jeunesse aux questions de défense et de sécurité.
Confier l’éducation civique de la jeunesse aux militaires tenterait bien nos députés mais l’insuffisance des moyens militaires ne leur permet pas de l’envisager. Alors, comme les objectifs doivent être « de renforcer l’esprit et la volonté de défense et de favoriser le recrutement des futurs militaires », il faut que la formation civique des élèves « comporte plus de militarité ». Pour cela, ressurgissent les fantasmes des effets éducatifs d’une levée cérémonielle des couleurs mais surtout la volonté de contraindre les enseignements liés à l’EMC.
Tout d’abord en recentrant l’enseignement sur les questions de sécurité et de défense nationale, aux dépens de l’ensemble des finalités de l’EMC : « la volonté de défense doit constituer une priorité ». Un tel recentrage nécessitera la contrainte des enseignant·es tant du point de vue des contenus que des méthodes. Une des stratégies de cette contrainte sera d’assurer la formation des enseignant·es à partir de ressources mises à disposition par le ministère des armées.
L’autre idée de militarisation de l’école est celle du développement de sections d’excellence « défense et sécurité nationale » dont une part de la formation serait assurée par l’armée au sein de la « préparation militaire ». Cette fois ci, une part conséquente de l’enseignement (préparation militaire et stages) serait gérée et assurée par les armées.
Enfin après nous avoir expliqué que le service national ne pouvait être restauré, … Frédéric Boccaletti propose un « service à la nation » obligatoire dont un volet militaire. 

Ne jamais renoncer à enseigner la paix.  
Au long des années, l’éducation à la défense s’est substituée à l’éducation à la paix. Il nous faudrait choisir entre une conscience des enjeux qui conduit à se préparer à la guerre et une idéologie pacifiste minée par un islamo-gauchisme qui la rend aveugle aux dangers du terrorisme islamiste.
Cette opposition de sens commun n’a pourtant rien d’une évidence.
En 1910, Jaurès publie « l’Armée nouvelle ». On sait son attachement à la paix mais il le pense dans une dialectique : « Assurer la paix par une politique évidente de sagesse, de modération et de droiture, par la répudiation définitive des entreprises de force, par l'acceptation loyale et la pratique des moyens juridiques nouveaux qui peuvent résoudre les conflits sans violence ; assurer aussi la paix, vaillamment, par la constitution d'un appareil défensif si formidable que toute pensée d'agression soit découragée chez les plus insolents et les plus rapaces».
Voilà qui nous permet de penser que l’éducation à la paix et l’éducation à la défense ne forment pas des entités absolues et exclusives. Mais cela suppose que l’éducation vise, tout d’abord, à convaincre de la nécessité de « répudier toute entreprise de force » et à condamner fermement toute velléité belliciste : « Tout gouvernement qui entrera dans une guerre sans avoir proposé, publiquement et loyalement, la solution par l’arbitrage, sera considéré comme traître à la France et aux hommes, ennemi public de la patrie et de l’humanité. Tout parlement qui aura consenti à cet acte sera coupable de félonie et dissous de droit».

Refuser la « militarité »
C’est dans le même ouvrage de Jaurès que nous pouvons trouver les arguments d’un refus de « militarisation » de l’EMC. En démocratie, la défense nationale n’est légitime que si elle se fonde sur une armée populaire. La construction d’un consentement à l’engagement national ne peut donc être pensée comme un entraînement à l’obéissance et une soumission à l’engagement aveugle mais doit émaner d’un choix éclairé, capable de distance critique. C’est pourquoi Jaurès proposait que les officiers ne soient pas formés dans des écoles militaires mais à l’université.

Le recours à la peur d’un conflit de « submersion », la dénonciation d’une démission de l’occident, la focalisation sur l’ennemi islamiste … ce rapport parlementaire s’inscrit dans l’habituelle logique des droites réactionnaires. Il témoigne à nouveau de leurs volontés de contraindre les enseignants pour faire de l’école un instrument d’endoctrinement et de bataille idéologique. Leurs tentatives de faire évoluer l’EMC dans ce sens sont récurrentes.
Face à elles, nous disposons de perspectives claires pour l’EMC, inscrites dans la loi : enseigner le respect de l'autre et l'égalité, former des citoyens responsables et libres, capables de sens critique.
Et nous savons qu'une école démocratique, du fait de ses perspectives émancipatrices, ne peut admettre le principe d’une « militarisation ».

[1] Rapport déposé le mercredi 9 avril 2025 et présenté le même jour par les rapporteurs (Lire le compte-rendu)
[2]   - 1945-1989 : la guerre froide ;
       - 1989-2025 : «la perspective d’un monde en paix, régi par la démocratie, le droit, le libre-échange» ;
       - 2025- : «les régimes illibéraux gagnent du terrain, le rapport de force entre les États est de retour, avec ses corollaires naturels, la violence et la guerre.»

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.