Le scandale de Bétharram témoigne, une fois de plus, de la persistance d’un profond mépris pour les enfants et les adolescents. Un mépris qui est loin de n'être agi que par les auteurs des actes mais aussi par une majeure partie de leur entourage qui participe à contraindre les victimes à s’enfermer dans le silence jusqu’à leur mise au ban. Ce soutien collectif à l’ignominie ne se contente pas de protéger les auteurs de viols et de violences, il garantit l’impunité de la reconduction de leurs crimes. Et cette omerta s’exerce du plus proche des collègues jusqu’aux plus hauts responsables religieux et politiques.
La réalité des faits exclut que soit entretenu le doute : il ne s’agit pas d’actes exceptionnels, agis par un « prédateur » isolé, mais d’une accumulation de violences permises par une acceptation collective, qu’elle se fonde sur le silence ou sur des volontés déterminées d’invisibilisation…
L’engagement politique national est pourtant clair qui affirme le droit des enfants à être protégés de la violence, de la maltraitance et de toute forme d’abus et d’exploitation[1] et organise légalement la mise en œuvre de ce droit par la protection[2]. Les agissements exercés pour empêcher le respect de ce droit en faisant taire les plaintes, en instillant le doute sur les témoignages d’accusation et en enfermant les victimes dans la culpabilité sont de criminelles complicités.
Ce sont chaque année, plus de 160 000 enfants qui subissent incestes, viols et violences[3].
Un instrument de lutte : l'éducation
Or, il existe un lieu essentiel de lutte contre ces violences : c’est l’école.
En éduquant les enfants et les adolescents à leurs droits, l’école doit leur permettre de dépasser les peurs qui les conduisent au silence et à la résignation. Elle doit les assurer qu’ils trouveront dans la communauté éducative un soutien indéfectible pour exiger que justice soit faite.
Cette éducation doit construire la certitude des droits et la conviction de la légitimité de leur défense, certitude capable de dominer la honte et la peur et d’échapper au silence. Cette éducation doit contribuer à déconstruire, chez les élèves, les préjugés qui fondent le déni collectif et la culture du viol.
C’est pourquoi les nouveaux programmes d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) doivent donner lieu à une campagne exceptionnelle de formation et d’accompagnement aidant les enseignantes et les enseignants à comprendre l’impérative nécessité de leur mise en place et leur donnant les moyens de développer leurs compétences à mettre en œuvre cet enseignement.
Un nécessaire changement institutionnel
Les faits ont montré que trop souvent, une lâcheté institutionnelle a détourné le regard, voire donné à relativiser ou à faire taire les dénonciations. Il doit être signifié aux cadres de l’Education nationale que leur mission de contrôle doit se dérouler dans une indépendance totale leur permettant de faire état de la réalité sans qu’aucune pression ne puisse s’exercer. Nul doute que les principes d’une justice démocratique doivent être respectés mais ils doivent cesser de devenir les alibis du silence et de l’invisibilisation. Nous savons désormais que la condition même de cette justice est que la parole des victimes soit entendue.
Quant aux associations et autres groupements qui prétendront agir pour contraindre les enseignants à renoncer à ces enseignements, l’institution scolaire devra leur répondre avec fermeté et détermination tout en apportant son soutien déterminé aux équipes enseignantes. Aucune concession n’est possible avec ceux qui prennent le prétexte d’une soi-disant protection morale des enfants pour laisser perdurer l’impunité des criminels.
Si nous ne sommes pas capables de cela, nous devrons répondre, devant les générations futures, de notre criminelle hypocrisie à avoir proclamé le droit des enfants à être protégés de la violence, tout en tolérant qu’il soit bafoué par les actes les plus infâmes exercés sur celles et ceux qui sont les plus fragiles.
Si nous ne sommes pas capables de cela, c’est que nous renonçons à faire de l’école le lieu d’une émancipation égalitaire capable de donner à chacun les capacités de lutter contre les dominations.
[1] Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), traité international adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989.
[2] loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales
[3] Édouard DURAND, 160 000 enfants, violences sexuelles et déni social, Tracts Gallimard, février 2024