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Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

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Billet de blog 29 août 2022

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Pourquoi les évaluations CP posent problème?

A la critique des évaluations CP est souvent opposé un argument simple : où est le problème si ça permet aux élèves d’apprendre ? Les problèmes ne manquent pas notamment celui d'un véritable leurre sur le fait qu'elles permettraient d'apprendre !

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A la critique des évaluations CP est souvent opposé un argument simple : où est le problème si ça permet aux élèves d’apprendre ? 

Le premier problème est pédagogique. 

Un consensus scientifique clair affirme que la maîtrise de la lecture ne peut se résumer à l’apprentissage d’une capacité à identifier des mots mais doit se préoccuper, dès les premiers apprentissages, de travailler la compréhension des écrits et de permettre leurs usages sociaux au sein de la classe. Malgré cela, les instructions de Jean-Michel Blanquer ont induit une centration, parfois exclusive, sur les apprentissages instrumentaux (connaissance des lettres et des sons, décomposition des syllabes, correspondances graphèmes/phonèmes…)
Si apprendre à lire nécessite ces compétences instrumentales, elles n’ont de sens que si elles sont au service de l’essentiel : s’approprier la culture de l’écrit pour comprendre les textes lus et devenir capable d’en produire. Or, la forme des évaluations CP ne peut s’intéresser aux questions complexes qui concernent cette acculturation à l’écrit. Un cercle vicieux s’installe : ne pouvant pas être évaluées sous la forme d’un test, ces compétences finissent par se réduire voire disparaitre  des objectifs des enseignantes et des enseignants et des attentes des parents. 
La part réduite des compétences mesurées finit par confondre la capacité réelle d’un élève lecteur, celle de la compréhension et de l'appropriation de l'écrit, avec celle d’un habile technicien de déchiffrage. 

Le second problème est psychologique.

La pression actuellement mise en oeuvre sur les élèves par le joug permanent d’une exigence de réussite immédiate mesurée par des tests, est peu compatible avec la réalité de l’apprentissage qui nécessite détours et patience. Pire, elle inscrit certains élèves dès leur plus jeune âge dans un sentiment d’incapacité personnelle qui constitue un facteur d’échec scolaire. Cette pression est renforcée par une attente familiale devenue parfois irraisonnable tant elle confond la réussite des apprentissages avec leur précocité. Le tout dans une ambiance de concurrence entre élèves qui est loin d’aider les progrès de celles et ceux qui rencontrent des difficultés.

Le troisième problème est social.

Pour un élève de maternelle qui serait peu confronté à l’écrit par son environnement familial, il est indispensable que l’école lui permette de faire l’expérience d’un usage social et culturel de l’écrit. C’est un travail patient, quotidien qui n’a plus une place suffisante quand les exercices phonologiques et syllabiques occupent une grande partie de l’activité scolaire et constituent l’essentiel de ce que l’on attend de la réussite scolaire. En réduisant les contenus d’enseignement à ce qui est évalué, ce sont les fondements essentiels de l’acculturation à l’écrit qui sont négligés, réservant  la maîtrise de l'écrit aux élèves disposant d’environnements familiaux et sociaux qui permettront cette acculturation. Contrairement aux promesses médiatiques du ministre, ce n’est donc pas un choix de démocratisation qui est opéré mais bien au contraire une réduction des ambitions qui conduira à se satisfaire pour les enfants des milieux populaires à une capacité minimale : comprendre les énoncés les plus élémentaires. 

Le quatrième problème est politique. 

La pression exercée par l’institution et relayée par l’attente parentale incite à produire un leurre de réussite par l’entraînement aux tests. C’est ce que l’on appelle chez les lycéens le bachotage, c’est à dire une stratégie centrée sur la capacité à satisfaire des épreuves plutôt qu'à assurer de véritables apprentissages. Cela permet de se vanter d’un progrès qualitatif du système qui se réduit à constater l’intensité d’un entrainement au dépens du développement de compétences réelles. Les pays anglo-saxons qui ont pratiqué cette politique ont fini par dénaturer totalement l’évaluation : elle n’est plus un outil de pilotage des apprentissages mais le moyen de contraindre son action en constituant un critère d’allocation budgétaire pour l’établissement ou de rémunération au mérite pour les professeurs. Cela conduit les établissements, les  enseignantes et les enseignants à travailler dans la perspective d’une réussite aux tests (teach to test) qui produit une artificialité encore plus grande de la réussite des élèves.


L’évaluation doit redevenir un outil de l’enseignant qui, sous des formes variées nécessitées par la diversité des enjeux d’apprentissage, permet d’ajuster les organisations pédagogiques et didactiques de la classe. Plutôt que de se confondre avec une procédure normative, elle doit faire partie du processus d’enseignement et donc bénéficier d’une liberté de conception qui est la garantie de sa cohérence avec les organisations pédagogiques en oeuvre dans la classe. Ce qui ne se fait évidemment pas sans lien avec les compétences attendues. C’est par une formation de haut niveau que les enseignants deviennent capables de mettre en oeuvre de telles procédures... pas en étant enjoints à se soumettre à une organisation technocratique aux effets illusoires sur les progrès des élèves. 

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