Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

189 Billets

0 Édition

Billet de blog 30 mai 2019

Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

La maternelle et les savoirs fondamentaux

Les notes de service pour la maternelle qui ont été publiées le 29 mai au BOEN pourraient paraitre, en première lecture, comme relevant des évidences d’une logique de réussite des élèves. D’ailleurs la circulaire de rentrée énonce tout d’abord ces finalités de réussite mais elle le fait dans l’affirmation d’une logique qui est loin d'être en conformité avec ses ambitions annoncées.

Paul DEVIN (avatar)

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La circulaire de rentrée (note de service n° 2019-087) et les recommandations pédagogiques pour la maternelle (note de service n° 2019-084) qui viennent d’être publiés au Bulletin officiel de l’Éducation nationale pourraient paraitre, en première lecture, comme relevant des évidences d’une logique de réussite des élèves. D’ailleurs la circulaire de rentrée énonce tout d’abord ces finalités de réussite mais elle le fait dans l’affirmation d’une logique qui est loin d'être en conformité avec ses ambitions annoncées.  

Les savoirs fondamentaux et l’inégalité.
L’obstacle essentiel à la réduction des inégalités sociales, nous dit-on, est l’inégale maîtrise des savoirs fondamentaux. Affirmer le primat des origines scolaires de l’inégalité sociale écarte très abusivement bien des facteurs économiques et sociaux. C’est évidemment une stratégie pour un ministère qui, au-delà de quelques affirmations rhétoriques, n’a rien engagé qui soit réellement capable de combattre les inégalités territoriales dont on sait pourtant les effets de ségrégation. Et quel paradoxe d’affirmer cette responsabilité « pédagogique » de la maternelle en matière de réussite quand, dans le même temps, la loi va favoriser le financement des écoles maternelles privées dont on sait qu’elles contribuent à produire des discriminations sociales peu favorables à la mixité, donc à l’égalité. Car les recherches, encore très récemment celle publiée par l’OCDE (Balancing School Choice and Equity, 2019), affirment, sans qu’aucun doute ne soit possible, le lien entre mixité sociale des populations scolaires et réussite des élèves.
Bien d’autres facteurs jouent dans la réussite des élèves. Par exemple celui de la formation continue des enseignants. Mais là encore, au-delà de l’affirmation répétée de ses enjeux, le ministère n’a pas encore fait preuve d’une quelconque détermination à engager les moyens nécessaires pour développer cette formation. Il faut le répéter : une volonté politique de démocratisation de la réussite scolaire ne sera crédible qu’aux conditions d’un véritable engagement budgétaire dans la formation des enseignants.

Définir les savoirs fondamentaux
Mais pourquoi recourir de manière récurrente à cette référence à des savoirs fondamentaux ? On pourrait considérer que ce qui constitue les savoirs fondamentaux à acquérir pour les élèves de maternelle sont définis par les programmes de l’école maternelle. Mais tout le monde aura perçu que les programmes sont au contraire relativisés dans ces notes de service : il n’échappera à personne qu’ils y sont définis comme une « trame » en opposition aux progressions annuelles qualifiées de « solides repères ». D’ailleurs bien des enseignants ont déjà constaté, que désormais, dans le discours institutionnel, la place donnée aux recommandations est largement plus marquée que celle donnée aux programmes.

La maternelle propédeutique
Les programmes de 2015 en niaient pas que les enjeux de la maternelle puissent constituer les appuis sur lesquels se développeraient les apprentissages ultérieurs. Mais, ils ne les confondaient pas, pour autant, avec une phase préparatoire qui est désormais énoncée comme telle tant dans les notes de service que dans les interviews ministérielles.
Quel paradoxe :  la note de rentrée affirme fortement un objectif de « sécurité affective » tout en incitant à la mise en œuvre d’exercices de discrimination phonologique dès la petite section. Or nous constatons que dans trop de classes, leur introduction s’associe à une pression qui produit des difficultés pour les élèves. Il suffit d’observer ce qui se passe dans les classes de grande section qui mettent en œuvre les méthodes défendues par « Agir pour l’école » pour se rendre compte que de tels choix peuvent difficilement être qualifiés d’apprentissages progressifs et valorisant la confiance en soi !  

L’oral et la question lexicale
La note de service insiste essentiellement sur la fonction modélisante du langage de l’adulte. On ne peut effectivement douter de l’importance de sa précision lexicale et de sa correction syntaxique. Mais à trop vouloir insister sur ce rôle, on pourrait croire que l’activité orale de l’enfant de maternelle est une activité de reproduction, d’imitation. Par ailleurs après avoir défini l’ensemble des enjeux de l’apprentissage de la langue orale, le paragraphe ne se consacre en définitive qu’aux questions lexicales.
Tous les retours aux fondamentaux, ce fut le cas aussi aux temps de Darcos et Chatel, posent la question de la pauvreté lexicale comme centrale dans les difficultés des élèves. Nul ne peut en nier l’importance mais à la présenter ainsi, la question lexicale est posée essentiellement dans un aspect quantitatif qui incite les enseignants à des exercices d’apprentissage de mots et plus globalement à des activités lexicales déconnectées de la production et de l’analyse des discours. Or, il ne s’agit pas seulement d’être capable de disposer d’un « stock lexical » mais de penser sa relation avec une fonction spécifique de l’écrit, de développer des stratégies qui évitent un renoncement complet en cas de difficulté de compréhension ou de production. Le travail de structuration sémantique du lexique ne peut, par exemple, se confondre avec la mémorisation de listes thématiques de mots !
Là encore, la perspective d’amélioration qualitative sera vaine sans l’engagement d’un programmes ambitieux de formation qui ne se confond pas avec une simple prescription de consignes.

La question de la compréhension
Les lacunes des consignes ministérielles en matière de compréhension ne peuvent se résoudre par la seule présence d’un paragraphe s’y consacrant dans les recommandations faites aux enseignants de maternelle. Il faut reconnaître que la nécessité de développer la compréhension par une fréquentation de l’écrit est désormais énoncée plus clairement que dans les discours de début de mandat mais c’est très loin d’être suffisant pour inciter les enseignants à en faire une composante essentielle de l’apprentissage de la langue.  
De plus, la manière avec laquelle sont décrites ces activités contribuera à renforcer une pratique déjà largement constatée en maternelle : celle d’un travail essentiellement médiatisé par le discours de l’enseignant, notamment dans l’explication des textes lus, et insuffisamment par la production orale de l’élève.
Il reste encore beaucoup de marge pour que ces consignes sur le travail de compréhension prennent les dimensions culturelles d’une véritable acculturation à l’écrit sous toutes ses formes et non seulement par le biais d’une nécessaire mais insuffisante lecture d’histoires. Les programmes de 2015 proposaient une variété d’activité largement plus développée pour découvrir les usages sociaux et les fonctionnements de l’écrit. Et force est de constater que le discours insistant de l’institution sur les apprentissages graphophonologiques a fortement réduit dans beaucoup de classes, la part des activités consacrées à la découverte de la culture de l’écrit, au point parfois de les voir quasiment disparaitre au profit d’entrainements exclusivement centrées sur la maitrise du code.

En résumé…
Les consignes ministérielles, depuis l’arrivée de Jean-Michel Blanquer, ont largement incité les enseignements à se recentrer sur les apprentissages graphophonologiques. Cela pose un problème essentiel : celui d’une négligence grave dans l’apprentissage qui ne permet pas aux élèves de développer une relation culturelle à l’écrit, c’est-à-dire de s’en approprier progressivement les usages. Les enfants des classes populaires, qui ne bénéficient pas  d’un environnement donnant une place importante à l’écrit ont impérativement besoins de l’école pour faire cette découverte et oser s’en approprier les usages. C’est essentiellement aux dépens de ces élèves que se joue l’obsession ministérielle à centrer les objectifs sur des entrainements instrumentaux. Elle prétend pouvoir se justifier par une certitude de « la science » mais la réalité est largement plus complexe. Malheureusement, les consignes données par le ministre continuent à vouloir privilégier cette certitude et donc à desservir les ambitions égalitaires de l’école.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet