Le cadavre s’étale de tout son long dans la chambre, la tête en travers du montant du lit, à moitié déchiquetée, les viscères sortis, le pantalon baissé, les testicules coupées et mises dans les restes de la bouche. Jean Dominique, dit le légiste. Nom de famille ? Dominique. Jean-Dominique Dominique ? Non, inspecteur, Jean Dominique. Ah. Cause du décès ? Le légiste baisse les yeux sur le cadavre. Émasculation, demi-décapitation, éviscération. Je ne sais pas ce qui est la cause immédiate de la mort. Des indices ? Le légiste lève les yeux. Sur le mur s’étalent des mots écrits dans le sang de la victime. Crève saloperie de crouille, dit l’inspecteur Maqueron. Qui a trouvé le corps ? Agnès. Agnès ? Une recrue. Une femme ? Agnès. Donc je pense, oui.
Tous les matins. Agnès renifle. Tous les matins, j’ai peur de me lever. Peur de me montrer. Vous ne savez pas ce qu’ils font. Ce n’est pas grave, dit l’inspecteur Maqueron. Si c’est grave, crie Agnès. Calmez-vous, Agnès. Excusez-moi. J’en peux plus. Comment avez-vous découvert le corps ? J’allais voir Jean. Pour quoi ? Pour… N’ayez pas peur, Agnès. Et j’ai trouvé son corps. D’accord, très bien.
Pas une flèche. Comme d’habitude, dit le commissaire Darmane. Oui. Des soupçons ? Ça sent le règlement de compte. Hmph. Des suspects ? Possiblement Agnès. Sinon rien. Bon. Lieutenant Lepine. Allez la voir de ma part. Une vieille connaissance. Une femme ? Marianne Lepine, oui, c’est une femme. D’accord. Mais avant ça. Le commissaire jette un dossier sur la table. Nouveau cas. Yahya Dakhber. Même truc.
Le légiste tire sur sa cigarette. L’odeur du tabac se mélange à celle des toilettes. Dans la cuvette, la tête de Dakhber. Sous la pissotière d’en face, son corps. Sur le mur, des lettres de sang. Saloperie d’arabe crève, dit l’inspecteur Maqueron. Vous avez pas une cigarette, dit le légiste. Désolé, je fume pas. Le légiste soupire.
De braves garçons, dit le lieutenant Lepine. Qui ? Jean et Yahya. Ah oui. Oui, de braves garçons, malgré des difficultés. Comment ça ? Ah, les origines. Jean Dominique, Caraïbes. Dakhber, maghreb. Des bronzés. Ah. Et la petite ? Agnès ? Une bonne à rien. Je dirais pas une traînée mais presque. Ah. OK. L’inspecteur Maqueron regarde autour de lui. C’est un portrait du maréchal ? Oui. Très bien. Merci madame. Lieutenant. Lieutenant.
Darmane soupire. Un gang ? Probable, dit l’inspecteur. Le commissaire soupire. Le commandement est pris ? Je pense. Ah ! On va pas pouvoir trop mettre le nez là-dedans, Maqueron. Je sais, commissaire. Faites au mieux. Oui. Et les journalistes ? Racontez-leur l’histoire des gangs. Parfait.
Le légiste attache une étiquette à un orteil. Sept. Jon. Djébril fois deux. Dieudonné. Et des Darkhan. Trois ? De toute évidence. Sur les murs, les lettres s’étalent. L’odeur des cadavres emplit le mess. Une tête se détache d’un corps et roule jusqu’au pieds de l’inspecteur Maqueron. Djébril. Vingt-deux ans. Musulman. Des indices ? Crevez les bougnoules, dit l’inspecteur Maqueron en suivant le regard du légiste. Oui. Qui a trouvé les cadavres ? Agnès.
Agnès ? La salle de sport semble vide. Agnès ? L’inspecteur Maqueron sort son arme. Une lame de plancher craque. Agnès ? J’en peux plus, inspecteur. Calmez-vous, Agnès. J’en peux plus. Toutes ces… Tous ces… C’est horrible. Agnès, rhabillez-vous. À quoi bon ? Parce que. Bah.
Et j’ai dû tirer. Pas étonnant, dit Darmane. Légitime défense. Oui. Bon travail, Maqueron. J’explique aux journalistes. Superbe enquête. Merci, mais. Oui ? Je me demande si je rate pas quelque chose. Excellent travail, Maqueron, continuez. D’accord.
Brigitte lui masse les trapèzes. Je rate un truc. Tu t’en sors très bien, chéri. Il manque quelque chose. Ce n’est pas de ta faute, chéri. La soldate n’avait qu’à pas. Oui je sais. Alors ? Alors il manque quelque chose. Tu le trouveras. Je vais me coucher. D’accord, j’arrive. Je te trouverai, dit l’inspecteur Maqueron à son reflet. Il entend Brigitte ronfler.