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Billet de blog 2 février 2025

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Il y aurait une mer gelée sur Mars

La stupéfaction est de mise dans les laboratoires d'astrophysique devant cette découverte qui a fait l'effet d'un véritable coup de tonnerre dans les milieux scientifiques du monde entier. L'émoi se justifie d'autant plus que, selon les premiers rapports d'analyse, certains composants de cette glace finement ciselée seraient antifascistes.

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            « Si cette hypothèse se vérifie, cela va poser de sérieux problèmes à la future colonisation de la planète », déclare un astrophysicien renommé, qui a néanmoins préféré garder l'anonymat.  On peut même considérer que cette mer gelée jetterait les prémices d'une résistance au virus techno-nazi qui sévit actuellement sur Terre, s'y répandant à une vitesse inhabituelle et dévastant des régions entières réputées jusque-là pacifiques. «Cependant, réduire la mer gelée sur Mars à un manifeste antifasciste serait peu judicieux. En réalité, cela n'a rien à voir avec l'astrophysique. Une approche linguistique se révèle nettement  plus fructueuse », tempère Peter D. (le prénom a été changé), glaciologue à l'Institut de Technologie du Massachusetts. Selon l'éminent chercheur, la mer gelée serait en réalité une revue de littérature consacrée à Mars dont le titre permettrait à des auteurs sans scrupules de publier des articles pseudo-scientifiques.

            « La principale caractéristique de la mer gelée ne vient pas de ses composants mais plutôt des frictions inhabituelles qui s'opèrent entre les textes publiés dans différentes langues. On passe ainsi du français à l'anglais, de l'allemand au portugais, de l'espagnol au suédois. La liste n'est pas limitée et pourrait s'étendre encore davantage. Même si les langues se répondent entre elles par d'habiles traductions en français, le lien avec Mars reste complexe et résolument polysémique. Après une étude poussée en laboratoire, il apparaît que la traduction n'est pas anecdotique, qu'elle est au cœur du projet, en constitue la matrice même avec, dans ce numéro, une attention particulière portée au travail d'Olivier Le Lay dont la nouvelle traduction de Mars[1], le récit de l'écrivain suisse Fritz Zorn, a été publiée récemment. »

            Dans un entretien, on apprend qu'Olivier Le Lay mémorise trois pages du texte original en allemand et part ensuite marcher en ville avant que la traduction en français ne se dévoile peu à peu comme une photographie plongée dans le bain du révélateur. Il s'agit non pas d'une simple transcription mais bien d'un processus créatif à part entière. Olivier Le Lay déclare à propos du texte de Zorn: « Ce livre n'est pas un essai, ce livre est une voix qui se cherche, il s'agit d'une œuvre littéraire, pas d'un document. Mars, c'est quoi? C'est l'histoire d'un homme qui accède à son langage, c'est l'avènement d'une langue. C'est ça l'histoire. Ce n'est pas un livre sur le cancer. Voilà la chose la plus frappante.»

             Plus loin dans la revue, une page de roman-photos évoque à son tour une réflexion de Fritz Zorn qui oppose Mars à Apollon. Le dieu de la guerre est aussi celui des créateurs et des artistes, la création représentant une forme de combat. Nul doute que l'énergie d'un artiste se trouve davantage dans la colère, la haine, et le désir d'en découdre, que dans une contemplation placide de la beauté.

            Et c'est ainsi que se déclinent les textes de la revue autour d'une thématique plurielle et fragmentée. On tombera sur une saleté du troisième type, une approche intime de la tragédie, une logique spongieuse, des dessins d'enfant, un poème ubérisé, une date martienne, une fugue de printemps, des poèmes allemands de Georg Herwegh, le journal de mars 1997 de Rafael-José Diaz, un poème portugais « Eu traductor, traidor/Moi traître, traducteur »... Difficile de dresser un inventaire précis de cette matrice martienne vaste et variée. Il s'agit en somme d'une exploration pleine de surprises.   

            Autant dire que lorsque le virus aura contaminé le reste de l'humanité et qu'il faudra se résoudre à rester confinés dans un bunker souterrain, le numéro Mars de la mer gelée représentera un grand moment de lecture qui consolera des désastres passés et de ceux à venir. Certes, à travers la lucarne sale de l'abri, les jonquilles ne sortiront pas de terre, et le printemps sera mort et enterré depuis belle lurette, mais on pourra toujours se consoler en lisant Marie-Hélène Lafon:

            « Les enfants attendront aussi le Coucou. Je l'ai beaucoup attendu dans les lointaines années d'un autre siècle et, de la troisième décade de mars jusqu'à la fin de mai, je l'attends encore. C'est plus fort que moi, que nous. On tend l'oreille, on espère, on sera rassuré de l'avoir entendu cette année encore, comme si le saccage ordinaire des espèces infimes et la puissante gabegie imputable au règne humain n'étaient tout à fait sans appel. On l'aurait entendu, on serait rentré, on aurait dit, j'ai entendu le coucou; mais on garderait pour soi le vœu, le vœu du premier coucou qui doit rester secret comme les vœux d'étoiles filantes.

Auch auf den Kuckuck werden die Kinder warten. In den fernen Jahren eines anderen Jahrhunderts habe auch ich viel auf ihn gewartet und, von der dritten Dekade des Monats März bis Ende Mai, warte ich heute noch auf ihn. Ich kann nicht anders, wir können nicht an-ders. Man horcht, man hofft, man wird erleichtert sein, wenn man ihn gehört hat, auch dieses Jahr wieder, ganz so, als wären dann die ach so normale Vernichtung kleinster Lebewesen und das gewaltige menschenbedingte Chaos nicht ganz so unwiderruflich. Man hätte ihn gehört, man wäre nach Hause gegangen, man hätte gesagt ich habe den Kuckuck gehört; aber den Wunsch, den Wunsch beim ersten Ruf des Kuckucks, den behielte man für sich, man darf ihn nicht weitersagen, den Wünschen bei Sternschnuppen. »    

  [1] Fritz Zorn, Mars, première parution en 1979, Trad. de l'allemand (Suisse) par Olivier Le Lay, Collection Du monde entier, Gallimard, 2023.

Illustration 1

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