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Billet de blog 24 août 2011

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Les Irradiés -478-

Tu prends le train, maussade. Tu sais que tu es toujours vivant. Ça ne te satisfait guère. Tu supposes que si l'on te diagnostiquait un cancer, tu tiendrais davantage à la vie. En attendant cette bonne nouvelle, tu contemples le paysage qui défile. C'est vert et jaune. Il y a des feuilles et des branches. Ça n'a aucun sens. Ça ne va vers rien. Tu soupires. Tu te rabats sur les passagers et cherches un éventuel ami d'enfance.

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Tu prends le train, maussade. Tu sais que tu es toujours vivant. Ça ne te satisfait guère. Tu supposes que si l'on te diagnostiquait un cancer, tu tiendrais davantage à la vie. En attendant cette bonne nouvelle, tu contemples le paysage qui défile. C'est vert et jaune. Il y a des feuilles et des branches. Ça n'a aucun sens. Ça ne va vers rien. Tu soupires. Tu te rabats sur les passagers et cherches un éventuel ami d'enfance. Tu ignores comment vieillir le visage d'un gamin de onze ans. Il avait des taches de rousseur, un pull-over beige très moche et des baskets troués aux pieds. Souvent, il oubliait d'enlever ses pinces à vélo. C'était ton pote. Vous passiez votre temps dans le port. Vous naviguiez sur des morceaux de ponton entre les nappes de gasoil. Les pêcheurs vous engueulaient. On bosse, nous ! qu'ils râlaient. Alors, vous déguerpissiez sur la falaise et balanciez des caillasses dans la mer en gueulant des obscénités. Il t'en fallait pas beaucoup à l'époque pour te faire marrer. T'essaies de l'imaginer chauve... les yeux cernés... ridé... Ça prend pas... Il est mort peut-être ou alors il bosse comme représentant en produits de beauté... Il a une femme et des gosses... Peut-être qu'il a mal vieilli... qu'il est aigri ? S'il te croise au Leclerc, il va faire semblant de pas te reconnaître... Et toi, au fait ? Tu te crois mieux ? Tu hausses les épaules. Tu t'en fous. Ca fait bien vingt ans que tu n'es pas revenu dans le coin. Les amis d'enfance, c'est juste des fantômes... Il y a trop longtemps que tu es parti... Quand même, il te semble que le type au siège 25 F était au collège avec toi. Tu ne l'as pas reconnu aussitôt parce qu'un énorme goitre lui déforme le cou. Oui, c'est bien lui. Comment il s'appelait déjà ? Thierry ? Jean-Christophe ? Christophe ? Christophe, ouais, c'est bien ça. Un vrai con. Tu t'étais battu avec lui dans la cour. Il t'avait craché dessus à plusieurs reprises. Sa salive dégoulinait sur le velours élimé de ton pantalon. Tu étais pauvre peut-être mais c'était pas une raison valable pour t'humilier comme ça... en public... Les autres s'attroupaient et commençaient à se foutre de ta gueule. Tu avais attendu quelques secondes avant de te jeter sur lui. Qu'est-ce que tu lui avais mis ! Ho, la danse ! Bing ! Bang ! Tiens et tiens et re-tiens ! Il doit encore s'en souvenir à la façon dont il te regarde... Hahaha, pauvre con, va ! Bah, c'est pas la peine d'en rajouter. Le temps lui a réglé son compte. Tu retournes au paysage... Ouais... Les arbres qui défilent... La nature, c'est mieux... C'est plus simple... Les hommes, tu préfères laisser tomber...

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