Deux personnes sont mortes aujourd’hui par accident du travail.
Comme hier ! Comme demain
Plus de deux personnes, en moyenne, meurent chaque jour en France, par accident du travail ! En 2024, 764 personnes dont 22 de moins de 25 ans. Et, avec les maladies professionnelles, 1297 décès par an liés au travail : soit 3,55 par jour (Libération 01/12/25).
Évolution du nombre de morts par accident du travail pour les seuls salariés du régime général, 2017-2024, selon les données officielles de l'Assurance Maladie. Ces chiffres n’incluent ni les accidents de trajet, ni les maladies professionnelles (1), ni les travailleurs indépendants, agricoles (2) ou de la fonction publique.
2017 2018 2019 2020* 2021* 2022 2023 2024
530 550 733 650 696 738 759 764
*Estimations basées sur les tendances et rapports disponibles car les chiffres exacts pour ces années ne sont pas toujours détaillés dans les sources.
Cette croissance du nombre de décès par accident du travail, plus de 44% en 7 ans, traduit-elle un acharnement des dieux ? En tous cas, elle n’a pas, semble-t-il, entraîné de remarque particulière du jupitérien président de la République pendant toute cette période.
Ni de ses divers ministres.
Pourtant, Emmanuel Macron s’intéresse beaucoup au travail qu'il voit comme un facteur d’épanouissement, d’intégration sociale et de dignité. Au point qu'il veut que les Français travaillent plus et plus longtemps. À Rodez, en 2019, dans le cadre du grand débat sur la réforme des retraites, il a proclamé : Moi, je n’adore pas le mot de pénibilité parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible. Il condamne même le discours victimaire des syndicats qui dévalorisent le travail en parlant de souffrance ou de pénibilité.
Le travail n'est pas pénible, Emmanuel Macron le sait et le dit.
Le nombre de morts par le travail augmente. Emmanuel Macron le sait et ne le dit pas.
Faut-il considérer les accidents du travail, fussent-ils mortels, comme inévitables, comme une fatalité inhérente au travail dont certains sont, victimes, malheureusement et dont nul n'est, bien sûr, responsable ?
Président français et grand Européen, Emmanuel Macron ne peut ignorer, cependant, que le travail en France est plus mortifère que dans la plupart des pays européens !
Le tableau ci-après permet de comparer le taux d'accidents mortels dans les différents pays de l'Union européenne. La France apparaît comme ayant le taux le plus élevé en 2023. Elle avait le deuxième taux le plus élevé en 2022, le quatrième en 2021, environ deux fois supérieur au taux moyen européen !
Les accidents du travail seraient-ils une malédiction française ?
Les communiqués de satisfaction, justifiée, après les grands chantiers liés aux J.O. semblent dire le contraire. Avec des chiffres différents, ils signalent l'absence d'accidents mortels sur des chantiers 4 ou 5 fois moins accidentogènes que les chantiers habituels de même type.
Communiqué de l’Élysée : Avec 130 accidents, dont 17 graves, les chantiers olympiques sont cinq fois moins accidentogènes que la moyenne du BTP.
Déclaration confirmée par la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) et par Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT, coprésident du comité de suivi de la charte sociale des J.O.
Il a veillé à l'application de cette charte pour garantir les droits sociaux des travailleurs et renforcer la sécurité au travail. Et a souligné la participation des syndicats à cette réussite.
De grands travaux peuvent être menés dans le respect de la vie et des droits sociaux. Nul ne peut l'ignorer, Emmanuel Macron et ses ministres moins que tout autre.
Causes, circonstances des accidents du travail, moyens de les prévenir sont connus.
Nul ne peut ignorer, aussi, le rapport annuel sur les risques au travail publié par l’Assurance-maladie qui a recensé les 764 décès liés à des accidents du travail en 2024.
Le rapport souligne que plus de 20 % des décès (à la suite d’un accident du travail) sont survenus dans l’année qui suit la prise de poste et que, pour les salariés de moins de 25 ans, il s'agit de plus de la moitié.
L'organisation du travail pour augmenter la productivité peut favoriser les risques d’accidents graves et mortels, notamment chez les travailleurs en situation de précarité par le recours à des formes d’emploi flexibles, sous-traitance, travail en CDD, en intérim ou indépendant : faible temps consacré à la sécurité, accès limité à la formation et à la prévention, méconnaissance des consignes de sécurité...
Un article du Monde souligne la difficulté dans ces circonstances à établir les responsabilités. À la suite du décès de deux ouvriers, sept hommes et trois sociétés comparaissaient pour homicide involontaire... employés au noir, sans papiers et inexpérimentés. Au tribunal, les sous traitants se dédouanaient. Chacun considère que [sa faute] est tellement diluée qu’il se dit “c’est pas moi, c’est l’autre”. Donc, au final, ce n’est personne. (Le Monde 04/02/2023)
Les syndicats ont quelques raisons de rester sceptiques devant le manque de moyens et le peu de condamnations pour les accidents graves
En 2024, les accidents sont 2,5 fois plus fréquents chez les moins de 25 ans que chez les autres tranches d’âge, et plus de la moitié des décès dans cette tranche surviennent lors de la première année d’activité dans le poste.
Les travailleurs plus âgés sont moins souvent victimes d’accidents mais ceux-ci sont plus graves, plus souvent mortels : 58 % des accidents mortels au travail touchent les plus de 50 ans.
En 2019, plus de 2 accidents sur 1000 sont mortels entre 50 et 59 ans, 3 entre 60 et 64 ans, 8 au delà de 65 ans ! Soixante-cinq ans !
Qu'Emmanuel Macron n’adore pas le mot de pénibilité parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible n'est pas sans conséquence.
Il est difficile d'énumérer les facteurs de risques sans penser aux mesures prises par le président Macron qui affaiblissent la prévention et les droits des salariés depuis 2017 :
- suppression des critères de pénibilité, permettant un départ anticipé à la retraite pour les métiers à risque,
- report de l'âge de la retraite à 64 ans exposant davantage les seniors qui représentent 58 % des morts au travail,
- prélèvements sur la branche accidents du travail pour financer d’autres réformes, réduisant les budgets dédiés à la prévention.
Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions du travail (CHSCT) qui existait depuis 1982 pour les entreprises d’au moins 50 salariés, a été remplacé par le Comité social et économique, entré en vigueur en 2018. Il traite, maintenant, les questions économiques en même temps que celles sur les conditions de travail et la santé qui se trouvent souvent en bas de l’ordre du jour (Amandine Mathivet, Sociologue du travail, Libération 01/12/25).
Depuis 20 ans, il y a de moins en moins d’inspecteurs du travail, en 6 ans leur nombre a été réduit de 16 %… Ils sont chargés de vérifier la sécurité sur les chantiers : 2 250 entreprises par inspecteur. Environ 260 000 visites, contrôles, enquêtes sont réalisées chaque année par ces inspecteurs, ce qui représente environ 6 % des entreprises françaises visitées annuellement.
Et les médecins du travail ont de moins en moins de moyens.
Malgré la circulaire ministérielle de juillet de 2025 pour renforcer les contrôles de l’inspection du travail et la coercition envers les employeurs, malgré le plan gouvernemental pour réduire les accidents mortels, axé sur la responsabilisation des employeurs, malgré les déclarations de l'actuel ministre du Travail sur sa volonté de renforcer la lutte contre le accidents du travail graves et mortels (Libération 01/12/25), il n'est pas étonnant que les syndicats accueillent les annonces gouvernementales avec quelque scepticisme.
Ces accidents et décès sont le reflet d’organisations pathogènes du travail mises en place pour faire passer les profits avant la santé, la sécurité et la vie des travailleurs et des travailleuses, a réagi le syndicat Solidaires dans un communiqué. L’organisation demande le rétablissement des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, intégrés au sein des comités sociaux depuis 2020.
Les gouvernements passent. Les annonces sont sans lendemain, regrette sur X Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Le ministre Jean-Pierre Farandou a clairement exprimé sa volonté de renforcer la lutte contre les accidents du travail graves et mortels , a réagi le ministère du Travail (Le Figaro 25/11/25).
Chaque jour, un journaliste, un politique se plaît à rappeler l'âge du départ à la retraite des travailleurs dans les pays voisins. Pour demander aux travailleurs français de travailler plus, de travailler plus longtemps.
Deux personnes sont mortes aujourd’hui par accident du travail. Comme hier ! Comme demain !
Les journalistes, les hommes politiques font beraucoup de comparaisons avec les pays voisins pour dire que les tavailleurs français devraient travailler plus et plus longtemps. IIs font beaucoup plus rarement des comparaisons sur les conditions de travai et sur le nombre de morts par accident du travail ou par maladies professionnelles.
(1) - Le nombre de maladies professionelles reconnues augmente de plus de 3 100 cas par rapport à 2023 (soit + 6,7 %), revenant au niveau de 2019, avant la crise sanitaire, et dépassant pour la première fois depuis dix ans les 50 000 cas ; il en est de même pour le nombre de victimes qui augmente d’environ 2 900 (soit + 6,6 %).
(2) - Dossier intéressant sur le monde agricole dans Politis : 56 salariés agricoles sont morts au travail en 2024. Un niveau jamais atteint depuis 2018.