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Billet de blog 3 avril 2023

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Réforme des retraites : le pronostic vital de la Constitution est engagé !

Je viens d’adresser au Conseil Constitutionnel la lettre ouverte suivante qui résume les principales observations exposées dans les articles de mon blog sur Mediapart destinés, depuis plus de deux mois, à tenter de mettre en relief les principales aberrations juridiques de la loi sur les retraites que le Conseil est en train d’examiner.

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Lettre ouverte à M. Laurent Fabius, président du Conseil Constitutionnel

La loi sur les retraites actuellement examinée par le Conseil Constitutionnel a profondément meurtri notre Constitution dont le pronostic vital paraît désormais sérieusement engagé !

Cette réforme préparée sans concertation sérieuse, présentée à la va-vite et extorquée du Parlement par l'utilisation malvenue des articles 47-1 et 49.3 de la Constitution, est massivement rejetée par le peuple de notre pays qui exprime sa colère et sa rage en découvrant que le pouvoir exécutif ne respecte plus sa souveraineté, alors même que la Constitution proclame que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

Le Conseil Constitutionnel doit entendre cette colère et le grondement de plus en plus puissant de ce peuple qui n’en peut plus d’être traité par le mépris, outre qu’il ne comprendrait pas que le Conseil Constitutionnel ne reconnaisse pas que la Constitution a été si gravement malmenée que cette loi sur les retraites ne peut qu’être censurée.

Celle-ci a en effet été élaborée et présentée dans des conditions qui heurtent frontalement au moins deux exigences de valeur constitutionnelle : celle de respecter les limites de l’article 47-1 de la Constitution, dans le cas présent détourné de son objet, et celle de la sincérité de sa présentation et de son contenu.

Le détournement de la procédure de l’article 47-1 réservé aux seules lois de financement de la sécurité sociale est difficilement contestable pour plusieurs raisons : 

  • Parce qu’une réforme des retraites de cette ampleur relève du domaine des lois ordinaires énumérées dans la première partie de l’article 34 de la Constitution, au nombre desquelles figure celle qui « détermine les principes fondamentaux … du droit de la sécurité sociale», le Conseil Constitutionnel ayant précisé que ce droit recouvre « la détermination des prestations et des catégories de bénéficiaires ainsi que … la définition de la nature des conditions exigées pour l'attribution des prestations » (décision n° 2016-742 DC du 22 septembre 2016). Ces conditions, ce sont par exemple celles qui portent sur l’âge de départ à la retraite ou sur le nombre de trimestres cotisés. Telle est la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui invite clairement, pour légiférer dans ces matières, à emprunter cette voie ordinaire permettant au Parlement de prendre le temps qu’il faut pour en débattre, et non une voie d’accélération, comme celle de l’article 47-1 qui ne concerne que des lois de financement dont l’objet est uniquement de tirer, année après année, les conséquences financières des règles du droit de la sécurité sociale établi par la loi ordinaire.
  • C’est en ce sens que le Conseil d’État a rappelé au gouvernement, dès 2004, qu’un « projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est pas, en raison des contraintes de temps et de procédure dans lesquelles est enfermé son examen par le Parlement, adapté à la mise en œuvre d’une réforme de fond et de grande ampleur » ou encore, en 2021, que l’article 47-1 de la Constitution comporte des limites et que « cette limitation vise notamment … à éviter que les lois de financement de la sécurité sociale ne servent de vecteurs à des réformes susceptibles de soulever des questions délicates dont l’examen n’est pas compatible avec les délais et les règles de procédure régissant ces lois ». Il est incompréhensible que le gouvernement ait délibérément ignoré ces avis pertinents du Conseil d’État qui ne souffrent d’aucune ambiguïté. 
  • Enfin, le choix du gouvernement de légiférer dans le cadre d’une loi de financement rectificative est totalement inapproprié. Tout d’abord parce que ne peuvent y figurer que « … les dispositions relatives à l'année en cours », et jamais celles, obligatoires ou facultatives, ayant un effet sur les années ultérieures (article LO 111-3-12 du code de la sécurité sociale). Mais c’est aussi une question de bon sens. Une loi de cette nature a en effet pour objet de rectifier une disposition adoptée dans une autre loi, en l’espèce la loi de financement de la sécurité sociale initiale pour 2023 promulguée le 23 décembre dernier. Or, cette dernière ne comporte aucune disposition portant sur une quelconque modification du système des retraites, à supposer même que cela fût possible  : c’est d’ailleurs ce qu’avait relevé M. Isaac-Sibille, député, dans son rapport relatif à la branche vieillesse établi au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale, en reconnaissant que « Ce projet de loi de financement présente deux particularités, pour la branche vieillesse. La première, anecdotique, est l’absence de toute mesure concernant cette branche ». Il est donc difficile de comprendre la logique qui a présidé au choix d’une loi rectificative qui ne pouvait rectifier ce qu’elle prétend avoir rectifié !

Quant à l’insincérité du projet de loi, elle résulte de la volonté du gouvernement d’en finir au plus vite pour répondre à une promesse présidentielle et sans doute à l’impatience des marchés financiers, ce qui explique le caractère incomplet ou très approximatif de l’information apportée au Parlement.

  • Il en est ainsi de l’inexistence ou de l’absence de crédibilité des évaluations et des chiffres. Dans son avis du 18 janvier 2023 signé par le président de la Cour des comptes, le Haut Conseil des finances publiques n’a pas manqué de souligner sévèrement que « Compte tenu ducaractère incomplet des informations qui lui ont été transmises par le gouvernement, le Haut Conseil n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence de moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques » ! Mais si le Haut Conseil n’a pas été suffisamment informé pour analyser correctement l’impact de la réforme, comment peut-on reprocher aux parlementaires de s’en être plaints à leur tour ? Comment admettre que M. Jérôme Guedj, député, ait été obligé de perdre un temps précieux à courir dans les couloirs des ministères pour trouver des réponses aux questions qu’il posait au ministre du travail, M. Olivier Dussopt, lequel n’a pas trouvé mieux que de lui répondre sèchement : « Je n'ai pas à rendre de compte ni sur les canaux, ni sur la manière dont je fais les prévisions », en oubliant que la Constitution l’oblige à répondre à ces questions ! Voilà un bel exemple d’insincérité démontrée, mais aussi d’obstruction gouvernementale. 
  • Tout aussi grave est l’absence de toute mention des effets collatéraux de cette réforme sur d’autres branches de la sécurité sociale. Dans son rapport rendu en septembre 2022, le Conseil d’orientation des retraites (COR) observe pourtant qu’ « Un relèvement de l’âge d’ouverture des droits (AOD) a un impact à la hausse sur les dépenses hors retraites car il induit une durée de perception plus longue des allocations (chômage, maladie, invalidité, invalidité, minima sociaux) versées aux assurés qui sont hors de l’emploi et qui les perçoivent à ce titre », ces dépenses étant évaluées globalement à près de 5 milliards d’euros. Or ce point est fondamental s’agissant de l’équilibre général du financement de la sécurité sociale : il prouve qu’une réforme des retraites doit s’inscrire dans un cadre élargi, y compris à des domaines éloignés du périmètre du seul système des retraites, ce qui suppose d’en discuter sérieusement. 
  • Enfin, il est un point important passé sous silence par le gouvernement qui soutient que la solution incontournable pour éviter, selon lui, l’effondrement du système des retraites est de relever à 64 ans l’âge de l’ouverture des droits, sans rechercher l’existence d’autres sources de financement, telle la taxation des revenus du capital distribués aux actionnaires les mieux lotis. Or, ce n’est pas ce que dit la loi qui dispose que «  La pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement … entre les revenus tirés du travail et du capital » (article L. 111-2-1 de la sécurité sociale). Cette question des ressources aurait donc dû être posée, analysée puis discutée : la fin de non-recevoir opposée par le gouvernement n’est pas acceptable et altère profondément la sincérité de son projet.

Ces quelques motifs de fond suffisent à eux seuls pour démontrer que la réforme des retraites adoptée n’en n’est pas une digne de ce nom.

Rejetée par l’immense majorité des citoyens parce qu’elle est ressentie comme profondément injuste, elle révèle aussi une nouvelle tentative de l’exécutif d’user des pouvoirs parmi les plus exorbitants dont il dispose pour bâillonner ceux du Parlement. Une telle pratique est périlleuse et d’autant plus inquiétante qu’elle pourrait un jour mener, si elle était validée, vers l’impasse annoncée dans notre Constitution, à savoir que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».

Les citoyens de notre pays attendent du Conseil Constitutionnel qu’il sanctionne ces pratiques inacceptables et referme la porte dangereusement ouverte qui permettrait au gouvernement de succomber à nouveau à la tentation de légiférer sur d’autres réformes d’envergure, de cette manière, et en empruntant des voies constitutionnelles détournées de leur objet.

Pour toutes ces raisons, la loi sur les retraites actuellement examinée par le Conseil Constitutionnel doit être intégralement invalidée.

Paul Report

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