La question du désastre écologique, désormais évident, est un sujet que beaucoup trop de responsables politiques, en France comme à l’étranger, peinent à évoquer, ou très timidement, ou alors avec les précautions qui conviennent pour ne pas froisser la puissance financière et industrielle qui veille discrètement, mais efficacement, à ce que le pouvoir politique ne dépasse pas des limites pour elle infranchissables, à savoir celles de ne plus pouvoir continuer de « faire sereinement des affaires » et assurer la pérennité du ruissellement de leurs précieux dividendes. En fait, ils ont peur et choisissent d’alimenter le déni. Il faut prendre des mesures, clament-ils, de préférence des mesurettes, mais surtout pas aller trop loin !
L’action pusillanime des pouvoirs politiques sur ces questions est en effet bien trop proche des intérêts de ces puissantes industries ou corporations indifférentes au devenir de la planète et prouve, de toute façon, à quel point il n’y a plus rien, mais plus rien à attendre de ce côté-là. Ce côté est en effet celui où se blottissent tous ces esprits accrochés à leur pouvoir et aux avantages qui en découlent, ces irresponsables, mystificateurs, enfermés dans l’immédiat et devenus incapables de penser le temps long, un coin vaguement ripoliné de quelques éclaboussures verdâtres destinées à leur permettre de se donner bonne conscience car, figurez-vous, ils prétendent tous avoir, désormais, la « fibre écologique » ! Ils sont tous verts, car c’est la couleur politique à la mode, mais sont loin d’imaginer qu’un jour proche ils pourraient être verts de peur face à tous ceux, verts de rage, qui n’ont cessé en vain de les alerter depuis des décennies.
Mais l’important pour eux est de garder l’entière maitrise de la croissance, ou plutôt de leur conception de la croissance économique telle qu’elle est solidement ancrée dans le modèle néo-libéral qui leur est si cher, et veiller ainsi à ce que les affaires prospèrent de sorte que les affairistes puissent continuer de s’enrichir !
C’est cette approche néo-libérale qui a ainsi produit les résultats calamiteux des négociations qui se s’étaient déroulées à Glasgow à l’occasion de la COP 26 et qui ont révélé une nouvelle fois la puissance et l’efficacité du lobbying de ces affairistes agissant en sous-main pour préserver, avant toute chose, les intérêts de la finance et de l’industrie polluante.
En réalité, « l’accord » issu de cette conférence internationale contenait en filigrane les termes d’une proposition de faire-part de décès. L’on comprend mieux alors pourquoi son président, le ministre britannique Alok Sharma, a versé des larmes et exprimé ses regrets en présentant le rapport final des « travaux » de cette COP réalisés sous le regard sourcilleux de lobbyistes de tout poil, comme s’il voulait transmettre le triste message suivant : vous, dirigeants du monde, vous n’avez toujours rien compris, et maintenant, c’est presque foutu ! Et l’on peut parier que les conclusions de la 27ème de ces COP ne seront pas différentes : au fond, Greta Thunberg a eu raison de ne pas s’y rendre.
Pourtant, il n’y a pas de mystère. L’on ne sortira pas de cette situation sans changer radicalement notre façon de penser les comportements économiques.
Il faut donc agir sans perdre de temps et accepter l’idée, même si c’est la « mort dans l’âme », de privilégier dans nos vies quotidiennes l’utile au futile. L’urgence est par conséquent de mettre sur la table toutes les perspectives politiques et économiques envisageables qui en découlent, hormis celle de ne laisser les rênes de l’économie réelle qu’aux seuls marchés financiers ainsi qu’aux promoteurs du tout numérique, une conception de la vie sociale à terme catastrophique pour la biodiversité et la santé humaine : parce qu’il faudra bien un jour choisir une solution qui soit appropriée à l’enjeu prioritaire qui ait encore un sens, celui de sauver sur la planète ce qui peut encore l’être.
Il est dès lors impérieux de changer rapidement de paradigme et concentrer l’effort politique à la mise en œuvre des mesures et des moyens permettant d’emprunter rapidement une autre voie, en reconnaissant que la surconsommation en général et numérique en particulier sont catastrophiques pour la planète comme pour l’humanité. Ce sont d’ailleurs deux forces motrices économiques étroitement liées entre elles, l’une alimentant l’autre et réciproquement : l’industrie numérique (énergivore et catastrophique pour la ressource en eau) ne serait pas viable et donc si prospère sans les ressources générées par la publicité des produits futiles qui encombrent nos vies, et l’attirance des consommateurs pour ces produits-là serait bien moindre, sinon insignifiante à l’échelle de la planète, sans la puissance de feu des outils numériques et des « services » qui s’y attachent, tels la captation et le suivi des profils d’acheteur sur internet ou sur les réseaux sociaux.
Comme l’a fort justement écrit Edgar Morin (« Penser global », Robert Laffont, 2015), il faut alors avoir le courage d’abandonner la pensée binaire et ne plus dire « ou bien croissance ou bien décroissance », mais « croissance etdécroissance », c’est-à-dire concevoir ce qui doit croître et, en même temps, ce qui doit décroître. Et il précise que « ce qui doit croître, c’est une économie écologisée, une économie de la santé, une économie du bien public, une économie de la solidarité, une nouvelle éducation », alors que « ce qui doit décroître, ce n’est pas seulement une économie de guerre, c’est une économie de la frivolité, de l’inutilité » : voilà un principe qui devrait désormais constituer le fondement de base de l’action politique. On n’a plus d’autres choix que celui de consommer autrement, mais aussi d’accepter l’idée qu’il faut réparer plutôt que jeter.
Alors que dire de plus aux optimistes béats, ces je-m’en-foutistes atteints d’une myopie incurable qui se complaisent à vivre dans le déni et qui invitent, par leur silence coupable, à fermer les yeux devant l’impitoyable réalité des faits pour continuer de vivre au jour le jour, avec son temps, s'enrichir au plus vite pour « profiter de la vie », et « après moi le déluge » ?
Déjà, aux plus riches d'entre eux et à leurs fondés de pouvoir politiques, ceux qui façonnent les réalités du monde qu’ils s’acharnent à engraisser de futilités jusqu’à plus soif, qu’ils se rappellent quand même que sur notre planète, où ruisselle l’argent et les paillettes qui les fascinent tant, les vivants n'en finissent pas de mourir et les morts n'y renaissent pas ! Alors, pourquoi s’obstinent-ils à ne prendre plaisir qu’à accumuler sans partage ce pouvoir et cet argent qui ne leur sera plus d'aucune utilité à quelques mètres sous terre ?
Ensuite, aux citoyennes et citoyens qui ont la lourde responsabilité d’élire leurs dirigeants, il faudrait qu’ils ouvrent un peu les yeux, qu’ils réfléchissent par eux-mêmes en bannissant ces « influenceurs » et autres éditorialistes incompétents qui polluent notre capacité de discernement, qu’ils choisissent enfin des projets politiques où la question écologique est considérée comme centrale, est traitée en profondeur et où les choix économiques et sociaux proposés découlent des réponses qui y sont apportées, et non l’inverse.
Et enfin, à tous les je-m’en-foutistes, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, je leur pose une question simple mais essentielle : aimez-vous vraiment vos enfants ? Car eux, ces enfants, dans dix à trente ans au plus, n'auront-ils pas raison de vous reprocher vos choix et certaines de vos folies d'aujourd'hui, ne seront-ils pas en droit de réprouver le comportement que vous avez eu, de condamner votre lâcheté et peut-être même de ne plus vous aimer, voire de se mettre à vous détester ? Il ne s'agit pas, vous les je-m’en-foutistes, de vous projeter dans votre propre avenir, puisque cela vous laisse indifférent, mais d'imaginer celui de ces enfants, les vôtres et ceux des autres.