L’échec de la tentative d’abrogation de la « loi retraites » révèle, une fois de plus, le caractère sournois de la méthode du pouvoir exécutif pour asphyxier tout débat démocratique et imposer « sa » loi, quitte à tordre l’esprit et surtout la lettre des dispositions de la Constitution applicables.
L’opposition s’est battue comme elle l’a pu, en se plaçant exclusivement sur le seul terrain politique, ce qui est parfaitement légitime. Mais elle s’est toutefois privée d’une arme redoutable et redoutée par le gouvernement, à savoir l’arme juridique qu’elle ne s’est jamais donnée la peine d’utiliser. C’est dommage, et c’est par exemple la raison majeure de l’échec de son projet de RIP[1].
Mais le combat n’est pas terminé !
Une loi de financement rectificative n’est pas, en effet, une loi ordinaire.
Sa durée de vie n'a d'effet qu’au cours d’une année, celle de la loi de financement qu’elle rectifie (à savoir celle promulguée en décembre dernier), et c’est notamment pourquoi la proposition d’abrogation qui vient d’échouer était financièrement recevable, contrairement au raisonnement gravement erroné soutenu par Mme Braun-Pivet. De plus la loi rectificative en cause est juridiquement et explicitement fondée sur l'article LO 111-3-12 du code de la sécurité sociale selon lequel « Peuvent figurer dans la loi de financement rectificative les dispositions de l'année en cours », ce qui signifie qu'une loi de cette nature particulière ne peut pas, normalement, comporter des mesures nouvelles dont les effets pourraient se prolonger au cours des années ultérieures à 2023 [2].
Pour que les effets d'une loi rectificative puissent perdurer, il faut qu'il soit procédé à leur validation par le Parlement, préalablement au vote de la loi de financement de la sécurité sociale de l’année suivante. C’est ce que prévoit la loi organique codifiée à l’article LO 111-7-1 du code de la sécurité sociale. Pour les « chiffres » contenus dans cette loi, la discussion est théoriquement possible, mais pour les « lettres », à savoir toutes ces dispositions de la « réforme des retraites », je souhaite bien du plaisir au gouvernement pour s’expliquer de façon cohérente et juridiquement acceptable.
Ainsi, le débat sur la réforme des retraites reprendra forcément dès septembre prochain dans le cadre de l’élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Il faut alors espérer que les parlementaires se placeront enfin sur le terrain qui est le seul, à l’intérieur des enceintes de l’Assemblée Nationale et du Sénat, à pouvoir embarrasser et mettre en difficulté le gouvernement, à savoir le détournement de la procédure de l’article 47-1 et l’insincérité des motifs qui ont affecté la présentation de sa loi.
Le gouvernement ne manquera pas, à l'évidence, d’actionner pour la énième fois l’article 49.3. Mais le débat aura forcément lieu, une motion de censure aura des chances d'aboutir et, si tel n'était pas le cas, les députés et sénateurs pourront, le cas échéant, saisir à nouveau le Conseil Constitutionnel qui sera lui aussi bien embarrassé pour répondre aux questions qu’il a éludées ou auxquelles il n’a pas jugé utile de répondre dans la décision de validation qu’il a prononcée.
Il est donc impératif que nos parlementaires prennent conscience de l’enjeu et agissent intelligemment en affutant dès à présent leurs arguments, et surtout en évitant l’erreur de faire de l’obstruction stérile en asphyxiant ce débat par l’accumulation d’amendements inutiles et souvent sans intérêt.
Ce n’est pas la quantité d’amendements déversés qui comptera, mais la qualité juridique des arguments opposés au gouvernement.
NOTES:
[1] S'agissant du RIP, la Constitution impose expressément que son contenu, à la date où il est déposé, doit porter sur une réforme, c’est-à-dire sur quelque chose de nouveau qui ne figure pas dans la loi existante. A l’évidence, tel n’était pas le cas, et il suffisait de jeter un coup d’œil sur une décision du Conseil Constitutionnel d’octobre dernier pour s’apercevoir qu’un RIP ne peut, à la date où il est déposé, se borner à confirmer une disposition législative existante, en l’espèce l’âge de départ à la retraite encore fixé à cette date à 62 ans. L’erreur juridique était évidente.
Or, il n’était pas difficile de rédiger un RIP qui aurait fait tomber la réforme des retraites « par ricochet », en proposer une véritable réforme sur l’interdiction d’utiliser l’article 47-1 pour modifier le régime des retraites (ce qui aurait impliqué nécessairement, par voie de conséquence, que la loi promulguée sur ce fondement en avril n’aurait aucune raison d’être). Un texte du genre « Aucune mesure fixant l’âge de départ à la retraite ne saurait être instaurée dans le cadre d’une simple loi de financement de la sécurité sociale prise selon la procédure de l’article 47-1 de la Constitution », n’aurait probablement pas subi la même sanction devant le Conseil Constitutionnel et aujourd’hui, nous aurions peut-être à notre disposition un RIP solide qui aurait pu aboutir.
[2] Contrairement à certaines mesures facultatives insérées dans les lois de financement de la sécurité sociale initiales.