Il y a parfois de quoi être un peu inquiet quant à la capacité de certains parlementaires d’exercer sérieusement leur fonction de législateur, par exemple celles et ceux qui n’ont pas bien compris la différence entre une loi et un décret d’application, lequel n’a évidemment jamais vocation à abroger une loi. Certaines mesures relèvent certes du pouvoir exécutif et pourront alors être prises par décret (par exemple la revalorisation du SMIC), mais pas toutes. De plus, il ne faut pas oublier que même ces mesures purement règlementaires ne sont pas sans effets qui, directement ou indirectement, peuvent affecter positivement ou négativement les niveaux d’équilibre des lois de finances ou des lois de financement de la sécurité sociale et, par voie de conséquence, être un jour sujets à discussions au Parlement.
Ainsi, lorsque j’entends Manon Aubry, députée LFI, déclarer hier sur RTL : « La première chose que fera notre Premier Ministre, c’est abroger la réforme des retraites. C’est un décret, c’est pris en une heure », c’est juridiquement stupéfiant et, avec tout le respect que je dois à une députée expérimentée, je lui répondrais volontiers que « La première chose que fera alors l’opposition, c’est de demander au juge des référés du Conseil d’État de suspendre immédiatement l’exécution de ce décret, avant d’engager une procédure tendant à son annulation au fond. C’est une décision prise en une heure … » !
Nous ne sommes plus en campagne électorale, et il faudrait, me semble-t-il, que les états-majors des partis politiques donnent rapidement pour consigne à leurs représentantes et représentants d’arrêter de déclarer n’importe quoi sur les antennes de radio et de télévision.
S’agissant de cette loi sur les retraites, c’est beaucoup plus compliqué. Un décret pourra le cas échéant modifier, à la marge, telle ou telle disposition d’application de la loi, mais certainement pas la réforme elle-même, dans toute son ampleur, comme promesse électorale a été faite (l’âge de départ légal à la retraite relève de la loi, et il ne faut pas non plus oublier que cette loi a, notamment, également supprimé l’ensemble des régimes spéciaux …).
De plus, nous entrons dans la période de discussion et de votes des recettes et des dépenses de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 qui devra intégrer cette volonté d’abroger le dispositif des retraites voté l’an dernier, et être impérativement promulguée au plus tard le 31 décembre prochain : et là, le nouveau gouvernement doit s’atteler toutes affaires cessantes à élaborer un projet de loi de financement qui ne manquera certainement pas de faire l’objet d’âpres discussions.
Il y a donc urgence à prendre conscience que clamer des promesses irréalisables en termes de délais est de toute façon contre-productif, et risque de décevoir.
Dès septembre commenceront en effet les discussions suivies des votes (le tout jusqu’à la date impérative du 31 décembre 2024) de différentes parties de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Or, il faut que les nouveaux élus soient conscients que si, faute de trouver des compromis au-delà de la majorité du Nouveau Front Populaire pour adopter ces deux lois très particulières (qui devront notamment transcrire au titre de l’exercice 2025 les nouvelles dépenses et recettes induites par les réformes envisagées), le gouvernement se trouverait alors dans une impasse juridique dont la Constitution ne prévoit pas clairement la sortie (c’est arrivé une seule fois en 1979 avec le budget 1980 annulé par le Conseil Constitutionnel, mais pour une question de procédure, et non sur le fond, ce qui a permis d’y remédier rapidement par un nouveau vote), et bien évidemment dans une impasse politique.