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Billet de blog 10 mars 2023

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Mayotte oubliée, mais surtout méprisée par le pouvoir !

Difficile d’oublier cette plaisanterie de mauvais goût sortie publiquement de la bouche du Président Macron en personne : « Mais le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du comorien, c’est différent » !

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Quand on évoque Mayotte, je pense à ces mots moqueurs, hostiles voire haineux à l'égard de ces êtres, pourtant humains : les immigrés.

Ces mots n'en finissent pas d'empester les débats publics et de corrompre les valeurs de notre République et de la démocratie. Même le Président Macron n'a pu s'empêcher, dès 2017, le jour d'une visite d'un centre de surveillance et de sauvetage en mer situé en Bretagne, de lancer publiquement le sien sous forme d'une plaisanterie certes improvisée, mais de mauvais goût, de très mauvais goût.

Il se trouvait pourtant présent dans un lieu chargé d'une symbolique particulière, un lieu où l'on vénère la fraternité entre gens de mer pour lesquels sauver un naufragé, quel qu'il soit et d'où qu'il vienne, constitue un devoir sacré. Mais il ne le savait pas et personne dans son entourage, parmi ses précieux conseillers et autres incontournables communicants pourtant si imprégnés de tant de savoirs et si sûrs de leur supériorité, ne le savait davantage !

S'arrêtant devant un bateau de pêche comorien qui y était exposé, un kwassa-kwassa - c'est aussi une embarcation utilisée par des passeurs dépourvus de scrupules pour fourvoyer lucrativement des comoriens essayant d'émigrer vers l'île française de Mayotte - le Président s'exclama en effet « Mais le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du comorien, c’est différent » et, rapporte un journaliste présent du quotidien Libération, « l’entourage de rire puisque le chef de l’État rit, avant qu’un léger malaise s’installe ».

La question de l'émigration depuis les Comores vers l'île de Mayotte est certainement un sujet complexe et délicat, mais un Président de la République ne devrait-il pas faire preuve d'un peu de retenue, de maîtrise de soi, se taire quand il ne sait pas ? N'aurait-il pas l'obligation absolue, en toutes circonstances, de prendre de la hauteur face aux drames qui se cachent derrière la réalité migratoire en général et celle de cette région en particulier ?

Il est vrai que les Comores et Mayotte - la Lampedusa française - ce sont des points à peine visibles sur la carte de l'Océan Indien, et c'est loin, très loin, bien plus loin que la Méditerranée, l'Atlantique et la Manche, ces autres espaces de migrations qui baignent nos côtes métropolitaines, sous nos yeux.

Alors pourquoi, en effet, les drames humains qui se déroulent quotidiennement, là-bas, mériteraient qu'on en parle ? Ne suffit-il pas d'en dire de temps en temps quelques mots sur le ton du chuchotement et, pourquoi pas, s'en amuser un peu, mine de rien ? Pourtant, selon un rapport du Sénat (n° 675 du 18/07/2012), ce sont 7000 à 12000 migrants qui ont péri entre 1995 et 2012 et qui, depuis, continuent de périr en mer au large des côtes françaises d'un territoire français administré de loin par la France, migrants noyés dans les naufrages de ces kwassas-kwassas surchargés qui transportent vers Mayotte des ressortissants comoriens en état de misère, c'est-à-dire des êtres humains désespérés, et pas du comorien, Monsieur le Président, comme on parlerait du bétail !

Un Président de la République ne devrait pas plaisanter sur des sujets de cette nature, encore moins en rire publiquement.

Ces désespérés, en effet, ne rêvent pas de mourir : ils fuient cette misère qui nous laisse indifférents et rêvent de la France, de cette France universelle à la fois si proche et si lointaine dont on devrait être au moins fier qu'elle fasse encore un peu rêver !

Et si un vague communiqué du Palais de l'Élysée a fini, de guerre lasse, par reconnaître timidement qu'il s'agissait d' « une plaisanterie pas très heureuse sur un sujet grave », cette plaisanterie officielle révèle quand même une faille de pensée, un regrettable moment d'indifférence à la personne humaine, une mauvaise plaisanterie dépourvue de toute trace d'humanité qui restera malgré tout celle qui hélas, Monsieur le Président de la République, écrasera et décrédibiliser tout autre de vos discours sur ces sujets sensibles car elle est désormais forcément gravée, comme une douloureuse cicatrice de plus, quelque part dans la mémoire collective de peuples qui souffrent déjà assez comme ça.

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