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Billet de blog 11 octobre 2025

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Jordan Bardella est sur le point de nous expliquer « Ce que veulent les français » !

C’est le titre du second texte signé Jordan Bardella que les éditions Fayard appartenant à M. Vincent Bolloré s’apprêtent à publier, un an seulement après la parution de son essai autobiographique intitulé « Ce que je cherche » : mais le titre « Ce que veulent certains français » n’aurait-il pas été plus approprié ?

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Il faut admettre que le premier coup d’essai tenté l’an dernier par Jordan Bardella ne semble pas avoir laissé indifférent puisqu’il se serait vendu, semble-t-il, plus de 200.000 exemplaires de son texte prématurément autobiographique au titre passablement grandiloquent « Ce que je cherche », et ceci en dépit de la déconvenue d’un projet de campagne publicitaire d’affichage dans les gares et du fiasco d’une curieuse opération, finalement avortée car illégale, consistant à en offrir un, gratuitement, à toute personne faisant au parti Rassemblement National un don minimum de 50 euros en grande partie défiscalisé.

Force est donc de reconnaître, malgré ces déboires prêtant à sourire tant ils frisaient le ridicule, qu’il s’agit d’un beau succès commercial même si ce chiffre de ventes n’atteint pas les quelques 300.000 exemplaires écoulés, sinon plus, de l’essai de la jeune et talentueuse journaliste Salomé Saqué, « Résister », pourtant publié en contrepoint (aux éditions Payot) sans moyens publicitaires et médiatique du niveau de l’aide démesurée et tape-à-l’œil dont a bénéficié Jordan Bardella, un essai de belle facture, lucide, courageux et salutaire, mettant en lumière la supercherie et les dérives menaçantes de l’extrême-droite, démontrant ainsi à quel point il est vital, pour protéger notre démocraties et préserver notre niveau de vie, d’inviter ce mouvement à ne pas trop s'approcher des portes d’entrée du pouvoir.

                                                               *

Ce qui est étonnant, c’est que Jordan Bardella va nous remettre ça en publiant chez le même éditeur un nouveau texte au titre non moins grandiloquent « Ce que veulent les français », alors qu’il ne ressort pas grand-chose de plus intéressant et de plus novateur du discours actuel de Jordan Bardella pour nourrir un nouveau texte un tant soit peu consistant, un discours qui, pour l’essentiel, l’amène à continuer de ressasser sans se lasser la même rengaine - comme enregistrée sur un disque à sillon fermé -, une rengaine triste, lancinante, écrite et serinée de longue date par les idéologues qui ont construit l’histoire du nationalisme pur et surtout dur autour des thèmes de l’immigration, du coût de l’immigration, à nouveau de l’immigration, puis des immigrés, des immigrés bouc-émissaires, des immigrés et encore des immigrés … et ainsi de suite … jusqu’à plus soif, mais en ciblant certaines catégories d’immigrés et en éludant à dessein les raisons profondes qui obligent des personnes humaines maltraitées ou des populations martyrisées, violentées, affamées, abandonnées, à migrer au péril de leurs vies. Or, tous ces idéologues et leurs zélateurs, ces sans-cœurs qui encouragent la haine de l’étranger au nom de leur « préférence » ou « priorité » nationales se trompent et trompent les gens : comme le soulignait le grand sociologue Zygmunt Bauman, « Dans le monde où nous vivons, il est possible de tenter de contrôler l'immigration (bien que sans grand succès), mais la migration, elle, est destinée à suivre son propre cours, quoi que nous fassions ».

Pour rehausser le niveau de sa réflexion politique, il me semble qu’il manque encore au jeune Jordan Bardella la volonté de s’intéresser sérieusement aux fondamentaux de la vie en société et de se poser de véritables questions, en particulier morales, par exemple sur le sens de la dignité de la personne humaine, d’où qu’elle vienne, qu’elle soit pauvre ou riche, et quelle que soit sa religion ou la couleur de sa peau. De tels efforts l’aideraient assurément à au moins tenter de comprendre la réalité profonde de la vie, la vraie, pas seulement celle résurgente d’un monde de plus en plus tyrannique et en voie de déshumanisation qui semble l’éblouir jusqu’à l’aveuglement, un monde moralement révoltant où dominent le culte de l’argent et des écrans, la soif du pouvoir, le mensonge, l’exécration de l’étranger, du pauvre et de celui qui « pense mal ».

Or, c’est hélas ce monde brutal et inquiétant que lui, Mme Le Pen, leurs partisans, leurs alliés, leurs courtisans, paraissent privilégier en puisant leur inspiration dans les mauvais augures disséminés par ces vents mauvais qui soufflent actuellement par rafales violentes et meurtrières depuis les Etats-Unis et la Russie. Pour preuve ces paroles fondatrices du programme politique de Mme Le Pen prononcées lors de sa première campagne présidentielle, paroles qu’elle n’a jamais désavouées et donc toujours d’actualité : à une question d’une journaliste de RTL lui demandant ce qu’elle pensait du président Trump alors en exercice, elle a répondu sans un brin d’hésitation qu’ «  Évidemment, ce que fait Trump m'intéresse, puisqu'il met en place la politique que j'appelle de mes vœux depuis très longtemps … ». 

Voilà des propos peu rassurants qui révèlent une volonté cachée de reproduire en France un modèle politique, économique et social à tendance autocratique et masculiniste, un modèle refusant de reconnaître la réalité alarmante des effets du dérèglement climatique, un modèle réduisant la place en société laissée aux femmes, protégeant les plus fortunés, indifférent à l’amélioration du sort des plus vulnérables et des pauvres, et violemment hostile à la présence des étrangers : en réalité, ce peuple, il me semble qu’elle s’en moque, osant prétendre être seule à le défendre mais en se gardant bien d’avouer qu’elle ne pense à lui que pour glaner des suffrages, et rien d’autre ! Alors, à quoi bon entamer une discussion avec Jordan Bardella dont la feuille de route pour rafler des voix n’est qu’une copie conforme de celle ainsi arrêtée par Mme Le Pen et qui, de toutes façons, évite la confrontation d’idées et fuit les vrais débats sur les questions de fond, face à face, les yeux dans les yeux, avec de vrais contradicteurs, à savoir des citoyens ordinaires qui ont un vécu et des connaissances digne d’intérêt, et pas uniquement avec ses concurrents politiques du moment ou face à des journalistes complaisants, sinon à des « intellectuels » aux idées atrophiées et acquis opportunément à la cause qu’il défend.

Pour autant,  il ne faut pas se résigner et encore moins baisser les bras. Il faut continuer de parler aux électeurs bernés par tous ces discours, de les questionner, de saper leurs certitudes, de tout essayer pour en convaincre le plus possible qu’ils font fausse route et contribuent, par leur comportement irréfléchi, à mener le pays au désastre démocratique !

                                                              *

Pour en revenir au choix des éditions Fayard de privilégier désormais une ligne durement conservatrice, j’ai quand même du mal à cacher ma déception en me rappelant que c’est cette maison d’éditions qui a fait paraître il y a une trentaine d’années un livre d’un niveau autrement supérieur au texte de Jordan Bardella, un essai percutant et au succès planétaire, « L’horreur économique », qu’une femme brillante alors âgée de plus de 70 ans, Viviane Forrester, avait tenu à écrire, alors même que l’économie n’était pas sa spécialité, pour exprimer son indignation en y fustigeant avec force une opinion qui notamment « se soucie bien davantage (et avec véhémence) de la présence d’étrangers - c’est-à-dire d’étrangers pauvres - supposés rafler des emplois inexistants, gruger les autochtones, dévaliser l’aide sociale. Sus aux immigrés qui entrent, bon vent aux capitaux qui sortent ! Il est plus facile de s'en prendre aux faibles qui arrivent, ou qui sont là, et même arrivés depuis longtemps, qu'aux puissants qui désertent ! ».

Relire ce livre qui n’a rien perdu de sa pertinence, de la justesse de ses analyses et de son actualité fait quand même du bien, mais il est indéniable que la ligne éditoriale d’hier n’apparait malheureusement plus être celle fixée aujourd’hui par M. Vincent Bolloré : il reste simplement à croiser les doigts pour que cette grande maison d’édition n’occulte pas dans son catalogue quelques-uns de ses auteurs marquants, par exemple Jean Jaurès, Hannah Arendt, Alexandre Soljenitsyne, Raymond Aron, histoire de répondre à la volonté de sa direction éditoriale d’y laisser désormais plus de visibilité et donc plus de place, au premier rang, à de nouvelles recrues impatientes d’y publier leurs textes comme c’est déjà le cas, entre autres, de Jordan Bardella, Philippe de Villiers, Cyril Hanouna ou encore, plus récemment, des députés Karl Olive et Éric Ciotti en attendant, qui sait, un texte estampillé par le célèbre présentateur-vedette Pascal Praud ou, mieux encore, par M. Vincent Bolloré en personne !

                                                                *

Cela étant, d’autres éditeurs ne sont pas en reste pour ouvrir leurs portes à toutes ces célébrités en recherche de reconnaissance, lesquelles ne rencontrent aucune difficulté particulière pour convaincre l’un ou l’autre de ces puissants éditeurs de la place de Paris de publier des récits à leur gloire ou, s’agissant de très nombreux professionnels de la politique, d’ennuyeux essais visant à vanter avec aplomb la pertinence de leurs paroles et de leurs actes, à exposer laborieusement les causes de leurs erreurs et de leurs échecs forcément intervenues à leur insu, ou à expliquer l’incontestable légitimité de leurs ambitions en nous faisant croire qu’elle est à l’évidence le fruit d’un destin naturellement orienté « dans le sens de l’Histoire ».

Un bel exemple est celui de l’ancien ministre Bruno Le Maire qui, peu inspiré … ou peu enthousiaste pour répondre avec sérieux à notre désenchantement devant l’inquiétante évolution des courbes de l’économie française dont il avait la charge au gouvernement n’a pas, en revanche, ménagé sa peine dans l’écriture de sa plus récente livraison romanesque, évidemment publiée sans difficulté par un éditeur de premier plan, pour y exhiber son enchantement devant quelques courbures érotiques qu’il a découvertes et tenues à dépeindre avec un soin bien appuyé. Pris sans doute de remords face à de mauvais esprits étonnés de constater qu’un ministre aux lourdes responsabilités ait pu consacrer un temps précieux à scribouiller des histoires aussi insipides, il s’est rapidement ressaisi et a trouvé sans plus de difficultés un nouvel éditeur ayant lui aussi pignon sur rue qui s’est empressé de publier un ouvrage à l’allure, cette fois, d’un monologue politicien éculé intitulé, égo oblige, « La voie française » et non, plus modestement, « Une » voie française, quelque chose qui, pour l’essentiel, invite les personnes les moins favorisées par la vie et les plus épuisées par le travail à emprunter dans la souffrance un chemin impraticable tracé autour d’une citadelle imprenable, celle de Bercy, un chemin sans autre issue que celle qui débouche directement sur un nouveau lieu de tourments. 

Tout ça est affligeant et, au fond, n’est pas très intéressant. Il faut toutefois convenir que le seul nom de l’auteur d’un livre, même s’il n’a pas pris la peine de l’écrire lui-même, mais pour peu que ce nom soit déjà auréolé d’une renommée médiatique fertilisée dans un vase clos déposé de préférence à Paris, suffit largement pour approvisionner voire inonder de piles d’ouvrages médiocres les rayons culturels des gares et des supermarchés.

Alors, pour un individu sans notoriété particulière qui aurait pourtant quelque chose à dire, avoir la prétention de rivaliser avec de telles pointures des productions littéraires n’est pas évident. Il faut déjà qu’il ait la chance de trouver un éditeur un peu philanthrope susceptible d’assumer le risque de faire paraître un témoignage et des réflexions exprimés par l’un de ces citoyens ordinaires ignorés, souvent victimes du mépris social, trop souvent jugés politiquement incultes, balourds, dépourvus d’intelligence critique et généralement réputés inaptes à présenter, analyser voire proposer quoi que ce soit d’audible ou de lisible, comme s’ils n’étaient tous que des simples d’esprit juste bons à n’accomplir qu’un geste furtif, celui de glisser un bulletin de vote dans l’urne. Or, la destinée normale d’un livre est d’apparaître au plus vite sur les vrais étals de nos vraies librairies, ce qui suppose au préalable de présenter à une éditrice ou un éditeur un manuscrit qui puisse attirer leur attention : mais y parvenir n’est pas simple …

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