Bon courage, déjà, pour arriver à 62 ans …
Comment ne pas avoir le tournis, au risque de perdre la tête, en réécoutant le Président Emmanuel Macron affirmer en 2019, la main sur le cœur, qu’« Aujourd’hui, quand on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans. C’est ça la réalité de notre pays » puis, à peine 3 ans plus tard, effacer de sa mémoire ces propos de bon sens pour tonner avec force que « Ce sur quoi je me suis engagé dans ma campagne présidentielle, c’est de dire : on doit progressivement décaler l’âge de départ légal jusqu’à 65 ans ».
Mais les français sont désormais habitués à entendre ces volte-face, ces contradictions et approximations, ces promesses jamais tenues, assorties parfois de jugements méprisants voire insultants à l’égard des gens, et personne n’y peut plus rien. Ce sera comme ça jusqu’à la fin du quinquennat.
Une fois de plus, ce gouvernement a choisi d’exaspérer et d’affoler les français avec son projet de réforme des retraites qu’il tente d’imposer de force par une méthode difficilement supportable, en éludant soigneusement certaines vérités qui pourraient faire réfléchir les plus résignés et même les fâcher sérieusement. Il ne cherche pas, en effet, à façonner et négocier avec les partenaires sociaux une réforme consensuelle, mais agit par la peur : ses idées, à connotation essentiellement comptable, sont les seules, prétend-il, qui valent quelque chose et sa réforme est donc la seule qui permettra forcément d’éviter l’effondrement, pas moins, du système de retraites par répartition.
Alors, pour trouver les quelques milliards d’euros (selon le Conseil d’orientation des retraites, environ 8 milliards à l’horizon 2027) pour assurer à terme son équilibre, il faudra travailler et cotiser plus longtemps pour prétendre bénéficier un jour d’une pension à taux plein. Ce sera par conséquent aux salariés et à leur labeur de supporter tout le poids financier de cette recherche de l’équilibre financier visé par une réforme qui, cerise sur le gâteau des actionnaires du CAC 40, ne les concernera en rien, pas même ceux qui préfèrent payer des impôts à bas prix dans les paradis fiscaux et qui applaudissent aux licenciements à tour de bras ou aux délocalisations des entreprises vers d’autres cieux, et personne ne viendra par conséquent grignoter leurs parts de dividendes ou rachats d’actions (80 milliards en 2022 !) en les taxant un peu : le sujet est tabou, alors silence dans les rangs et surtout dans les médias !
Les articles et études sur la dimension financière et comptables de la problématique des retraites ne manquent pas, mais ce qui est tout aussi gênant dans le discours du gouvernement, c’est qu’il fait délibérément l’impasse sur deux aspects importants évoqués dans le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), deux aspects inexistants dans son discours alors qu’ils mettent l’accent sur l’impact immédiat du projet de réforme sur la vie quotidienne et citoyenne, y compris et peut-être surtout celle des plus jeunes : cette réforme, c’est un peu comme une bombe à fragmentation qui explose avant d’atteindre sa cible en libérant des éclats qui se propagent à haute vitesse dans d’autres directions.
Une bombe à fragmentation sociale
Le COR observe tout d’abord dans son rapport (p. 132) qu’ « Un relèvement de l’âge d’ouverture des droits (AOD) a un impact à la hausse sur les dépenses hors retraites car il induit une durée de perception plus longue des allocations (chômage, maladie, invalidité, invalidité, minima sociaux) versées aux assurés qui sont hors de l’emploi et qui les perçoivent à ce titre. La DREES (direction notamment sous la tutelle du ministère de la santé et du ministère de l’économie) a ainsi évalué, sur données 2019, qu’un relèvement de l’AOD de 2 ans induirait une augmentation des dépenses hors retraite et assurance chômage de l’ordre de 3,6 milliards d’euros concentrée sur les personnes de 62 et 63 ans (…) », la moitié de cette augmentation portant sur les pensions d’invalidité qui concerneraient alors 160 000 bénéficiaires supplémentaires. S’agissant de l’assurance chômage, le COR ajoute que la DARES (ministère du travail) « a évalué que les dépenses d’allocation de retour à l’empli (ARE) et d’allocation de retour à l’emploi formation (AREF) auraient été rehaussés d’environ 1,3 milliards d’euros si l’âge légal de départ avait été fixé à 64 ans plutôt qu’à 62 ans (…) ».
Au total, la réforme des retraites provoquera mécaniquement et à très court terme une explosion de dépenses sociales hors retraites de l’ordre de 5 milliards d’euros, un chiffre sans doute a minima, les données ministérielles sur lesquelles se fonde le COR n’étant probablement pas défavorables au gouvernement puisqu’elles ont été évaluées par ses propres services.
En d’autres termes, la réforme des retraites qui vise à boucher un trou en creuse automatiquement d’autres, mais dans le plus grand secret. Et ces trous, il faudra bien les boucher, sans doute en imaginant de nouvelles réformes qui viseront cette fois les actifs, y compris les plus jeunes et, par voie de conséquence le niveau de leurs salaires et de leur pouvoir d’achat. Le gouvernement se garde bien d’en parler !
Un second aspect évoqué dans le rapport du COR (p. 136) n’est pas moins préoccupant. Cet aspect est celui des « effets sur le bien-être » de la réforme des retraites, le COR soulignant que « Les effets macroéconomiques d’un report de l’âge de retraite font donc l’objet de controverses pour le court et moyen terme. Pour autant, ces effets, même s’ils étaient assurés, n’épuiseront pas la débat sur une telle réforme. Ils ne permettent pas de trancher la question de bien-être des assurés », en ajoutant, s’agissant du report de 2 ans de l’âge de départ à la retraite, que si « la croissance de richesse que l’on peut espérer d’une telle mesure est susceptible d’augmenter le bien-être des français, elle a toutefois pour contrepartie une diminution du temps libre susceptible quant à elle de diminuer ».
L’idée volontiers véhiculée par nos meilleurs donneurs de leçons, ceux notamment qui se bousculent sur les plateaux de télévision, c’est que le profil du jeune retraité est celui de l’adepte de la pêche à la ligne ou de la chaise relax, un paresseux social qui n’est plus d’une grande utilité pour la société. Il y en a, bien sûr, mais il y en a bien d’autres sans lesquels le fonctionnement social de notre pays serait bien grippé. Citons trois exemples qui pourraient peut-être attirer l’attention des plus jeunes encore actifs ou en recherche d’une activité professionnelle.
Le premier est celui du rôle des grands-parents. Dans une note de juin 2018 de sa revue « Etudes et Résultats » (n° 1070), la DREES, c’est-à-dire un service du gouvernement, indique que « les grands-parents effectueraient environ 16,9 millions d’heures de garde par semaine auprès des enfants de moins de 6 ans, réparties à hauteur de 8,2 millions d’heures pour les enfants de 0 à 2 ans et de 8,7 millions d’heures pour les 3-5 ans. L’aide informelle repose ainsi principalement sur eux », soit un nombre d’heures qui équivaut à plus de 400 000 emplois. Les jeunes parents savent à quel point la disponibilité de ces grands-parents est précieuse, surtout occasionnellement lorsqu’il leur est difficile de trouver une solution qui ménage leurs contraintes de travail et l’absence de places en crèche ou l’impossibilité de trouver une assistante maternelle (un métier difficile et sous-payé, actuellement sous tension). La réforme des retraites qui impose le maintien en activité des grands-parents de 62 et 63 ans aura donc pour effet évident de réduire considérablement cette aide avec toutes les conséquences que cela impliquera pour les jeunes parents, notamment pour les femmes mères de famille et plus encore pour les mères célibataires : mais le stress de trouver des solutions pour garder ses enfants, de négocier des aménagements du temps de travail avec son employeur ou encore de calculer ce qui reste dans son porte-monnaie pour payer une nounou occasionnelle ne semblent pas préoccuper le gouvernement. Il n’en parle pas. Cela le laisse manifestement indifférent.
Le deuxième exemple est celui de la vie associative. La valeur ajoutée apportée par le bénévolat n’est jamais prise en compte dans les calculs savants de la richesse nationale, alors même qu’elle permet de notables économies de dépenses qui profitent notamment à l’État et aux collectivités locales. On est certes bénévole à tout âge, mais la part des retraités dans la vie associative est primordiale. Je pense notamment aux associations caritatives qui s’occupent des plus démunis ou des étrangers. La Caisse nationale d’assurance vieillesse a d’ailleurs souligné dans une étude du 26 juin 2013 (n° 2013-054) qui garde toute son actualité que « les retraités jouent un rôle important dans la vie associative de par le temps et les compétences qu’ils y apportent. La moitié des présidents d’associations sont retraités ». Que dire de plus, sinon relayer les inquiétudes des associations, par exemple celle de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) qui, dans un communiqué d’octobre dernier, souligne que « le report de l'âge de départ à la retraite va nuire encore davantage à la vie associative et à l'engagement des plus de 60 ans, à leur capacité à vivre pleinement leur retraite et à transmettre aux générations futures ».
Enfin, et ce sera le dernier exemple, cette réforme n’arrangera rien à la question lancinante des difficultés de trouver des « volontaires » pour s’engager dans la vie politique locale. Dans un article de sa publication Maire-Info du 1er octobre 2020, l’association de maires de France (AMF) constate ainsi que « les maires sont de plus en plus âgés (…) Et l’AMF de conclure qu’ « il y a fort à parier que cette tendance ne tient pas tant à un rajeunissement des maires… qu’au recul progressif de l’âge de la retraite ». Cette tendance ne s’inversera donc pas et trouver des candidats disponibles et encore en bonne santé pour s’engager dans la vie politique locale sera de plus en plus difficile.
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Concluons par une citation, celle d’Ambroise Croizat, ministre du travail communiste choisi par le Général de Gaulle pour mettre sur pied la sécurité sociale, y compris l’assurance vieillesse, cette réforme prévue par le programme du Conseil national de la Résistance, pas le « CNR » du Président Macron, mais le vrai : « Ne me parlez pas d’acquis sociaux mais de conquis sociaux, car le patronat ne désarme jamais ».