Que reste-t-il du respect par le pouvoir actuel des principes fondamentaux de notre Constitution ? Presque rien qui puisse rassurer !
Le principe inscrit à l’article 2 selon lequel la République c’est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » n’a désormais plus beaucoup de sens, pas plus que celui de l’article 3 en vertu duquel « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Le Président Macron a en effet décidé, pour gouverner le pays, de confier à l’exécutif le soin d’exercer à fond les pouvoirs parmi les plus exorbitants dont il dispose dans le seul but de bâillonner ceux du Parlement, à tel point que l’on est désormais en droit de se demander si la France ne s’achemine pas vers cette situation périlleuse annoncée elle aussi dans notre Constitution à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».
Pour tenter de faire passer en force « sa réforme » bâclée des retraites, truffée de mensonges, de graves omissions, de grossières approximations et massivement rejetée par les citoyens[1], il a eu tout d’abord l’idée d’asphyxier en un temps record tout débat sérieux au Parlement en tordant la lettre et l’esprit de l’article 47-1, qui plus est dans le cadre totalement inappropriée d’une loi de financement de la sécurité sociale simplement rectificative qui, pourtant, ne saurait permettre d’y inclure une réforme d’ampleur applicable aux années ultérieures à 2023. C’est ce qui est écrit noir sur blanc à l’article 1er de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, et c’est ce qu’a confirmé explicitement le Conseil d’État dans l’avis qu’il a donné sur cette loi[2] : il est d’ailleurs incompréhensible – et il faudra bien qu’ils et elle s’en expliquent un jour - que le directeur de cabinet de la Première ministre et celui du ministre de la justice outre la secrétaire générale du gouvernement, tous trois membres du Conseil d’État, aient pu ignorer ou aient fait semblant d’ignorer cet avis adopté en assemblée générale de l’institution à laquelle ils appartiennent.
Puis, constatant qu’il était sur le point d’échouer, le Président Macron a décidé de jouer avec le feu en sommant sa Première ministre de mettre en œuvre l’article 49-3, cette redoutable arme constitutionnelle destinée à guillotiner le débat démocratique, une arme qui autorise le gouvernement à déposséder le Parlement de son droit absolu de procéder au vote d’une loi ou de la rejeter.
Sur le fond, le caractère inique de cette « réforme » n’est plus à démontrer : elle ne fait que révéler la méconnaissance profonde par le pouvoir actuel de la vie réelle des citoyens et son refus idéologique pour œuvrer à améliorer leur bien-être, surtout celui des plus précaires.
Mais piétiner comme il le fait la Constitution est également d’une extrême gravité.
La priorité immédiate est donc de faire tomber le gouvernement par un vote majoritaire de la motion de censure qui vient d’être déposée à l’Assemblée nationale avec, dans ce cas, cette heureuse conséquence que la « loi » sur les retraites du Président Macron passerait alors inéluctablement de vie à trépas. Mais pour y parvenir, il faut une majorité qui nécessite de convaincre un certain nombre de députés de droite et du centre.
L’important est tout d’abord que ceux qui ne voteront pas cette motion de censure reçoivent clairement le message que leurs électeurs s’en souviendront lors des prochaines échéances électorales, même dans quelques années.
Ensuite, il faut d’urgence amener les députés du parti « Les Républicains » ou assimilés, encore hésitants, à revenir aux sources de leur orientation politique, celle du gaullisme dont ils se réclament : la question n’est pas celle de savoir si l’on est d’accord ou non avec de Gaulle mais, en se plaçant sur leur terrain, de renvoyer à la conscience de ces élus de droite qui passent leur temps à s’en réclamer à aller jusqu’au bout de leurs convictions qu’ils mettent trop souvent de côté une fois leur élection passée.
Qu’ils se souviennent par exemple de ce message adressé par de Gaulle le 4 mai 1943 au Conseil national de la Résistance dont il fixait pour « seul but de servir la France et en s'inspirant constamment de cette fraternité nationale qui seule permet à la nation de résister à ses malheurs et la mettra demain à même de se reconstruire et de se renouveler » !
Qu’ils se remémorent aussi son discours d’Alger du 3 novembre 1943, un discours que MM Ciotti, Retailleau ou encore Larcher devraient lire et relire, où il disait notamment que la France « veut faire en sorte que, demain, la souveraineté nationale puisse s’exercer entièrement, sans les déformations de l’intrigue et sans les pressions corruptrices d’aucune coalition d’intérêts particuliers », ou encore qu’elle « veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappaient à la nation, où les activités principales de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs dont, cependant, elle dépendait. Elle veut que les biens de la France profitent à tous les Français (…) » !
Et qu’ils se rappellent enfin que, quelques mois plus tard, de Gaulle nommait ministre du travail du gouvernement provisoire un ouvrier syndicaliste communiste d’une intelligence hors norme, Ambroise Croizat, en lui confiant la mission de bâtir les fondations de la sécurité sociale et de notre système des retraites, ce qu’il fera brillamment, avant de quitter le monde politique … et retourner à l’usine. Évidemment, tout ça ne rime pas très bien avec les intérêts des actionnaires du CAC 40, ni davantage avec les conseils sournois et surtout intéressés de McKinsey ou encore de BlackRock ! Pour le Président Macron, quelqu’un comme Ambroise Croizat fait sans doute partie de cette catégorie de gens qu’il a un jour lamentablement qualifié de « riens ». Il reste que c’est grâce à des gens comme ces « riens » que la France est devenue la France, avec ou sans de Gaulle, mais certainement pas avec Emmanuel Macron.
Mais si cette motion de censure ne passait pas, il restera encore au Conseil Constitutionnel, dont le rôle est de dire le droit et non de faire de la science politique, à se prononcer : or, la méthode d’élaboration de cette loi et son contenu sont d’une telle aberration juridique qu’il paraît impensable qu’elle puisse être déclarée conforme à la Constitution, même partiellement[3].
Normalement, le détournement de la procédure prévue à l’article 47-1 de la Constitution, ne devrait pas prêter à d’amples discussions : encore une fois, une réforme profonde des retraites n’a pas sa place dans cette loi de financement rectificative qui ne peut comporter de mesures applicables au-delà de l’année 2023 et qui en plus, dans le cas présent, ne rectifie rien d’une quelconque règle de droit inscrite dans la loi de financement initiale promulguée en décembre dernier.
Pour se convaincre de cette invraisemblance juridique, rappelons, une fois de plus, que c’est le Conseil d’État qui a affirmé dès 2004 qu’un « projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est pas, en raison des contraintes de temps et de procédure dans lesquelles est enfermé son examen par le Parlement, adapté à la mise en œuvre d’une réforme de fond et de grande ampleur », ou encore très récemment, en 2021, que l’article 47-1 de la Constitution comporte des limites et que « cette limitation vise notamment (…) à éviter que les lois de financement de la sécurité sociale ne servent de vecteurs à des réformes susceptibles de soulever des questions délicates dont l’examen n’est pas compatible avec les délais et les règles de procédure régissant ces lois ».
Si le Conseil Constitutionnel censurait la loi déférée au motif du détournement de procédure constitutionnelle, elle serait alors déclarée non conforme en son entier, sans même qu’il ait alors à examiner d’autres griefs tirés de l’impressionnante insincérité du contenu de cette « loi » (il s’agit notamment des évaluations inexistantes ou approximatives constatées par l’avis signé par le président de la Cour des Comptes et, en cours des débats, par les députés et sénateurs de l’opposition ; du déséquilibre de la loi de financement dans son ensemble, laquelle n’intègre pas les dépenses hors retraites relevées par le Conseil d'orientation des retraites, dépenses induites consécutives au passage à 64 ans de l’âge d’ouverture des droits ; de l’absence de financement de la branche retraite par les revenus du capital pourtant expressément prévue à l’article L. 111-1-2 du code de la sécurité sociale etc…).
Cette affaire pourrait ainsi être définitivement classée sans autre suite que celle de laisser le Président Macron, son gouvernement et leurs alliés de droite, les bras ballants et les yeux hagards, devant un accroc majeur dont ils n’imaginaient pas qu’il puisse exister : celui du profond ressentiment du peuple de France à leur égard !
NOTES:
[1] https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/250223/reforme-des-retraites-une-strategie-du-mensonge-et-de-la-desinformation
[2] https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/150223/reforme-des-retraites-le-parlement-est-il-victime-d-un-detournement-de-procedure
[3] https://www.mediapart.fr/journal/politique/150323/le-conseil-constitutionnel-ne-joue-pas-le-role-de-contre-pouvoir