La loi sur le pass vaccinal qui vient d’être adoptée péniblement et dans la précipitation par le Parlement n’est certainement pas de celles qui pourraient honorer le travail parlementaire de la présente législature, ou plutôt du présent quinquennat, tant les textes adoptés par ce Parlement n’ont quasiment fait que respecter à la lettre les seules volontés d’un pouvoir exécutif autoritaire et directif à l’excès. Un sujet aussi sensible et important sur la question du respect des libertés fondamentales méritait mieux qu'un travail à ce point bâclé.
Il reste que cette loi doit encore être examinée par le Conseil Constitutionnel.
Je ne me permettrai pas, bien entendu, d’anticiper une quelconque analyse critique du contenu et de la portée d’une décision qui n’a pas encore été prise, mais j’ai du mal à ne pas évoquer, dès à présent, le caractère déontologiquement intenable de la position qui, dans cette affaire, pourrait être celle du Président du Conseil Constitutionnel, M. Laurent Fabius, s’il décidait d’y délibérer, au risque alors d’alimenter voire d’exacerber la défiance des citoyens à l’égard de l’institution qu’il préside.
Un article publié le 24 juin dernier dans l’Obs sous le titre « La République des consultants », nous apprend en effet que l’État, les entreprises publiques et les collectivités locales ont consacré 43 milliards d’euros en 2019, pas moins, pour financer diverses prestations de « conseils » auprès de cabinets français mais surtout étrangers, dont le célèbre cabinet américain McKinsey qui intervient un peu partout à raison de « 4000 euros par jour » et par consultant.
C’est par exemple ce cabinet qui conseille le gouvernement dans l’orientation de sa politique de vaccination . L’on peut lire ainsi dans l’article publié par cet hebdomadaire que « Chaque après-midi, au démarrage de la campagne de vaccination, les membres de la task force du ministère de la santé étaient conviés à des points d’étape pilotés … par un associé du bureau McKinsey à Paris. Un service facturé 4 millions d’euros … » : ces propos n’ont pas été démentis !
Le problème d’ordre moral (et même, à ce niveau, fondamentalement moral) qui se pose alors est que le directeur associé de McKinsey France est M. Victor Fabius, fils de Laurent Fabius, Président du Conseil Constitutionnel qui ne peut donc ignorer le rôle majeur des « conseils » et des actions de « pilotage » prodigués au gouvernement par ce cabinet dirigé par son fils.
Pour éviter tout reproche qui pourrait lui être fait, je pense que M. Laurent Fabius doit se déporter dans cette affaire.
Certes, il n’en n’a pas juridiquement l’obligation, puisque les textes qui définissent les règles de fonctionnement du Conseil Constitutionnel ne l’imposent pas. L’article 3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 se borne en effet à indiquer que ses membres « jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence du Conseil », et la proposition de loi présentée par Mme Cécile Untermaier en janvier 2017 visant, selon le rapport de cette députée, à introduire dans cet article une disposition imposant « aux membres du Conseil constitutionnel de s’abstenir (obligation de déport) de prendre part aux délibérations, quelle qu’en soit la nature, lorsque leur participation pourrait entacher d’un doute l’impartialité de la décision rendue » n’a pas été suivie d’effet.
Il reste qu’il n’est pas interdit à un membre du Conseil Constitutionnel de prendre une telle initiative. L’on peut citer l’exemple de M. Michel Pinault qui avait estimé devoir s’abstenir de siéger dans une affaire n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017, au motif que celle-ci portait sur une question impliquant le Conseil d’État dont il avait été membre.
Ce serait tout à l’honneur de M. Fabius de prendre une telle initiative qui permettrait, au moins, de modérer le sentiment de défiance de plus en plus marqué éprouvé par les français à l’égard de nos institutions.