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Billet de blog 20 février 2022

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Élection présidentielle : Valérie Pécresse, confinée dans un vase clos … incassable.

Bien des choses sonnent faux dans les discours des candidats de droite et d’extrême droite qui ne supportent pas que l’on parle trop haut de leurs cocons bourgeois, comme pour refouler le message de l’Abbé Pierre, ce fils de la bourgeoisie lyonnaise qui savait, lui, ce qu'avoir froid veut dire et qui n'avait pas froid aux yeux pour haranguer le monde politique sur les questions de pauvreté.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je vais sans doute paraître sévère à l’égard de Valérie Pécresse, mais il me semble que l’une des grandes difficultés qu’elle n’a pas réussi à surmonter est celle de réussir à briser le vase clos à l’intérieur duquel elle s’est laissée enfermée, du côté des beaux quartiers de Neuilly ou d’ailleurs, là où elle semble si bien se complaire : l’écouter parler et observer son comportement public me persuade qu’elle reste farouchement fidèle aux codes du milieu aisé, plutôt douillet et rassurant qui lui a permis sans rencontrer de difficultés particulières de devenir un « produit du système méritocratique français » tel qu’on le conçoit dans ces quartiers « sécurisés » comme il se doit pour éviter toute intrusion inopportune, surtout celle des pauvres, des oubliés de la société. Mais elle n’est pas isolée, et ses soutiens sont nombreux, par exemple Emmanuel Macron ou Mme Le Pen qui sont aussi passés par là, par ces beaux quartiers ...

Pas plus qu’à Emmanuel Macron ou à Mme Le Pen, je ne lui reproche d'être issue de ce milieu – elle n'y est pour rien -, ni davantage d'avoir bénéficié - tant mieux pour elle - de cette heureuse opportunité pour emprunter les raccourcis sûrs et paisibles permettant de se faufiler plus commodément vers le point culminant du système « méritocratique » dont elle et ses semblables se prévalent, système quasi prioritairement réservé aux tous premiers des classes favorisées qui les ont vu naître et dont ces raccourcis, efficacement organisés autour de réseaux de l’entre-soi bien plus difficilement accessibles à ceux qui n'ont pas eu l'aubaine de naître au bon endroit, mènent rapidement et sans grands encombres, en passant par certains lycées bien implantés puis grandes Écoles bien ciblées, vers une réussite sociale assurée : celle ouvrant directement les portes d'accès aux lieux d'exercice des pouvoirs intellectuel, politique, administratif ou économique, même pour les plus moyens voire les moins doués parmi les quelques plus brillants d'entre eux.

Ce que nous ressentons, nous autres riens, c’est que celles et ceux qui ont eu la chance de pénétrer dans ce système, en disposant du privilège d’emprunter ces raccourcis, ont eu le privilège de participer à une compétition aux règles inéquitables, compétition qui assure, avant même qu’elle ait lieu, une distribution immédiate des plus belles récompenses à la minorité de ceux qui ont hérité de la bonne fortune de gagner à coup sûr, de ceux qui ont bénéficié, sans produire d’efforts démesurés, du droit de s’élancer dans la vie avec de telles longueurs d’avance que, pour les riens, parvenir à les rejoindre relève nécessairement de l’exploit.

Ces « méritocrates » ainsi auréolés du titre prestigieux de premiers de cordée auront donc, pour la plupart d’entre eux, toutes les chances d’être dispensés, pour vivre ou survivre, de traire des vaches dans une étable, de monter sur un toit pour réparer des tuiles cassées, de se lever tôt dans la nuit pour cuire du pain, de risquer quotidiennement leur vie - revêtus d'un uniforme - pour protéger les citoyens de la violence, de soigner des petits vieux dans une maison de retraite, de s'épuiser dans un service d'urgences pour tenter de sauver des humains en détresse, d'usiner des pièces sur une chaîne de montage en échange de quelques fifrelins, de nettoyer des caniveaux ou des toilettes publiques, de pointer à Pôle Emploi, que sais-je encore.

Eux, même les plus intellectuellement moyens, n'auront pas - ou rarement - à faire l'effort de traverser une rue pour trouver un bel emploi, bien propre et bien rémunéré, un emploi qui, souvent, ne sert à rien d’autre qu'à lustrer avec soin leur vase clos, à épousseter leur entre-soi et à entretenir avec avidité le carnet d’adresses que le destin a mis entre leurs mains pour protéger du mieux possible d’utiles comptes bancaires ou autres privilèges dont ils seront les  bénéficiaires et dépositaires : en échange de ce travail dont la pénibilité reste à démontrer, ils n'auront pas de gros soucis à se faire pour vivre très convenablement en disposant - cerise sur le gâteau - du droit immuable de décider de presque tout et de donner, si bon leur semble, des leçons de comportement social aux riens et surtout aux moins que rien qui les entourent, ou plutôt qui encombrent leur bel espace de vie.

Et pour s’y prélasser comme il faut, dans cet espace, il leur est évidemment recommandé de bannir de leur vocabulaire un mot calamiteux, car c’est un mot qui y résonne comme le prononcé d’une disgrâce fatale : le mot humilité !

Mais elles et eux trouveront hélas normal et légitime d’être les mieux à même de gouverner un pays qu’ils ne connaissent pas !

Bien sûr, en France, l'ascension vers le monde d'en-haut n'est pas chose impossible pour ceux qui viennent d'autres milieux, situés plus bas : il leur suffit de repérer et d'emprunter d'autres chemins de traverse, généralement tortueux et en pente raide, dissimulés ici et là autour de l'enceinte où s'entassent les privilèges et où s'exercent les pouvoirs puis, une fois cette enceinte franchie, souvent avec peine, de tenir bon dans un univers qui ne leur sera pas forcément hostile s'ils y prouvent l’utilité qui convient, bien qu'ils devront régulièrement au cours de leur vie et leur carrière professionnelle justifier de la légitimité de leur intrusion.

Certains y sont parvenus hier - j'ai patiemment réussi à être de ceux-là en prenant tout mon temps - et d’autres, sans doute un peu plus nombreux, y parviennent aujourd'hui, mais avec plus ou moins de difficultés, notamment pour ceux qui viennent des coins défavorisés du territoire, et plus encore lorsqu’ils sont issus de milieux pauvres ou précaires ou lorsque leurs traits, leurs prénoms ou leurs patronymes révèlent une origine étrangère, malgré une intégration réussie. Quant aux femmes, c’est la double peine : il leur faudra, en plus, redoubler d’efforts pour l’unique raison qu’elles sont femmes.

Force est cependant de constater que l'expérience d'une vie semée d'embuches ne suffit pas à déverrouiller les blocages des réseaux oligarchiques et technocratiques qui empêchent une gouvernance éclairée et plus humaine de notre société : ces vrais gagnants ne sont pas assez nombreux là où il faudrait qu’ils soient pour partager les fruits de leur vécu, pour être mieux entendus, et beaucoup trop d’entre eux finissent hélas par oublier d'où ils viennent et par entrer dans le rang, voire même  « en rajouter », à l’exemple d’Éric Zemmour ou de Gérald Darmanin.

Cette campagne électorale donne parfois l’occasion de jeter un coup d’œil du côté droit, là où se trouvent la plupart de ces chemins glissants semés de ces cailloux qui me font penser à ce que disait Victor Hugo : « Quand le soleil décline à l’horizon, le moindre caillou fait une grande ombre et se croit quelque chose » . Il s'en trouve hélas aussi du côté gauche ...

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