Les immigrés sont condamnés à souffrir en silence !
Le gouvernement et la plupart des acteurs politiques de la droite et de l’extrême-droite ont donc décidé de s’acharner comme jamais sur un bouc-émissaire qui ne dispose d’aucun droit pour se défendre : l’étranger.
C’est consternant, absurde, hypocrite et dégrade lamentablement le niveau de la vie politique à cause de bellicistes sans scrupules qui, tels des vendeurs de boucs émissaires à la sauvette, se plaisent à monopoliser l'espace médiatique et celui des réseaux sociaux pour les polluer de propos approximatifs et peu reluisants.
Or, ces politiciens à l’humanité défaillante ne savent pas de quoi ils parlent. Ils ne savent pas ce que c’est que la misère, la guerre, l’humiliation. Ils ne sortent pas souvent des beaux quartiers de Paris, de Neuilly ou encore de Saint-Cloud. Ils n’ont jamais mis les pieds dans un bidonville, en Afrique ou même, près de chez nous, en Seine-Saint-Denis, ni davantage dans des pays dévastés par la guerre, la famine ou par une catastrophe écologique. Ils ne savent rien des souffrances endurées par ces étrangers qui, trop souvent, n’ont d’autre alternative que mourir ou partir ailleurs, au risque d’y souffrir d’une autre maladie : la haine de l’immigré. Et le candidat à l’émigration ne sait pas qu’en France, par exemple, il sera officiellement maudit, car considéré par le gouvernement, désormais inspiré par l’idéologie d’extrême-droite, comme principal coupable des maux et des problèmes du pays. Hélas, ce sont ces politiciens médiocres qui occupent le devant de la scène, au gouvernement, au Parlement et surtout dans les médias. Ce sont eux qui forgent l’opinion.
Moi-même fils d’immigrés, né en France au début des années 1950 et naturalisé français alors que j’avais 16 ans, je peux témoigner, au nom des anciens « bicots/bougnouls », des « ritals » ou encore, comme dans mon cas, des « sales polaks » que j’ai longtemps côtoyés, de la réalité de l’accueil des immigrés, des difficultés de leur intégration et du combat permanent contre la haine, au mieux contre le mépris, ou encore pour sortir au plus vite de l’extrême pauvreté. J’ai vécu tout ça dans mon enfance, et je m’en suis sorti, plutôt bien, car il y a en France beaucoup de gens exceptionnels dont on parle d’ailleurs trop peu. Je peux témoigner aussi à quel point le droit français et communautaire sur le sort réservé aux étrangers est d’une faible efficacité pour avoir, au cours de ma carrière de magistrat des tribunaux administratifs, traité des centaines de reconduites à la frontière devenues OQTF. La nouvelle loi en passe d’être votée n’a en réalité qu’un objectif, à savoir celui « de rendre impossible » la vie des étrangers.
Aujourd’hui, ce sont surtout les « noirs » et les « arabes » qui sont ciblés. Mais ces politiciens boutefeus qui nous assènent quotidiennement leur haine de l’immigré, pourquoi, encore une fois, ont-ils peur d’aller voir en Afrique ou au Moyen-Orient ce qu’est la richesse des peuples qui y vivent et à quoi ressemble la misère alimentée par nos turpitudes occidentales ? J’ai vécu cette expérience pendant deux ans, au début des années 1970, en tant qu’enseignant dans un collège d’une petite ville de brousse en Côte d’Ivoire, et je peux témoigner que les gens de là-bas, courageux, travailleurs et certainement aussi intelligents que nous, méritent le respect.
Mais des témoignages tels le mien intéressent peu. Malheureusement, beaucoup préfèrent écouter l’imbécilité haineuse éructée par des provocateurs et démagogues qui s’imposent aujourd’hui dans notre paysage politique et dans nos médias sans savoir de quoi ils parlent, des individus de petit niveau qui ne pensent qu’à leur maintien ou leur accès au pouvoir. La France républicaine est en train de s’effondrer.
Une victoire du RN prévisible
L’urgence, désormais, c’est surtout d’arrêter toutes affaires cessantes l’hémorragie haineuse qui est en train d’empoisonner notre société, une hémorragie annoncée depuis longtemps par Mme Le Pen, très explicitement en 2017.
S’agissant par exemple de ces idées dépourvues de tout sens de l’humain aujourd’hui défendues bec et ongles par la droite dite « conservatrice » emmenée par MM Ciotti, Retailleau, ou encore par l’extrême-droite de Mme Le Pen, de sa nièce Mme Maréchal-Le Pen et de M. Eric Zemmour, ce sont celles qui figuraient déjà dans le programme d’extrême-droite présentée par Mme Le Pen lors de sa campagne des présidentielles de 2017.
Interviewée sur RTL le 16 janvier 2017, la candidate Marine Le Pen déclarait en effet, à propos de l’AME destinée aux étrangers en situation irrégulière, que « Pour éviter le dévoiement de ce système, et pour enrayer le tourisme médical qui est une réalité indéniable, je propose depuis plusieurs années de supprimer l’AME et de la remplacer par une aide restreinte, exclusivement réservée aux soins d’urgence vitale ». Quant aux étrangers en situation régulière, elle estimait que « Quelqu'un qui arrive de manière légale devrait attendre un certain temps avant de bénéficier par exemple du remboursement des soins ».
C’est exactement ce qui est actuellement en débat, plus de 6 ans après. Force est donc de constater qu’il n’y a plus désormais de différence de fond entre le RN et les élus de droite ou du centre-droit qui défendent aujourd’hui, la main dans la main, une vision violente, inhumaine, démagogique et en pratique quasi inapplicable de la question de l’immigration.
Celles et ceux qui auront voté cette loi doivent par conséquent admettre qu’ils se sont finalement rangés sagement derrière la bannière idéologique de l’extrême-droite, sans doute rassurés en se souvenant qu’Emmanuel Macron, en sa qualité de Président de la République, avait fait le choix en 2019 d’accorder un long entretien à l’hebdomadaire d’extrême-droite Valeurs actuelles - qu’il qualifiait de « très bon journal » - pour y décrire la vision de sa politique migratoire en y affirmant notamment[1], s’agissant des immigrés, que « mon objectif, c'est de sortir tous les gens qui n'ont rien à faire là » ?
Il faut que l’opposition républicaine se réveille !
Le problème est que personne, dans l’opposition républicaine, n’a l’idée de choisir dans ses rangs des interlocuteurs sérieux pour mettre les extrémistes face à leurs contradictions et leur poser de vraies questions : ce n’est quand même pas compliqué, me semble-t-il, de rechercher et trouver, parmi les dizaines et dizaines de milliers d’adhérents des partis politiques, quelques débatteurs politiques aguerris qui « travaillent leurs dossiers », qui privilégient les questions concrètes qui gênent l’adversaire et qui peuvent se prévaloir d’expériences vécues équivalentes aux miennes, ceci pour aborder efficacement dans les médias les problèmes de l’immigration, sans lâcher prise et en évitant les discours vaseux habituels et les invectives stériles : l’objectif est de briser en miettes, et au plus vite, le cadre démagogique, immoral et obsessionnel dicté par l’extrême-droite.
On pourrait ainsi leur demander (par exemple à M. Bardella qui vient de poser le plus sérieusement du monde sa candidature au poste de Premier ministre, pas moins !) s’ils approuvent Mme Le Pen lorsqu’elle proclamait, à l’occasion de cette même interview sur RTL, qu’ « Évidemment, ce que fait Trump m'intéresse, puisqu'il met en place la politique que j'appelle de mes vœux depuis très longtemps … », et ce qu’ils pensent alors de cette plus récente « sortie » dudit Donald Trump qui vient de déclarer (le 17/12/2023) que les migrants « empoisonnent le sang des Etats-Unis », ainsi que « les institutions psychiatriques et les prisons » ! Dans le même ordre d’idées, l’on pourrait aussi demander à Mme Marion Maréchal-Le Pen si elle toujours d’accord avec ces paroles de haine de M. Éric Zemmour qui déclarait quant à lui, à propos des jeunes mineurs étrangers, sur CNews le 29/09/2020 : « il faut que ces jeunes, tous, je vous le répète tous, parce qu'ils n'ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c'est tout ce qu'ils sont, il faut les renvoyer, il ne faut même pas qu'ils viennent ». Et il y aurait beaucoup d’autres questions à leur poser, des questions très concrètes auxquelles ils sont incapables de répondre.
Sans les immigrés, la société française serait bloquée !
Cette haine contre les immigrés est d’autant plus inacceptable qu’elle occulte délibérément une réalité particulièrement gênante, celle que l'économie française serait en mal de fonctionner sans la main d'œuvre immigrée qui, notamment, occupe ces fameux emplois que les anglo-saxons appellent les DDD (« Dirty, Dangerous, Demanding », à savoir « Sales, Dangereux, Exigeants »), main d'œuvre souvent clandestine dont les entreprises de constructions, de travaux publics, de traitement des déchets, de nettoyage, de livraisons, de l'hôtellerie ou encore de la restauration - et, sans doute parmi elles, quelques-uns de nos plus beaux fleurons - ne pourraient se passer. Et, sur ce terrain économique, l’avenir pour nos pays a de quoi préoccuper : n’oublions pas en effet le très inquiétant déclin démographique de l’Europe, d’une Europe vieillissante qui, de toute façon ne pourra plus se passer de l’aide des immigrés pour faire tourner son économie, soigner ses vieux, et finalement survivre[2] !
Mais ce n’est pas tout. Nos politiciens se gardent bien de reconnaître que les médecins étrangers sont, par exemple, « entre 4 000 et 5 000 à faire tourner les services des urgences ou de réanimation des hôpitaux publics » : lors de la crise sanitaire, le responsable des urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, M. Mathias Wargon, dans un article du Monde du 16/04/2020, témoignait ainsi que « Sans ces médecins-là, non seulement nous ne pourrions pas faire face à la vague de Covid-19, mais mon service serait fermé … ces médecins-là sont tunisiens, algériens, syriens, libanais, congolais … »[3].
Et puis, simplement pour relever une « sacrée » contradiction, voici un autre exemple gênant pour les catholiques d’extrême-droite (que l’hypocrisie ne gêne pas) : celui relaté par le quotidien La Croix (numéro du 23/03/2020) qui rappelle que c’est « Grâce à la force de ces jeunes prêtres étrangers, leur qualité, leur nombre, (que) le système paroissial français continue de tourner », ces prêtres venus d’ailleurs qui « représentent désormais un tiers du clergé actif du pays. Issus majoritairement du continent africain, mais aussi dans une moindre mesure, d’Inde et d’Asie, ils assurent depuis trois décennies des charges paroissiales dans les églises de nos villes et campagnes, déstabilisées par la crise des vocations ». M. Retailleau et Mme Marion Maréchal-Le Pen, qui se disent catholiques pratiquants, envisagent-ils de renvoyer ces prêtres dans leurs pays ? Je ferme la parenthèse …
Il y a bien d’autres professions et fonctions que l’on pourrait citer, notamment dans le domaine de la santé, des services auprès des personnes âgées, de l’agriculture, du commerce, sans oublier le monde sportif et ses champions d’origine étrangère qui ont choisi de représenter la France et sans lesquels les performances sportives de notre pays seraient quasi nulles !
Enfin, le domaine de la culture n’est pas en reste, loin de là. Ainsi, M. Éric Zemmour a du se trouver bien malheureux le jour où un jeune immigré sénégalais, Mohamed Mbougar Sarr, compatriote de Senghor, l’un des plus grands poètes de langue française, s’est vu décerner il y a deux ans le prix Goncourt, la plus belle des récompenses littéraires, en tous cas la plus convoitée, alors même qu’il est noir et, comble de l'insoutenable, qu’il se prénomme Mohamed ? C’est pourtant vrai. Mais il ne se rendent pas compte, Mme Le Pen, M. Zemmour et leurs affidés, ou plutôt refusent de reconnaître qu’ils sont nombreux, ces écrivains et poètes sénégalais, ivoiriens, congolais, haïtiens, algériens, marocains ou encore originaires de bien d’autres de ces nombreux pays qui font honneur à notre civilisation et à notre culture. Ils aiment la langue française, ils en maitrisent les subtilités bien mieux que ne le font celles et ceux qui prétendent savoir écrire « de la littérature », tel M. Zemmour. Par exemple, dans un livre récemment publié[4], Mahmud Nassim, demandeur d’asile afghan entré en France en 2017 qui ne parlait alors ni ne lisait notre langue, l’a apprise passionnément et s’est épris pour la littérature française au point d’écrire un livre … en français. Il raconte ce qu’il a vécu et il écrit aussi, à propos du regard porté sur l’immigré, que « C’est une profonde peine d’être jugé au lieu d’être compris » …
Alors, la droite et l’extrême-droite auront-elles le courage d’aller jusqu’au bout de leurs idées désormais communes et de renvoyer toutes ces personnes dans leurs pays d’origine ?
Refuser l’immigration, c’est se résigner au déclin.
Qu’ajouter de plus, sinon qu’il est certes normal et utile de débattre des questions de l'identité nationale, de la puissance de l'identité républicaine, de l'immigration, mais rien n’autorise d’aborder ces questions au regard d'une communauté de personnes artificiellement morcelée selon des critères d'origines ethniques, de teintes de peau ou de croyances.
C’est en combattant intelligemment les idées d’extrême-droite que l’on parviendra à réorienter l’opinion publique vers une vision inspirée par exemple de cette réflexion de l'historien Fernand Braudel évoquant l'identité française par son rayonnement culturel qui, disait-il, émane notamment du « triomphe de la langue française, des habitudes françaises, des modes françaises, et, aussi, (de) la présence, dans ce carrefour que la France est en Europe, d'un nombre considérable d'étrangers. Il n'y a pas de civilisation française sans l'accession des étrangers : c'est comme ça » : c'est vrai, c'est comme ça, et tous ces étrangers ou qui l'ont été, ces gens venus d'ailleurs qui ont enrichi et continuent d'enrichir notre pays devenu pour beaucoup leur patrie, appartiennent à une seule race, la race humaine.
Hélas, il y a des réalités que les chantres des airs de haine contre l’étranger n’aiment pas reconnaître comme, par exemple, cette évidence qui nous est rappelée par le sociologue Zygmunt Bauman selon lequel « dans le monde où nous vivons, il est possible de tenter de contrôler l'immigration (bien que sans grand succès), mais la migration, elle, est destinée à suivre son propre cours, quoique nous fassions »[5]. C’est à méditer …
NOTES
[1] Valeurs actuelles, 30 octobre 2019.
[2] ONU « Probabilistic Population Projection based on the World Population Prospects 2022 ». Les projections démographiques figurant dans ce rapport de l'ONU sont en effet, dans leurs tendances, préoccupantes pour bien des pays. Ainsi, d'ici 2050, certains d’entre eux comme le Japon, la Russie, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Grèce, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie et bien d'autres encore verraient leurs populations diminuer de manière drastique et surtout vieillir très sensiblement. Parmi les cas les plus spectaculaires identifiés dans ce rapport, citons celui de la Pologne, dont la population actuelle de près de 40 millions d'habitants, dépasserait à peine 34 millions d'habitants en 2050 et pourrait s’effondrer en 2100 à 23 millions d’habitants sans doute beaucoup moins jeunes et vaillants que ceux d’aujourd’hui : que fera ce pays sans l’aide d’une population d’immigrés ? A l’inverse, l’on peut citer l’exemple du Niger, pays francophone de l’Afrique subsaharienne de 26 millions d’habitants, verrait sa population passer à 67 millions en 2050 et, en 2100, à 167 millions d’habitants dont une grande majorité de moins de 30 ans ! Ce sont certes des projections, mais qui mériteraient que l’on y prête un peu plus d’attention.
[3] Le Monde, « Coronavirus : les praticiens étrangers font le boulot dont les médecins français ne veulent pas », article de Stéphane Mandard, 16 avril 2020.
[4] « Un afghan à Paris », Éditions du Palais, 2021
[5] Zygmunt Bauman et autres, « L’âge de la régression », Premier Parallèle, 2017.