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Billet de blog 23 avril 2023

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La laïcité n’est pas une idéologie : c’est un principe, celui de la tolérance

La France est l’un de ces très rares pays qui a décidé dès 1905, à cette époque où l’on avait conscience du sens profond de la notion de loi, d’ajouter aux principes fondamentaux de notre République, à savoir la liberté, l’égalité et la fraternité, celui de la tolérance. La laïcité en est la traduction dans la loi : c’est un principe qu’il ne faut pas livrer à l’ennemi.

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Un article récent de Jean Baubérot qui cite notamment l’exemple de de la statue du pape Jean-Paul II érigée sur le territoire communal de la ville de Ploërmel, en Bretagne, m’a remémoré un souvenir : celui de l’ancien magistrat du tribunal administratif de Rennes que j’étais alors et qui, à l’époque de cette affaire, y exerçait les fonctions de rapporteur public. C’est à ce titre que j’ai été amené à exposer en audience publique mes conclusions sur cette affaire. Voici mon témoignage.

La commune de Ploërmel avait décidé d'ériger sur une place publique de son territoire une statue du pape Jean-Paul II entourée d’une arche surplombée d’un imposant crucifix, statue offerte gratuitement à cette commune par le sculpteur russe Zourab Tsereteli. La Fédération morbihannaise de la libre pensée s’est alors tournée vers le tribunal administratif de Rennes pour contester cette décision, lequel a suivi mes conclusions et en a prononcé l’annulation. Mais ce jugement a été lui-même annulé par la Cour administrative de Nantes pour un motif de procédure sur lequel je ne m’étendrai pas. L’association requérante s’est alors pourvue en cassation : le Conseil d’État a cassé l’arrêt de la Cour de Nantes et confirmé la solution du tribunal de Rennes. Depuis, cette statue a été déplacée sur un terrain appartenant au diocèse de Vannes, conformément à l’injonction prononcée par notre tribunal.

Cette affaire ne posait pas de problèmes juridiques majeurs, mais elle a été pour moi l’occasion d’évoquer au cours de l’audience quelques éléments de contexte dont l’un a surpris l’auditoire, notamment lorsque j’ai dit – je me cite – que s’il avait été informé de cette initiative « le pape Jean-Paul II aurait probablement chuchoté à l'oreille des édiles de cette commune qu’il n’était sans doute pas opportun, au regard de la loi de 1905, de lancer un tel projet ». Pourquoi ? 

J’ai alors rappelé que ce même pape, dans la lettre qu'il avait adressée en 2005 aux évêques de France, peu avant sa disparition, à l’occasion du centenaire de la loi de 1905, avait rappelé que « Le principe de laïcité, auquel votre pays est très attaché, s’il est bien compris, appartient aussi à la Doctrine sociale de l’Église », et que cette loi devait ainsi être respectée par ses fidèles, y compris par conséquent dans ses dispositions de l'article 28 selon lesquelles « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ». La Doctrine sociale de l’Église, ce n’est pas rien : ce sont ces règles adaptées à notre temps que l’Église catholique est tenue de respecter et d'appliquer. 

Les dispositions de la loi de 1905 sont limpides et, contrairement à ce que laissent entendre les commentaires pour le moins approximatifs et orientés (j'allais dire de « mauvaise foi » …) de certains responsables politiques, ne prohibent ni la présence d'œuvres religieuses dans les musées ou autres lieux d'expositions publics, ni le financement sur des fonds publics des travaux de réparation ou de restauration d'ouvrages religieux, tels les lieux de culte, les monuments ou encore les calvaires qui existaient avant l'intervention de cette loi : le Conseil d'État en a ainsi jugé de longue date, dès son arrêt du 12 janvier 1912 « commune de Montot », en rappelant que « si l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 interdit à l'avenir l'érection d'emblèmes religieux sur les emplacements publics, cette interdiction ne s'applique pas à l'entretien et à la réparation des monuments existants ». Enfin, ces mêmes dispositions n'interdisent pas davantage d'édifier de nouveaux lieux de cultes, quels qu'ils soient, ou de monuments ayant un caractère religieux, mais à condition que ces réalisations se situent en des lieux qui n'appartiennent pas à des personnes publiques et qu'elles ne soient pas financées par des fonds publics, et c'est tout.

La loi de 1905 est en réalité une loi de tolérance et de respect de toutes religions ou de toutes autres convictions, une loi qui impose logiquement à l'autorité publique une totale neutralité publique. C'est d'ailleurs pourquoi il ne faut pas confondre le principe de laïcité qui est la chair même de cette loi, et le laïcisme qui me semble combattre cette tolérance. La laïcité, au contraire du laïcisme, protège en effet les convictions religieuses et les conditions d'exercice des cultes qui s’y attachent, tout autant que la conviction de ne pas adhérer à quelque religion que ce soit.

Telle était clairement la volonté du législateur de l'époque, comme l'exprimait Aristide Briand dans une circulaire du 1er décembre 1906 à propos du respect de la pratique des cultes, circulaire qui rappelle cette volonté de « prévenir les tentations des personnes publiques propriétaires des lieux de culte de détourner les édifices cultuels de leur affectation », en ajoutant que « par cela même que l'affectation des édifices autrefois consacrés à l'exercice du culte subsistera, il incombera à l'État ou aux communes, non seulement de ne pas détourner ces édifices de leur destination en les faisant servir, ne fût-ce que d'une manière momentanée, à d'autres usages que le culte, mais encore le culte s'y exercer comme par le passé ».

Aujourd'hui encore, les juridictions administratives, qui sanctionnent l'action d'une autorité publique lorsqu'elle enfreint au principe de laïcité sur des lieux publics à l'extérieur des lieux de culte, veille tout autant à protéger ces lieux de culte de toute entrave à leur exercice. Ainsi, pour prendre un exemple contemporain, le juge administratif peut être amené à annuler la décision d’un opérateur privé d'implanter dans un clocher une antenne-relais de téléphonie mobile, objet de « commerce » sans rapport avec l'affectation d'un lieu cultuel, comme il le ferait si venait par exemple à l'idée de la personne publique propriétaire d'un tel lieu d'y installer un commerce de buvette (voir sur ce point mon étude publiée dans la Revue française de droit administratif, Ed. Dalloz, n° 2, mars/avril 2014 : « Antennes-relais et lieux de culte : une nouvelle querelle de clochers ? »).

Il reste que le juge, lorsqu'il est confronté au cas d'un ouvrage érigé sur un emplacement public et qui comporte un signe religieux, doit alors résoudre une difficulté qui est celle d'apprécier si ce signe présente ou non un caractère ostentatoire.

L'ostentation, c'est en effet ce qui fixe avec insistance l'attention sur un choix bien déterminé, en soi respectable et qui peut être partagé par certains, mais pas forcément par tous. Or, lorsqu'il s'agit d'un choix religieux, l'idée qui émane du principe de laïcité est que ce choix ne doit pas présenter des caractéristiques qui puissent heurter ceux qui ne le partagent pas. En d'autres termes, la laïcité impose à l'autorité publique de ne jamais, en ce domaine, révéler ou permettre de révéler une quelconque volonté de dicter un choix. Cette question n'est certes pas toujours simple à résoudre, mais il me semble qu'est certainement ostentatoire le signe dont les traits dominants forcent le regard, et il l'est d'autant plus lorsqu'il présente un caractère continu dans le temps, difficile à corriger sans perdre de temps, telle une sculpture solidement fixée sur le sol du domaine public.

S'agissant du monument de Ploërmel dédiée à Jean-Paul II, ce n'est pas la personne de ce pape qui posait un problème, et le jugement du tribunal administratif de Rennes indique clairement que ce n'est pas l'édification de sa statue qui serait de nature, par elle-même, à méconnaître les dispositions de la loi de 1905 : les historiens s'accordent en effet pour considérer que le pape Jean-Paul II est de ces hommes qui ont marqué de leur empreinte certains évènements clés de l’histoire contemporaine, notamment ceux symbolisés par la chute du « mur de Berlin » et, en ce sens, l’action politique de ce pape appartient certainement à l’histoire de l’Europe.

En revanche, ce qui forçait le regard du monument érigé à Ploërmel, c'était son arche surplombée d'un imposant crucifix, symbole qui domine le tout : vu de loin, c'est ce symbole religieux que l'on distingue essentiellement et, vu de près, la statue du pape y semble même quelque peu confinée. La sculpture de l'artiste Zourab Tsereteli doit bien sûr être respectée en tant que telle, mais le signe  religieux qui domine cette œuvre n'est pas, quant à lui, conforme aux exigences de la loi de 1905, dès lors qu'il a été mis en valeur de manière ostentatoire sur un emplacement public qui, par principe, doit symboliser une règle, celle de la neutralité de la collectivité publique au regard du respect d'un principe, celui de la tolérance.

Dans une telle circonstance,  le juge, à qui il n'appartient évidemment pas de réécrire cette loi mais de la prendre comme elle se présente à lui, n'a d'autre alternative que celle de prononcer l'illégalité de la présence de ce signe ostensible sur un tel emplacement : pour qu’il puisse en être autrement, il faudrait alors modifier profondément cette loi, ce qui aurait sans doute pour effet d'altérer sérieusement le sens de chacune des trois composantes de la devise de notre République.

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