Il est notoire que Mme Le Pen - promesse de campagne oblige -, ou encore M. Retailleau, réclament à cor et à cri un référendum sur l’immigration, mais il se murmure aussi qu’Emmanuel Macron y réfléchirait sérieusement après avoir annoncé, lors de ses vœux au pays, qu'il demanderait au peuple français de « trancher » sur des « sujets déterminants ». La chaine d’information BFM TV vient ainsi de rapporter que « Selon l'entourage d’Emmanuel Macron à BFMTV, "la maîtrise de l'immigration fait partie du domaine réservé du président" et il s'agit d'un "sujet qui intéresse les Français". Ainsi, lorsque cet entourage est interrogé sur l'idée d'un potentiel référendum sur l'immigration, la réponse est un "oui mais..." ».
Mais c’est quoi cette idée pernicieuse d’organiser un référendum « sur l’immigration », un référendum qui serait destiné à marquer d’un sceau d’origine institutionnelle la volonté cachée de certains responsables politiques de rayer de notre devise le mot fraternité pour le remplacer par l’expression « haine de l’étranger » ?
Je ne me lasserai pas de dire et redire, une fois de plus, que cette haine contre les immigrés est d’autant plus irrationnelle et inacceptable qu’elle occulte une réalité particulièrement gênante : celle que l'économie française serait en mal de fonctionner sans la main d'œuvre immigrée qui, notamment, occupe ces emplois « sales, dangereux, exigeants », main d'œuvre souvent clandestine dont les entreprises de constructions, de travaux publics, de traitement des déchets, de nettoyage, de livraisons, de l'hôtellerie ou encore de la restauration - et, sans doute parmi elles, quelques-uns de nos plus beaux fleurons - ne pourraient se passer.
Il est rare qu’un chef d’entreprise ou un citoyen, pris individuellement, les yeux dans les yeux, ne reconnaisse pas cette réalité évidente. Mais rien n’y fait. L’idée du bouc-émissaire idéal qu’est l’étranger immigré est devenue si prégnante qu’elle paralyse la capacité de réfléchir de trop nombreux électeurs malhonnêtement informés. Sur ce terrain économique, l’avenir a pourtant de quoi préoccuper : n’oublions pas en effet le très inquiétant déclin démographique de l’Europe, d’une Europe vieillissante qui, de toute façon ne pourra plus se passer de l’aide des immigrés pour faire tourner son économie, soigner ses vieux, et finalement survivre !
Mais ce n’est pas tout. Nos politiciens se gardent bien de reconnaître que les médecins étrangers sont, par exemple, « entre 4 000 et 5 000 à faire tourner les services des urgences ou de réanimation des hôpitaux publics » : lors de la crise sanitaire, le responsable des urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, le professeur Mathias Wargon, dans un article du Monde du 16/04/2020, témoignait ainsi que « Sans ces médecins-là, non seulement nous ne pourrions pas faire face à la vague de Covid-19, mais mon service serait fermé … ces médecins-là sont tunisiens, algériens, syriens, libanais, congolais … ». Il en est ainsi un peu partout, notamment dans ces hôpitaux des banlieues les moins favorisées et dans ceux qui se maintiennent dans les zones rurales, hôpitaux qui doivent beaucoup à ces soignants étrangers pour tenir encore, tant bien que mal.
Et puis, dans un domaine qui pourrait en surprendre plus d’un, et simplement pour relever une « sacrée » contradiction (ou une « contradiction sacrée », au choix…), voici un autre exemple gênant pour les trop nombreux catholiques d’extrême-droite qui ne semblent pas avoir bien saisi le sens du message des évangiles dont ils se réclament : celui relaté par le quotidien La Croix (numéro du 23/03/2020) qui rappelle que c’est « Grâce à la force de ces jeunes prêtres étrangers, leur qualité, leur nombre, (que) le système paroissial français continue de tourner », ces prêtres venus d’ailleurs qui « représentent désormais un tiers du clergé actif du pays. Issus majoritairement du continent africain, mais aussi dans une moindre mesure, d’Inde et d’Asie, ils assurent depuis trois décennies des charges paroissiales dans les églises de nos villes et campagnes, déstabilisées par la crise des vocations » : même non pratiquants, beaucoup de français seraient un peu embêtés de ne plus pouvoir se marier à l’église ou ne plus pouvoir y passer avant d’enterrer leurs proches … M. Retailleau ou encore Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour ne citer qu’eux qui se disent pourtant catholiques pratiquants, envisagent-ils de renvoyer ces prêtres dans leurs pays ?
Il y a bien d’autres professions et fonctions que l’on pourrait citer, notamment dans le domaine de la santé en général, des services auprès des personnes âgées, de l’agriculture, du commerce (par exemple dans les boulangeries où l’on commence son travail à 4h du matin …) , sans oublier le monde sportif et ses champions d’origine étrangère qui ont choisi de représenter la France et sans lesquels les performances sportives de notre pays seraient quasi nulles dans pratiquement toutes les disciplines !
Enfin, le domaine de la culture n’est pas en reste, loin de là. Ainsi, nos « chasseurs » d’immigrés ont dû se trouver bien malheureux le jour où un jeune immigré sénégalais, Mohamed Mbougar Sarr, compatriote de Senghor, l’un des plus grands poètes de langue française, s’est vu décerner il y a trois ans le prix Goncourt, la plus belle des récompenses littéraires, en tous cas la plus convoitée, alors même qu’il est noir et, comble de l'insoutenable, qu’il se prénomme Mohamed ! C’est pourtant vrai. Mais ils ne se rendent pas compte, ou plutôt refusent de reconnaître que nombreux sont ces écrivains, écrivaines, poètes sénégalais, ivoiriens, congolais, haïtiens, algériens, marocains ou originaires de bien d’autres de ces nombreux pays qui font honneur à notre civilisation et à notre culture. Ils et elles aiment la langue française, en maitrisent les subtilités bien mieux que ne le font celles et ceux qui prétendent savoir écrire ou qui tentent d’écrire « ce qu’ils cherchent …».
Emmanuel Macron, en sa qualité de Président de la République, doit comprendre que ce n’est pas en divisant les français sur des sujets qui touchent au respect de la dignité et de la fraternité humaine, mais en combattant intelligemment et fermement les idées d’extrême-droite que l’on parviendra à réorienter l’opinion publique vers une vision inspirée par exemple de cette réflexion de l'historien Fernand Braudel évoquant l'identité française par son rayonnement culturel qui, disait-il, émane notamment du « triomphe de la langue française, des habitudes françaises, des modes françaises, et, aussi, (de) la présence, dans ce carrefour que la France est en Europe, d'un nombre considérable d'étrangers. Il n'y a pas de civilisation française sans l'accession des étrangers : c'est comme ça » : c'est vrai, c'est comme ça, et tous ces étrangers ou qui l'ont été, ces gens venus d'ailleurs, n’ont fait qu’enrichir et continuent d'enrichir notre pays devenu pour beaucoup leur patrie.