Les invraisemblables fautes de pilotage commises depuis 2017 par Emmanuel Macron ont mené la France en zone de très graves turbulences. Le résultat est que le risque d’une tragique implosion de la République n’est plus à exclure : mais le drame pour la France est que la Constitution lui permet de demeurer le maître du jeu périlleux qu’il a choisi pour continuer d’exister sur la scène politique.
Le jeu de la nomination d’un Premier ministre :
Contrairement aux annonces un peu prématurées du jeune Jordan Bardella ou du bien plus expérimenté Jean-Luc Mélenchon, ce ne sont pas eux, pas plus d’ailleurs que Marine Le Pen, qui peuvent décider qui sera le futur Premier ministre : rappelons en effet qu’en vertu de l’article 8 de la Constitution « Le Président de la République nomme le Premier ministre ».
Dès lors, le Président n’est pas obligé de nommer M. Bardella Premier ministre au seul motif que telle est la volonté de Marine Le Pen, et ceci que le RN dispose d’une majorité absolue ou relative à l’Assemblée Nationale.
Il peut par exemple confier cette fonction à Marine Le Pen elle-même, en lui expliquant qu’il lui appartient de prendre pleinement ses responsabilités politiques au regard de la volonté de ses électeurs en ajoutant que, dans l’intérêt du pays, il lui est impossible de confier cette charge particulièrement lourde, éreintante, techniquement et juridiquement complexe à un jeune homme qui n’a pu encore prouver sa capacité à prétendre exercer une fonction aussi sensible. Il lui rappellera aussi à cette occasion qu’en sa qualité de Président de la République, c’est lui qui « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État », et qu’il ne peut prendre le risque de confier les manettes de ce fonctionnement à une personne totalement inexpérimentée.
Emmanuel Macron aime parler, et il ne manquera peut-être pas, auprès de son interlocutrice, d’illustrer ses propos par quelques témoignages d’anciens Premiers ministres (puisés par exemple dans le livre de Raphaëlle Bacqué « L’enfer de Matignon »), comme celui de Dominique de Villepin qui estimait que c’est « le job le plus dur de la République » ou de Michel Rocard qui racontait qu’ « Un premier ministre travaille de 90 à 100 heures par semaine, il n'a plus jamais le temps de faire ses courses, il est coupé de toutes les tâches du quotidien pour pouvoir se concentrer sur sa mission … ».
Et puis, si un Premier ministre ne peut évidemment être spécialiste en toutes matières, il doit cependant avoir la capacité de comprendre vite et bien pour arbitrer et prendre quotidiennement, de jour comme de nuit, une multitude de décisions, des plus insignifiantes à celles techniquement et juridiquement particulièrement complexes. C’est peut-être le cas de Jordan Bardella, mais il ne l’a pas encore prouvé dans une situation équivalente.
La moindre erreur peut en effet avoir des conséquences catastrophiques pour le pays, et c’est la raison pour laquelle le chef du gouvernement doit s’entourer d’un nombre conséquent d’experts et de conseillers techniques, essentiellement parmi les hauts fonctionnaires appartenant aux grands corps de l’État : mais cet entourage indispensable n’insiste pas s’il ne sent pas, pour une raison ou pour une autre, le courant passer avec son Premier ministre, et demande vite à retourner dans son corps d’origine. De plus, il faudra en nommer beaucoup de ces experts (à Matignon, mais aussi dans tous les ministères), et il n’est pas sûr qu’il s’en trouve suffisamment pour accepter de travailler dans le cadre idéologique très particulier que souhaite imposer le RN au pays.
Ce parti, malgré le dangereux ultra-conservatisme assumé de son idéologie, en trouvera certainement quelques-uns, mais il ne faut pas non plus oublier qu’un haut-fonctionnaire pense aussi au déroulement de sa carrière, et que conseiller un parti qui n’est pas sûr de rester indéfiniment au pouvoir (s’il y accède) et dont la vision politique est d’organiser l’inconstitutionnelle « préférence nationale », de freiner voire combattre la lutte contre le dérèglement climatique et celle de la préservation de la biodiversité, ou encore de réduire le plus possible les droits des femmes, n’est pas forcément un bon calcul sur le long terme : l’administration dispose en effet d’une mémoire d’une redoutable efficacité …
En revanche, ces questions de vision idéologique ne se poseront pas dans l’hypothèse très plausible d’une majorité au moins relative dégagée par le Nouveau Front Populaire. De même, trouver des équipes d’experts compétents pour permettre un bon fonctionnement de Matignon et des ministères ne présenterait alors aucune difficulté particulière. En revanche Emmanuel Macron pourrait prendre une décision vicieuse de nature à provoquer immédiatement une déflagration au sein du Nouveau Front Populaire qui pourrait lui être fatale : celle de nommer Jean-Luc Mélenchon au poste de Premier ministre. C’est pourquoi il est impératif que ce dernier, qui ne fait pas l’unanimité au sein de la gauche, annonce dès à présent, clairement, fermement et sans la pointe d’ambiguïté qu’il n’est aucunement candidat à la fonction de Premier ministre.
Le jeu de la nomination des ministres du gouvernement :
L’article 8 de la Constitution dispose par ailleurs que « Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement …». Une fois nommé, le Premier ministre établit une liste de ministres qu’il propose à l’agrément du Président de la République qui décidera de leur nomination.
Dans une situation normale, cet exercice ne pose pas de problèmes particuliers, ce qui n’est pas toujours le cas en situation de cohabitation comme on le constatera très probablement à l’issue des prochaines élections.
Or, il paraît difficile d’imaginer Emmanuel Macron ne pas user strictement le pouvoir qui lui est donné, non de choisir, mais au final de nommer les ministres, ceci pour éviter de cohabiter avec un chef de gouvernement susceptible de lui rendre la vie impossible dans l’exercice de certains pouvoirs auxquels il tient particulièrement : ces pouvoirs, à savoir la défense nationale et la diplomatie, certes en partie partagés, sont en effet traditionnellement réservés au seul Président de la République.
Dans l’hypothèse d’une cohabitation avec le RN, l’on voit mal en effet Emmanuel Macron accepter un ministre des affaires étrangères et un ministre des armées sensible aux thèses du gouvernement russe et contredisant explicitement ou indirectement, à la manière de Victor Orban, celles exprimées par l’Union européenne, l’OTAN ou par lui-même au nom de la France. Inversement, l’on ne voit pas plus le RN trouver en son sein deux noms résolument hostiles à la politique russe menée par Vladimir Poutine.
En revanche, cette question ne se posera pas pour de tels motifs en cas de cohabitation avec un gouvernement du Nouveau Front Populaire, et pourra être résolue comme dans le passé sous les présidences de François Mitterrand ou de Jacques Chirac.
Le jeu des nominations destinées au renouvellement et à la présidence du Conseil Constitutionnel :
Enfin, reste un point qui peut paraître secondaire dans l’immédiat, mais qui risque de ne plus l’être dès l’an prochain : celui de la nomination du Président du Conseil Constitutionnel. Il faut rappeler en effet que le Conseil Constitutionnel est renouvelé par tiers, ses membres étant nommés par le Président de la République, le président ou la présidente de l’Assemblée Nationale et le président du Sénat, le prochain renouvellement étant prévue en février 2025 pour trois d'entre eux.
Indirectement, les prochaines élections législatives auront un effet direct sur ce renouvellement, puisqu’il existe un risque que la présidence de l’Assemblée nationale soit confiée au RN, un président d’extrême-droite ayant alors l’opportunité de proposer puis nommer au Conseil Constitutionnel, pour 9 ans, qui il veut, y compris une personne non juriste réputée pour son conservatisme exacerbé et son extrémisme sans concession. Il faut toutefois préciser que depuis la révision constitutionnelle de 2008, la procédure de nomination est plus encadrée, puisqu’elle fait intervenir pour avis les commissions des lois de chacune des assemblées (ainsi, par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, la nomination du candidat proposé par l'autorité de nomination peut être écartée).
Par ailleurs, le prochain renouvellement sera également l’occasion pour Emmanuel Macron de nommer un nouveau président du Conseil Constitutionnel en remplacement de Laurent Fabius dont le mandat arrive à son terme. Or l’intérêt d’Emmanuel Macron est de nommer à ce poste clé du fonctionnement des institutions de la République une personnalité très proche de lui (on pourrait imaginer un fidèle parmi les fidèles, du style de son secrétaire général Alexis Kohler …), surtout en cas de crise majeure qui verrait le Président de la République décider de continuer de jouer avec le feu en mettant en œuvre l’article 16 de la Constitution selon lequel « Lorsque les institutions de la République … ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. / Il en informe la Nation par un message. / Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet ». Cette hypothèse n’est pas improbable si l’on se réfère à ses plus récentes déclarations de demeurer au pouvoir jusqu’en 2027, d’évoquer explicitement en France une « guerre civile » à l’issue des prochaines élections, outre qu'il lui sera impossible de dissoudre l’Assemblée Nationale avant un an.
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La situation risque de tourner au tragique si les français décident eux aussi de jouer avec le feu en offrant au RN une majorité : seul un vote massif pour le Nouveau Front Populaire pourra éviter le pire pour notre pays !