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Billet de blog 25 août 2023

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Sainte-Soline : les arguments invraisemblables du ministre de l’agriculture !

Sous le titre « Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, défend le modèle des bassines », Ouest-France vient de publier un entretien qui permet de mieux comprendre à quel point il est impossible de dialoguer avec le gouvernement sur ce sujet sensible : il est en tous cas difficile de ne pas réagir aux arguments invraisemblables qu’il a osé avancer pour justifier une position intenable.

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Selon le ministre, la bassine de Sainte-Soline n’est rien d’autre qu’un lac de Serre-Ponçon miniature !!!

A la question « Concernant le stockage de l'eau pour l'agriculture, soutenez-vous toujours le modèle des bassines comme à Sainte-Soline ? », Marc Fesneau répond bien évidemment « oui », en soutenant qu'il ne s'agit pas de « bassines » mais de « réserves de substitution », ce qui lui permet d'avancer un argument inattendu, osé, pour ne pas dire spécieux, à savoir que « Le lac de Serre-Ponçon, dans les Hautes-Alpes, créé en 1959 pour produire de l’électricité et irriguer la Provence, c’est 2 800 hectares ! Pourtant, aujourd’hui, personne ne songerait à remettre en question la nécessité et l’utilité de cet ouvrage ».

Faire une telle comparaison, c’est quand même prendre les gens pour des défaillants intellectuels.

Le lac de Serre-Ponçon est un lac qui atteint jusqu’à 90 mètres de profondeur, un lac alimenté et brassé par la fonte des neiges et surtout par deux rivières à régime torrentiel, la Durance et l’Ubaye. A Sainte-Soline et sur les 15 autres sites concernés du Marais Poitevin, les « réserves de substitution » sont en revanche, que le ministre le veuille ou non, des bassines, des vraies, qui retiennent l’eau pompée mécaniquement dans les nappes phréatiques, une eau qui devient alors stagnante avant de servir à l’irrigation, une eau qui ne se renouvelle pas naturellement, une eau retenue dans une bâche en matière plastique qui, comme chacun le sait, constitue un matériau écologique particulièrement recommandé pour mieux lutter contre le dérèglement climatique et la sauvegarde de la biodiversité … Sauf erreur de ma part, le lac de Serre-Ponçon ne répond pas à ces caractéristiques ! Cet étrange argument du ministre est tellement invraisemblable qu’il ne mérite pas plus de commentaires. 

« Il faut dépassionner le débat et se référer à la science » affirme le ministre !

Pour démontrer le bien-fondé de sa défense des bassines, Marc Fesneau soutient ensuite que « Sur les bassines, il faut dépassionner le débat et se référer à la science ». Pourquoi pas, sauf que pour illustrer son propos, il s’appuie sur l’un des documents les plus controversés dans cette affaire, à savoir le rapport fondé sur les « modélisations du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ». Ce rapport analyse notamment les effets de la réalisation des bassines sur les niveaux des nappes phréatiques et ses conséquences sur les débits d’eau, et c’est ce document, invoqué par le ministre, qui a servi de base « scientifique » aux nombreuses étapes de procédure et aux décisions critiquées dans cette affaire (enquête publique, étude d’impact, arrêté inter-préfectoral de 2017) autorisant la mise en œuvre par une coopérative d’agriculteurs du projet de réalisation desdites bassines.

Or, le BRGM admet lui-même les faiblesses de son travail.

Dans un communiqué de presse du 13 février 2023, ce service de l’État reconnaît en effet que son étude, basée sur des données de la période 2000-2011, « n’est pas une étude approfondie, ni une étude d’impact de toutes les conséquences possibles des prélèvements d’eau envisagés », en précisant que « cette période de référence ne permet pas de prendre en compte les conditions météorologiques récentes et encore moins futures. Mais elle permet d’évaluer ce qui se serait passé si les réserves de substitution avaient été mises en place au cours des années 2000-2011 » : en d’autres termes, cette étude n’a aucune valeur scientifique utile et donc utilisable pour mesurer les conséquences du projet à partir de sa mise en service qui doit intervenir l’an prochain.

Enfin, lors d’une audience au Sénat du 15 mars 2023, la représentante du BRGM a annoncé qu’une actualisation de ces données était en cours et devrait être finalisée en 2024 (ce qui justifierait un moratoire en attendant les conclusions de cette nouvelle étude), en ajoutant, à propos du rapport précédent, que « Nous n’avons pas simulé les conséquences du réchauffement climatique, et n’avons pas dit que nous pouvions nécessairement réaliser des prélèvements en hiver. Je pense qu’on a ensuite utilisé le rapport du BRGM d’une autre façon ».

Mais cette autocritique du BRGM, qui sait quand même mieux que quiconque de quoi il parle, ne semble pas intéresser le ministre de l’agriculture qui s’entête à défendre les bassines du Marais poitevin en fondant son « analyse scientifique » sur la base d’une étude dont les auteurs considèrent eux-mêmes qu’elle est inappropriée.

L’eau des bassines s’évapore à peine …

Enfin, à la question « Que répondez-vous à ceux qui dénoncent une évaporation massive de l'eau stockée dans les bassines en période de canicule? », le ministre répond sèchement et sans détour : « Je leur dis : regardez les modèles scientifiques. Ils parlent de 4 % d’évaporation. Pas de 20 à 60 % comme le suggèrent certains… On ne peut pas se référer à la science en fonction d’une idéologie ou d’un dogme. Les faits sont les faits ».

Mais d’où, le ministre, sort-il ces chiffres, et notamment ces 4% ? Et quels sont les « modèles scientifiques » qu’il invoque ? Ce n’est certainement pas l’étude du BRGM puisque ce service, dans son communiqué de presse précité, a rappelé que « Le devenir de l’eau dans les réserves (utilisation, évaporation…) est hors du périmètre de la simulation actuelle et ne faisait pas partie des questions posées au BRGM ». C’est dommage, et il serait certainement utile de lui poser cette question dans le cadre de l’étude à laquelle il procède actuellement.

De plus il est intéressant de noter que même la FNSEA est en désaccord avec le même ministre, puisque dans une interview accordée à France Info le 2 novembre dernier, Christiane Lambert, alors présidente de ce syndicat, a presque doublé la mise en affirmant que cette évaporation devait être évaluée à 7%.

Après, faut-il balayer d’un revers de main ceux qui soutiennent que le phénomène d’évaporation est bien plus important.

Dans un article du Monde du 29 août 2020, Christian Amblard, directeur de recherches honoraire du CNRS rappelle que si « les réserves souterraines ne sont pas sujettes à l’évaporation, les retenues d’eau superficielles subissent une très forte évaporation en période de grosses chaleurs et conduisent ainsi à une perte importante de la ressource en eau ». Il se réfère à des études récentes (publiées notamment, en 2018, par Katja Fredrich, de l’université du Colorado Boulder, et par Florence Habets et Jérôme Molenat  de Sorbonne Université) qui « montrent que les pertes par évaporation sur les lacs de l’Ouest américain varient de 20 à 60 % » des flux entrants », pour conclure que « C’est donc une hérésie totale de faire passer en surface les ressources en eaux souterraines, qui assurent une humidification généralisée des sols, pour en perdre une part considérable par évaporation ». Contrairement aux affirmations approximatives de Marc Fesneau, il existe des modèles scientifiques sérieux qui  contredisent ses affirmations.

Cette question d’une grande importance n’a rien d’idéologique. Elle est complexe et ne mérite sans doute pas d’y répondre de manière péremptoire et approximative. De plus, l’on est en droit de s’étonner que l’on ne discute que de l’évaporation de l’eau stockée dans une bassine, mais sans y ajouter l’évaporation d’une partie de cette même eau, prélevée dans la même nappe phréatique, mais après son « déstockage » de la bassine pour être ensuite irriguée : or, si une grande partie de cette eau d’irrigation est absorbée par les plantes et si une autre partie (souvent infestée de pesticides) retourne dans le sol, l’on sait aussi qu’un volume non négligeable de l’eau d’arrosage s’évapore, cette fois dans les champs, notamment en période de canicule et de fort vent. En réalité, il me semble qu’il serait plus juste d’additionner ces deux variables d’évaporation (bassines, champs irrigués) pour mesurer leur véritable impact sur le niveau d’évaporation de l’eau prélevée, en quelque sorte pour rien, dans les nappes phréatiques. C’est aux scientifiques de travailler cette question, mais encore faudrait-il la leur poser.

Le non-dits pesants …

Je ne peux reprocher au ministre de l’agriculture de rester silencieux sur des questions de fond qui ne lui ont pas été posées par Ouest-France, des questions qui auraient pourtant mérité d’être évoquées, en particulier celle de l’atteinte particulièrement grave à la biodiversité d’un territoire fragile qui mérite la plus grande attention, à savoir le Marais poitevin, notamment du côté de Sainte-Soline situé au cœur d’une zone Natura 2000, un territoire qui constitue un espace naturel d’une richesse exceptionnelle par sa biodiversité et reconnu comme tel par l’autorité européenne.

Or, cet aspect a été très largement négligé dans toutes les décisions prises dans le cadre de ce projet, alors que la France a pourtant subi dans le passé les foudres de la Commission européenne, assortie d’une condamnation en 1999 par la Cour de justice des communautés européennes, pour la mise en œuvre insuffisante de la directive « Oiseaux » de 1979, imposant à la France de classer en zone de protection spéciale certaines territoires du marais. Des mesures ont certes été prises par une loi de 2010 dans le cadre du « Grenelle II » pour régler définitivement ce contentieux, mais sans grand effet, ignorées sur le fond dans l’affaire des bassines autorisées sur le territoire particulier du Marais poitevin doté d'un statut qui lui est propre. Cela pose, à mon sens, un gros problème de légalité des autorisations accordées sur lequel je reviendrai sans doute ultérieurement.

Alors, dans dix ans, il n’y aura peut-être plus d’eau pour arroser les champs de maïs, et les oiseaux parmi la quarantaine d’espèces protégées en voie de disparition qui disposent pourtant d’une protection européenne, telle l’outarde canepetière, ne pourront plus y nicher et ne viendront peut-être que « s’y cacher pour mourir ».

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