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Billet de blog 26 août 2024

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Nomination d’une Première ou d’un Premier ministre : le jeu dévoyé d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron peut-il nommer qui il veut et quand il le veut une Première ou un Premier ministre ? Certainement pas sans respecter le cadre fixé par la Constitution, son esprit et les principes qui découlent du respect de la tradition républicaine. En s’écartant de la voie ainsi tracée, il montre qu’il est sous influence, celle d’une droite incorrigible et impénitente !

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Emmanuel Macron peut-il nommer Première ou Premier ministre qui il veut ?

L’article 8 de la Constitution se borne, sur ce point, à indiquer laconiquement que « Le Président de la République nomme le Premier ministre. », et c’est tout. Une lecture simpliste laisse alors à penser que le Président de la République peut nommer qui il veut et quand il le veut. Mais une telle lecture est en réalité trompeuse, car elle ignore le contexte qui donne un sens à cette disposition.

Ce contexte est tout d’abord celui du cadre juridique qui définit le rôle du Président tel qu’il est décrit à l’article 5 de la Constitution, à savoir que « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État ».

Or, veiller au respect de la Constitution, c’est notamment veiller à celui de la souveraineté dont les article 2 et 3 disposent respectivement que « Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », et que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

De Gaulle, au cours de sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964,  expliquait que la Constitution, « c’est un esprit, des institutions et une pratique » en soulignant que « l'esprit de notre Constitution procède de l'idée que le pouvoir n'est pas la chose des partisans mais qu'il doit procéder du peuple ». Cela signifie évidemment qu’Emmanuel Macron ne doit pas agir, dès lors que le peuple en a décidé autrement, comme représentant et défendant une ligne politique partisane, la sienne et celle de la droite outre, à bien des égards, celle de l’extrême-droite (en ce qui concerne l’immigration, l’écologie dite punitive et la défense des grandes fortunes).

Cela implique notamment que si le Président de la République n’est pas obligé de nommer Premier ou Première ministre une personne déterminée qui lui serait imposée par tel ou tel parti politique, il est en revanche tenu de choisir une cheffe ou un chef de gouvernement qui colle à la volonté exprimée par le peuple de changer la politique menée par le pouvoir en place. Le Président de la République ne peut avoir d’états d’âme : il doit avoir l’honnêteté d’admettre qu’il a échoué et dire « dont acte », avant de prendre sans tarder les dispositions qui s’imposent pour assurer le fonctionnement normal des institutions et la continuité de l’État.

Ensuite, l’esprit de la Constitution et la tradition républicaine imposent logiquement qu’il procède par ordre, et commence par nommer un chef ou une cheffe de gouvernement qui soit une personne appartenant au groupe qui comporte le plus grand nombre de ces représentants du peuple visés par l’article 3 de la Constitution, et sans tourner en rond à se demander comment faire pour éviter une remise en cause de sa politique antérieure, ou encore tenter d’anticiper d’éventuels évènements parlementaires dont il n’a pas à se mêler.

Dans ce contexte cette fois lié aux faits, ce n’est donc pas à lui d’anticiper un éventuel rejet de ce gouvernement par l’Assemblée Nationale par la voie d’une censure dont il est intéressant de rappeler que de Gaulle, dans sa conférence de presse de 1964,  estimait qu’elle « n'est prévue par la Constitution dans les rapports entre le gouvernement et le parlement que dans des conditions qui font de cette rupture - qui donnent à cette rupture - un caractère d'extraordinaire gravité » (notion que n’assimilent pas très bien les partis de droite et d’extrême-droite dont le seul motif justifiant leur menace de censurer un gouvernement de gauche procède d’une stratégie strictement équivalente à celle d’Emmanuel Macron, à savoir ne pas remettre en cause la ligne politique de droite antérieure et les réformes qu’elle a engendrée) : en d’autres termes, ce que fera ou ne fera pas l’Assemblée Nationale ne devrait pas regarder le Président Macron. Si le nouveau gouvernement est censuré, alors il pourra éventuellement piocher dans un autre groupe de représentants ou nommer une personnalité extérieure.

Emmanuel Macron peut-il prendre son temps pour nommer une Première ou Premier ministre ?

La réponse à cette question est plus simple : c’est (ou plutôt c’était normalement) « tout de suite », en tous cas dès le lendemain des législatives, sauf à soutenir que le fonctionnement des institutions et de l’État ne répond qu’à une logique de routine consistant, pour l’essentiel et sauf urgence, à ne gérer que des affaires courantes. Faut-il rappeler que la Constitution prévoit l’existence d’un Conseil des ministres (article 9) qui n’est pas un simple groupe de travail entre gens de bonne compagnie : il doit obligatoirement débattre et approuver certaines décisions importantes, tels les projets de lois, certains décrets « en conseil des ministres », des nominations aux fonctions les plus importantes de l’État, et se pencher sur bien d’autres sujets d’importance.

L’exemple de la procédure d’élaboration du projet de la loi de finances[1] (comme celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale) révèle à quel point on ne peut sur ce point jouer à un petit jeu de tactique politicienne : Emmanuel Macron semble avoir oublié que la continuité de l’État dont il est normalement le garant ne peut être assurée en l’absence de budget …

Ainsi, l’étape ultime de cette procédure, précédant le dépôt du projet de loi sur le bureau de l’Assemblée Nationale au plus tard le mardi 1er octobre prochain ( !), est celle de la délibération préalable en Conseil de ministres (conformément à l’article 39 de la Constitution qui dispose que « Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'État ») : mais encore faut-il qu’il existe un Conseil des ministres, et donc des ministres, des vrais … !

Or, comment imaginer que soit suffisant le délai d’un mois qui reste désormais au futur gouvernement (s’il est nommé dans les heures à venir) pour s’installer, s’organiser, donner ses instructions à son administration, finaliser un projet de loi radicalement différent de celui fin prêt déjà élaboré par le gouvernement de Gabriel Attal (dont les responsables politiques, de droite comme de gauche, ne soulignent hélas pas le niveau d’extrême complexité technique[2]), demander l’avis au HCFP (Cour des Comptes) et au Conseil d’État, passer le 20 septembre devant la Commission de Bruxelles pour répondre aux défaillances budgétaires dont il n’est pas responsable, et en délibérer en Conseil des ministres avant de confier ce projet aux députés ?

Imaginons en plus une motion de censure : l’on va alors droit vers une crise institutionnelle qui pourrait se transformer en crise de régime !

NOTES :

[1] Voir mon billet https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/220824/emmanuel-macron-se-trompe-une-loi-de-finances-n-est-pas-une-affaire-courante/commentaires

[2] Celles et ceux (et notamment les candidats aux postes ministériels qui ne savent pas ce qui les attend …) qui, par curiosité, veulent avoir une idée de ce qui n’a pas été encore fait et qui doit l’être d’ici le 1er octobre prochain à savoir, à partir des « lettres plafonds », la rédaction des documents budgétaires et leurs annexes appelés « bleu budgétaire », « jaune budgétaire etc … » : voir l’exemple de ce travail  au titre du budget 2024 sur le site de Bercy : https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2024. Ceux qui, comme moi, ont un jour participé dans un ministère à cet exercice peuvent confirmer que la tâche est infaisable en quelques jours !

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