Il est vrai que pour une candidate ou un candidat à son élection, aborder sérieusement et en priorité les questions écologiques en général, et celle des causes du dérèglement climatique en particulier, n’est pas de nature à faire rêver l’électeur : c’est en effet le culpabiliser un peu, cet électeur, que tenter de le convaincre de sortir d’un funeste déni en lui expliquant que bien des réalités, de nos jours visibles à l'œil nu et palpables à portée de main, mettent facilement à bas l'idée d'une vision radieuse d’un futur qui nous est si proche.
Pourtant, il n’est plus à démontrer que l’état de la planète et son environnement se dégradent à vue d’œil, que son atmosphère se réchauffe insidieusement, que son climat se modifie de façon spectaculaire, que les océans s’infusent d’acide, que l'eau potable s'y raréfie, que les forêts brûlent, que des terres s’effondrent, que l'air devient de plus en plus irrespirable dans les villes et leurs tentacules, là où se concentre la majorité des habitants de cette planète : ça se met à griller, à inonder, à sentir mauvais un peu partout et surtout de plus en plus fréquemment, et ça saute aux yeux à en pleurer de rage sauf, hélas, à ceux de bien des dirigeants politiques et responsables économiques, à supposer qu'ils leur soient encore de quelque utilité pour leurs visions de près et surtout de loin !
Comment, par exemple, oser fermer les yeux devant le tragique spectacle de la fonte des glaces des pôles qui dérègle la circulation des courants océaniques, et aussi devant celui de la disparition des glaciers de montagnes si précieux pour l’alimentation en eau potable, ou encore face à cette préoccupante transformation du « permafrost », ces sols gelés qui recouvrent le quart de l’hémisphère Nord en Sibérie, en Alaska ou au Canada et dont le dégel va libérer progressivement des milliards et milliards de tonnes de dioxyde de carbone, mais aussi toutes sortes de bactéries et virus connus ou inconnus qui s’y trouvent piégés depuis des dizaines de milliers d’années ? Peut-on rester les bras croisés devant ces menaces qui constituent de redoutables bombes à retardement rendant d’ici peu inenvisageables et vaines toutes luttes sérieuses contre le réchauffement climatique et contre de futures catastrophes sanitaires autrement plus dramatiques que celle du Covid que le monde a tant de mal à maitriser ?
Et comment ne pas s’inquiéter du sort des autres ressources si précieuses qu'elle nous offre, cette planète, pour que nous puissions nous alimenter, nous soigner, nous réchauffer, nous déplacer ou encore communiquer, ressources qui se tarissent et se mettent à disparaître, pillées ou empoisonnées par les soins de quelques puissants industriels et autres financiers sans âme et sans scrupules, prédateurs de la nature et destructeurs de l’environnement façonné par l’homme, mais encouragés - soyons honnêtes - par nos égoïsmes individuels, notre attirance à vivre dans le déni, notre soif consumériste et notre coupable naïveté face aux gadgets et aux tentations publicitaires !
Ah cette frénésie de consommation au-delà du raisonnable qui fait perdre aux êtres humains tout discernement mais qui permet, c'est vrai, de produire de la croissance économique et donc du travail et de l'argent, toujours plus d'argent ... pour consommer, consommer et consommer encore, et par là-même, sans y prêter la moindre attention, pour raréfier dangereusement ce qui reste des richesses utiles offertes par la nature, pour anéantir sa biodiversité, mais aussi pour accumuler des quantités monstrueuses de saletés que le ciel, les terres, leurs sous-sols, les océans, les mers et les rivières de notre planète, de plus en plus souillés et de plus en plus menacés d'asphyxie, peuvent de moins en moins absorber et encore moins transformer ! Et dire que nos cervelles indifférentes et nos corps contaminés se délectent de tout ça !
Enfin, pourquoi ne pas avoir l’honnêteté d’admettre que sur une planète où la nature s’efforce de retrouver ses droits excessivement bafoués par nos passions gloutonnes, dans un monde habité où l’eau utile et l'énergie à bas coût se font de plus en plus rares et où les inégalités sociales, désormais vertigineuses, se creusent un peu partout et en particulier dans les pays les plus pauvres, les flux migratoires ne peuvent qu’exploser ?
Les gens qui migrent sont dans une telle détresse qu’ils n’ont d’autre choix que celui de fuir leurs pays, ces pays pauvres, surpeuplés, éventrés par nos soins pour assouvir notre soif de consommer, pillés à l'excès ou encore détruits par nos divagations géopolitiques et nos encouragements à la corruption d'encore trop nombreuses élites politiques qui sévissent dans leurs pays, ces pays qui sont les premières victimes des mutations climatiques et de leurs effets dramatiques sur leur environnement et la biodiversité de leurs territoires ? Et c’est un phénomène normal, c’est humain, car émigrer n’est rien d’autre que se sauver pour trouver un territoire habitable où l’on peut s’abriter, se nourrir, travailler et donc survivre, un territoire de préférence proche de sa patrie, ou beaucoup plus loin s’il le faut[1]. Quand on doit fuir l’enfer, on ne cherche pas forcément une place au paradis : dans un premier temps, un coin de purgatoire suffit.
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La question du désastre écologique qui s’annonce est un sujet que beaucoup trop de responsables politiques peinent à évoquer, ou très timidement, ou alors avec les précautions qui conviennent pour ne pas froisser la puissance financière et industrielle qui veille discrètement, mais efficacement, à ce que le pouvoir politique ne dépasse pas des limites pour elle infranchissables, à savoir celles de ne plus pouvoir continuer de « faire sereinement des affaires » et assurer la pérennité du ruissellement de leurs précieux dividendes. En fait, ils ont peur et choisissent l’alimenter le déni !
Ainsi, la façon dont Emmanuel Macron a traité les travaux et conclusions de la Convention citoyenne pour le climat dont il avait d’abord promis, la main sur le cœur, de retenir la quasi-totalité des recommandations jusqu’à s’engager à en soumettre certaines d’entre elles à un référendum puis, faisant rapidement volte-face, décidé d’en jeter l’essentiel au rebut, révèle le peu d’intérêt, voire le mépris qu’il porte à cette question. Une fois de plus, il n’a pas tenu parole. Une fois de plus, il a trompé les français.
Son action pusillanime sur ces questions, celle de son gouvernement, de sa majorité parlementaire et de son entourage bien trop proche des intérêts de ces puissantes industries ou corporations indifférentes au devenir de la planète, prouvent de toute façon à quel point il n’y a plus rien, mais plus rien à attendre de ce côté-là. Ce côté est en effet celui où se blottissent tous ces esprits irresponsables, mystificateurs, enfermés dans l’immédiat et devenus incapables de penser le temps long, un coin vaguement ripoliné de quelques éclaboussures verdâtres destinées à leur permettre de se donner bonne conscience car, figurez-vous, ils prétendent tous avoir, désormais, la « fibre écologique » ! Ils sont tous verts, car c’est la couleur politique à la mode, mais sont loin d’imaginer qu’un jour proche ils pourraient être verts de peur face à tous ceux, verts de rage, qui n’ont cessé en vain de les alerter depuis des décennies.
Et c’est pourquoi, dans le cadre de la campagne présidentielle, cette histoire de planète qui va mal intéresse à peine la plupart de nos dirigeants politiques et des candidats à l’élection hormis, parmi ceux qui présentent une capacité réaliste de gouverner, pour Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot qui ont placé la question écologique et de l’urgence climatique au cœur de leurs projets politiques, et non en marge.
En revanche, l’important pour celles et ceux qui y sont quasi insensibles, notamment du côté de l’extrême droite et de la droite de l’échiquier politique, c’est de gagner leur élection ou, s’agissant d’Emmanuel Macron, sa réélection, mais uniquement dans le but à atteindre à tout prix de garder l’entière maitrise de la croissance, ou plutôt de leur conception de la croissance économique telle qu’elle est solidement ancrée dans le modèle néo-libéral qui leur est si cher, et veiller ainsi à ce que les affaires prospèrent de sorte que les affairistes puissent continuer de s’enrichir !
C’est cette approche néo-libérale qui a ainsi produit les résultats calamiteux des négociations qui se sont achevées à Glasgow à l’occasion de la COP 26 et qui révèlent une nouvelle fois la puissance et l’efficacité du lobbying de ces affairistes agissant en sous-main pour préserver, avant toute chose, les intérêts de la finance et de l’industrie polluante.
En réalité, « l’accord » issu de cette conférence internationale contient en filigrane les termes d’une proposition de faire-part de décès. L’on comprend mieux alors pourquoi son président, le ministre britannique Alok Sharma, a versé des larmes et exprimé ses regrets en présentant le rapport final des « travaux » de cette COP réalisés sous le regard sourcilleux de lobbyistes de tout poil, comme s’il voulait transmettre le triste message suivant : vous, dirigeants du monde, vous n’avez toujours rien compris, et maintenant, c’est presque foutu !
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Pourtant, il n’y a pas de mystère. L’on ne sortira pas de cette situation sans changer radicalement notre façon de penser les comportements économiques.
Il faut donc agir sans perdre de temps et accepter l’idée, même si c’est la « mort dans l’âme », de privilégier dans nos vies quotidiennes l’utile au futile. L’urgence est par conséquent de mettre sur la table toutes les perspectives politiques et économiques envisageables qui en découlent, hormis celle de ne laisser le pouvoir exclusif de tenir les rênes de l’économie réelle qu’aux seuls marchés financiers ainsi qu’aux promoteurs du tout numérique[2], une conception de la vie sociale à terme catastrophique pour la biodiversité et la santé humaine[3] : parce qu’il faudra bien un jour choisir une solution qui soit appropriée à l’enjeu prioritaire qui ait encore un sens, celui de sauver sur la planète ce qui peut encore l’être.
Il est dès lors impérieux de changer rapidement de paradigme et concentrer l’effort politique à la mise en œuvre des mesures et des moyens permettant d’emprunter rapidement une autre voie, en reconnaissant que la surconsommation en général et numérique en particulier sont catastrophiques pour la planète comme pour l’humanité. Ce sont d’ailleurs deux forces motrices économiques étroitement liées entre elles, l’une alimentant l’autre et réciproquement : l’industrie numérique ne serait pas viable et donc si prospère sans les ressources générées par la publicité des produits futiles qui encombrent nos vies, et l’attirance des consommateurs pour ces produits-là serait bien moindre, sinon insignifiante à l’échelle de la planète, sans la puissance de feu des outils numériques et des « services » qui s’y attachent, tels la captation et le suivi des profils d’acheteur sur internet ou sur les réseaux sociaux.
Comme l’a fort justement écrit Edgar Morin[4], il faut alors avoir le courage d’abandonner la pensée binaire et ne plus dire « ou bien croissance ou bien décroissance », mais « croissance et décroissance », c’est-à-dire concevoir ce qui doit croître et, en même temps, ce qui doit décroître. Et il précise que « ce qui doit croître, c’est une économie écologisée, une économie de la santé, une économie du bien public, une économie de la solidarité, une nouvelle éducation », alors que « ce qui doit décroître, ce n’est pas seulement une économie de guerre, c’est une économie de la frivolité, de l’inutilité » : voilà un principe qui devrait désormais constituer le fondement de base de l’action politique. On n’a plus d’autres choix que celui de consommer autrement, mais aussi d’accepter l’idée qu’il faut réparer plutôt que jeter.
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Alors que dire de plus aux optimistes béats, ces je-m’en-foutistes atteints d’une myopie incurable qui se complaisent à vivre dans le déni et qui invitent, par leur silence coupable, à fermer les yeux devant l’impitoyable réalité des faits pour continuer de vivre au jour le jour, avec son temps, s'enrichir au plus vite pour « profiter de la vie », et « après moi le déluge » ?
Déjà, aux plus riches d'entre eux, ceux qui façonnent les réalités du monde qu’ils s’acharnent à engraisser de futilités jusqu’à plus soif, qu’ils se rappellent quand même que sur notre planète, où ruisselle l’argent et les paillettes qui les fascinent tant, les vivants n'en finissent pas de mourir et les morts n'y renaissent pas ! Alors, pourquoi s’obstinent-ils à ne prendre plaisir qu’à accumuler sans partage cet argent qui ne leur sera plus d'aucune utilité à quelques mètres sous terre ?
Ensuite, aux citoyens qui ont la lourde responsabilité d’élire leurs futurs dirigeants, je les supplie de bien réfléchir et de choisir un projet politique où la question écologique est considérée comme centrale, est traitée en profondeur et où les choix économiques et sociaux proposés découlent des réponses qui y sont apportées.
Et enfin, à tous les je-m’en-foutistes, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, je leur pose une question simple mais essentielle : aimez-vous vraiment vos enfants ?
Car eux, ces enfants, dans dix à trente ans au plus, n'auront-ils pas raison de vous reprocher vos choix et certaines de vos folies d'aujourd'hui, ne seront-ils pas en droit de réprouver le comportement que vous avez eu, de condamner votre lâcheté et peut-être même de ne plus vous aimer, voire de se mettre à vous détester ? Il ne s'agit pas de vous projeter dans votre propre avenir, puisque cela vous laisse indifférent, mais d'imaginer celui de ces enfants, les vôtres et ceux des autres.
Comprenez quand même que si l'état de la planète devait tourner au plus mal - et c'est bien parti -, ce sont ces jeunes qui devront consacrer ce qui restera de leur vie à se débattre pour émerger de ce déluge que vous allez leur laisser cyniquement en héritage.
Eh bien, faites un effort pour réaliser que vous qui serez - si vous n'êtes pas encore passés de vie à trépas - des vétérans habités de remords ou des vieillards hagards sans plus de repères, vous finirez vos jours à gémir et à vous plaindre que ces mêmes jeunes ne vous tendent plus de bouées de sauvetage, sans même vous rendre compte qu'ils n'en auront ni les moyens, ni la force ni peut-être plus l'envie !
Notes complémentaires :
[1] Il y a comme ça des réalités que les chantres des airs de haine contre l’étranger n’aiment pas reconnaître comme, par exemple, cette évidence que « dans le monde où nous vivons, il est possible de tenter de contrôler l'immigration (bien que sans grand succès), mais la migration, elle, est destinée à suivre son propre cours, quoique nous fassions » (Zygmunt Bauman et autres, « L’âge de la régression », Premier Parallèle, 2017).
[2] Entendons-nous bien : porter un regard critique sur le tout numérique n’est pas, évidemment, jeter au rebut tout le numérique. Ainsi, bien des innovations technologiques apparues ces dernières années, notamment internet qu’il faut distinguer des réseaux sociaux, constituent certainement des outils d’une utilité incontestable dans des domaines nombreux et variés, comme par exemple celui des soins médicaux, de la recherche, de la maitrise de l’énergie, de la sécurité des systèmes mécaniques, ou encore de l’information sérieuse ou de la documentation culturelle. En revanche, tel n’est pas le cas lorsque l’outil numérique se mute en un système destiné à déshumaniser les liens sociaux, à surveiller et punir, à corrompre, à vendre n’importe quoi en gavant les gens de futilités, celles qui contribuent à empoisonner notre planète et altérer les relations humaines.
[3] S’agissant des effets des champs électromagnétiques sur l’environnement et la santé humaine (antennes-relais, smartphones, data-centers etc …), le principe entretenu par les pouvoirs publics et les opérateurs est celui de la loi du silence ou, au mieux, celui de ne faire état que de « l’absence de preuves » de nocivité balbutiée par certains « experts » souvent choisis pour leur complaisance. Pourtant, on n’entend jamais critiquer sérieusement cette résolution du Conseil de l’Europe, adoptée le 27 mai 2011 par ses 47 membres, portant sur « Le danger potentiel des champs électromagnétiques et leur effet sur l’environnement », qui souligne qu’ « Attendre d’avoir des preuves scientifiques et cliniques solides avant d’intervenir pour prévenir des risques bien connus peut entraîner des coûts sanitaires et économiques très élevés, comme dans les cas de l’amiante, de l’essence au plomb et du tabac » en insistant sur « l’importance cruciale de l’indépendance et de la crédibilité des expertises scientifiques pour obtenir une évaluation transparente et objective des effets nocifs potentiels sur l’environnement et la santé humaine ». Et puis, qui a plus intérêt que d’autres à s’appuyer sur des études sérieuses et indépendantes ? N’est-ce pas celui qui a normalement vocation à indemniser les victimes ? Or, s’agissant de l’exposition aux champs électromagnétiques, les compagnies de réassurances (la Lloyd’s en premier lieu) et, par voie de conséquence, les assureurs (par exemple AXA) ont décidé de ne plus garantir les risques provenant de l’exposition aux champs électromagnétiques, au même titre que l’exposition au plomb, aux pesticides ou à l’amiante. Ce choix, bien évidemment, n’a pas été fait sans raison et repose certainement sur des études qui ne mènent peut-être pas à des résultats aussi rassurants que ceux dont se prévalent, en France comme ailleurs, les opérateurs, les pouvoirs publics et les médias qui les relayent ! La Convention citoyenne a eu la sagesse de demander un moratoire sur le développement de la 5G, une demande jetée aux oubliettes par Emmanuel Macron !
[4] Edgar Morin, « Penser global », Robert Laffont, 2015