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Billet de blog 11 décembre 2024

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Secret Défonce

La lutte contre le narco-trafic est une priorité nationale, cherchons donc un Gouvernement pour l'incarner... Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence

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Illustration 1
Souvenir d'une belle soirée d'Eté

Une belle soirée de juin dans les années soixante-dix, dans la luxueuse propriété d’un ami avionneur, “le Grand”, ex-Premier Ministre et futur candidat à la magistrature suprême, se retrouvait dans une situation pour le moins délicate. Alors qu’il célèbre à retardement la conclusion d’un contrat juteux de vente d’armes à l’Arabie Saoudite, une douleur soudaine le prend au ventre.

Pris par la courante, les toilettes déjà pris d'assaut, il n’eut d’autre choix que de se réfugier derrière des buissons élégamment agencés autour de la piscine, baissant son pantalon dans une scène tragi-comique qui aurait pu faire rire s’il n’était pas si préoccupé par les rétro-commissions qui alimentaient les caisses de son parti.

La soirée battait son plein, rempli de personnalités du show-business, d’hommes d’affaires et de politiciens corrompus, tous plongés dans une ambiance festive où la coke amplifiait les échanges deshinibés. Triés sur le volet, ce petit monde cultivait déjà un « entre-soi rapproché » discret dans les alcôves d’un club libertin renommé de l’ouest parisien.

Les rires et les éclats de voix résonnaient, mais pour le Grand, la fête se transforma en cauchemar. Son fournisseur de cocaïne, organisateur d'”afters” versaillais saupoudrés, vexé par une indélicatesse, avait décidé de couper la drogue avec un laxatif. Mais pourquoi donc ?

En apprenant que ses paiements par chèque en blanc transmis par son chauffeur avaient été encaissés sans précaution au nom du trafiquant, le Grand, pris de panique, décida de faire opposition, déclenchant une série d’événements chaotiques :

Les belles d’un soir, vêtues de robes de haute couture, se vautraient dans une panique nauséabonde, leurs intestins dérangés par la drogue altérée. Les artistes du show-biz, les hommes d’affaires et les politiciens corrompus, tous se retrouvaient piégés dans une spirale de désespoir, à l’image d’une République aux fondements vermoulus s’effondrant sur elle-même. Le Grand, en proie à une colère noire, se frayait un chemin à travers "le bruit et les odeurs" de la foule, cherchant à comprendre comment il avait pu en arriver là…

Pendant ce temps, dans l’ombre de son bureau enfumé de volutes bleutées, Colbert, ministre discret à la probité reconnue et attaché au service du public songeait à ses propres déboires. Témoin éloigné des “affaires” néanmoins bien informé, il accumulait consciencieusement des dossiers compromettants dans son coffre ministériel. 
Un de plus sur la pile donc…

Bien qu’animé par des intentions nobles, il était conscient des dérives mafieuses qui gangrenaient le pouvoir. Les informations qu’il avait recueillies sur les rétro-commissions, les enrichissements personnels et autres malversations au sein des gouvernements auxquels il avait participé, le hantaient. Colbert savait qu’il devait agir, mais il était également conscient des dangers qui l’entouraient. Il attendait son heure, ses dossiers constituant son assurance-vie sur son chemin patient parsemés de "petits cailloux", pensait-il.

Mais le Grand, furieux de voir Colbert en position de force dans le gouvernement de son rival qu'il avait pourtant réussi à faire élire à la faveur d'une trahison dans son propre camp dont il avait le secret, cherchait un plan pour le faire taire. Il savait que Colbert était un homme intègre, mais il était forcément vulnérable. Il lui fallait trouver la faille et nuire à sa réputation avant qu'il ne s'approche trop du pouvoir.

C’est alors qu’Hector Tournante, promoteur véreux, bétonneur de la côte d'azur et de stations de ski, entra en scène. Profitant de l’amitié d’enfance de leurs épouses, il tissa sa toile, se rapprocha de Colbert et lui fit acheter un terrain pour y édifier la résidence secondaire rêvée de sa femme du côté de Ramatuelle. Problème : ce terrain avait déjà été vendu par Tournante à des promoteurs normands, et l’acte authentique non enregistré par un notaire plus que lacunaire. Hector, paré dans son sentiment d’impunité affiché par la rosette fièrement portée au revers de sa veste, n’en avait cure. L’homme de réseaux à l’entregent soigneusement cultivé connaissait les arcanes du pouvoir, l’écume qu’on sert aux citoyens ordinaires aux journaux télévisés et la profondeur réelle des “conversations d’adultes” réservées aux initiés.  Avec son ami fidèle Choccart, Troybises et Pastaga, surnommé par le milieu le “Fernandel de l’anisette”, il savait comment manipuler les situations à son avantage, et avait plus d'un tour dans son "sac".

Il menaça donc Colbert de révéler leurs échanges épistolaires auprès du juge d'instruction en charge de son dossier, le mouillant systématiquement s’il ne lui accordait pas les permis de construire nécessaires au blanchiment du trafic de son associé suisse allemand, et s’il ne l’aidait pas à sortir du mauvais pas d ‘une enquête diligentée contre lui.

Colbert, comprenant d’où venait l’intrigue et réalisant qu’il était piégé, menaça imprudemment publiquement de riposter lors d’une émission radiodiffusée : 
« j’ai été exemplaire et peut-être plus encore que vous ne pouvez l’imaginer, car il y a des choses que je ne peux pas dire ici… »

A ces mots pris de panique le réseau du Grand tout comme celui de son rival en responsabilité, tous deux soutenus par l’État profond et autres corrompus des infiltrés de Troybises, ne tardèrent pas à se mettre en branle. Il fallait mettre hors d'état de nuire Colbert, le "neutraliser". Suite à un acte de violence calculé qui  « malencontreusement » dérapa, Colbert fut retrouvé battu à mort déposé dans un étang peu profond, où seul un canard enchaîné par le fond pouvait à la rigueur s'y noyer... Les médias, sous l’influence du réseau du Grand aidé d’un Procureur général barbouze, relayèrent la version officielle d'un suicide, tandis que les murmures de la vérité commençaient à se faire entendre dans les couloirs du pouvoir.

Le souvenir de la soirée de l’avionneur, qui avait commencé dans l’euphorie, se transforma donc en un tableau de désespoir et de trahison. Le Grand, bien que "soulagé" d’avoir éliminé une menace, savait que le prix à payer pour son ascension au pouvoir était lourd si ce n''est "abracadabrantesque". Ainsi dans les coulisses de la République, les secrets et les “défonces” récréatives se mêlent, tissant une toile d’intrigues où chacun est à la fois prédateur et proie.

Quelques années plus tard alors que le pouvoir changea de camp, la famille entière d’un inspecteur de Police fut massacrée lors d’une nuit de tuerie provençale qui défraya la chronique… au point de dissoudre le service d'ordre du Grand devenu encombrant. Troybises un moment inquiété songea nostalgique au intérêts post-coloniaux de la France, à l'Algérie Française, la lutte contre l'OAS et à son époque révolue.

Les jours passèrent, et le Grand continua à naviguer dans ce monde de corruption, appuyé par ses fidèles Choccart, Troybises et Pastaga qui s’occupèrent du financement occulte du parti. Pour le reste, « Business as usual », seuls les bénéficiaires des comptes à numéro ont changé à la faveur du résultat des élections et de leurs alternances...

Bientôt cinquante années plus tard, beaucoup des témoins de la soirée fatidique ont disparu de mort naturelle, tranquillement en exil sud américain ou plus ou moins mystérieusement. Et les journalistes, curieux de la vérité, se heurtent aujourd'hui encore plus que jamais à l’immuable « secret défonce » alors que la lutte contre le narco-trafic est devenue "priorité nationale". La belle affaire !

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