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Billet de blog 28 octobre 2024

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Ben Barka & Boulin : la malédiction du 29 Octobre

Le 29 octobre est une date marquée par deux affaires d'État non résolues en France : l'enlèvement de Mehdi Ben Barka en 1965 et la mort de Robert Boulin en 1979. Ces événements, bien que distincts, partagent des similitudes troublantes, notamment l'implication de l'État et le manque de transparence.

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Du lundi 28 au mercredi 30 octobre 2024, une rencontre diplomatique d'envergure se profile entre la France et le Maroc. Le président Emmanuel Macron se rendra en visite d'État auprès du roi Mohammed VI, marquant un moment important dans les relations franco-marocaines. 

Dans ce contexte, une voix s'élève pour rappeler un chapitre douloureux de l'histoire commune des deux pays. Bachir Ben Barka, fils aîné de Mehdi Ben Barka, figure emblématique de l'opposition marocaine disparue en 1965 à Paris, a saisi cette occasion pour adresser une requête solennelle aux deux chefs d'État.

Illustration 1
Boulevard St Germain - Plaque à la mémoire de Mehdi Ben Barka


L’appel de Bachir Ben Barka.

Dans une lettre ouverte, Bachir Ben Barka exhorte le président français et le monarque marocain à prendre des mesures concrètes pour faire la lumière sur la disparition de son père, survenue il ya près de 60 ans. Ses demandes sont précises et visent à lever les obstacles qui ont jusqu'à présent entravé l'enquête :

  1. En France : Il sollicite la levée du secret-défense sur les documents relatifs à l'affaire Ben Barka.
  2. Au Maroc : Il demande l'exécution des Commissions rogatoires internationales, qui permettront d'avancer dans l'enquête sur le territoire marocain.

Cette démarche s'inscrit dans une quête de vérité et de justice qui perdure depuis des décennies, et souligne l'importance persistante de cette affaire dans les relations franco-marocaines. La visite d'État d'Emmanuel Macron au Maroc pourrait ainsi être l'occasion d'aborder ce sujet sensible et de réellement ouvrir la voie à de nouvelles avancées dans cette enquête historique.

Mehdi Ben Barka, la trahison qui lui a coûté la vie © Le Monde Afrique


L’appel des journalistes acquis à la cause de Fabienne Boulin Burgeat.


Il y a cinq ans jour pour jour, le 29 octobre 2019, 14 journalistes ayant enquêté sur la mort de Robert Boulin ont adressé une lettre ouverte au président Emmanuel Macron, demandant la déclassification des archives des services de renseignement français et américains concernant cette affaire.

Cette démarche visait à faire la lumière sur les circonstances troubles du décès de l'ancien ministre du Travail, retrouvé mort le 30 octobre 1979 dans l'étang Rompu en forêt de Rambouillet. Initialement classée comme un suicide, l'affaire a été rouverte en 2015 pour « enlèvement » et « assassinat » suite aux nombreuses incohérences relevées. Les journalistes signataires, dont Benoît Collombat de Radio France, dénonçaient les "mystifications" et les "graves lacunes" de l'enquête initiale. Ils affirmaient qu'il s'agissait de "la liquidation d'un ministre en exercice, grossièrement maquillée en suicide". Un élément clé de leur demande concernait un dossier détenu par la CIA sur la mort de Robert Boulin. L'agence américaine a confirmé l'existence de ce dossier mais refusait sa déclassification, invoquant de possibles répercussions sur les relations franco-américaines.

Les journalistes appelaient donc le président Macron à intervenir pour obtenir l'accès à ces documents, ainsi qu'à ceux des services de renseignement français de l'époque. Ils estimaient que la résolution de cette affaire, qualifiée de "boîte noire de la Ve République" par Collombat, etait cruciale pour la démocratie française. Cette initiative soulignait l'importance persistante de l'affaire Boulin. Aujourd’hui, 45 ans après les faits un récent témoignage précis, vérifié, a permis l'identification d'un truand membre du S.A.C au service de commanditaires identifiés qui ne fait que confirmer l'évident grossier maquillage en suicide d'un crime d'Etat. Fabienne Boulin Burgeat dans un énième déplacement au Tribunal de Versailles ce 29 Octobre 2024 demandera à la juge d'instruction en charge du dossier Boulin, "ce qu'elle compte faire" à la lumière de ces avancées récentes…

Abracadabrantesque © Pierre de Frebourg

59 ans et 45 ans plus tard, ces deux affaires partagent aussi d'autres similitudes troublantes :
Même date donc, mais aussi même procédé, enlèvement puis assassinat pour des motifs politiques, implication des institutions, des services secrets mêlés à des hommes de corde et de « sac »  recrutés expressément pour éxécuter les basses oeuvres. Les affaires Ben Barka et Boulin illustrent dans leur troublante gémellité fortuite également comment le recours au secret-défense et les manœuvres politiques peuvent détourner la démocratie et priver les familles et les citoyens de leur droit à la vérité. Elles montrent un déni de justice qui nuit à la confiance dans les institutions et encourage encore davantage l’abstention. Le tout jeune député de Savoie Barnier en 1979 devenu Premier Ministre aujourd’hui se souviendra certainement des échanges solennels dans un silence de mort à l’Assemblée Nationale et de l’interpellation du Président Chaban-Delmas évoquant "l’assassinat" de son ami Boulin… 

Finalement ce 29 Octobre, avec la sédimentation de 104 années d'omerta cumulées pour ces deux affaires, le Président de la République aura tout le loisir de cocher sur son agenda pendant son voyage marocain, une date toute trouvée pour se préparer à inaugurer les chrysanthèmes… de la Démocratie.

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