Chère Marine,
Je t’ai entendue le 1er juillet sur Radio Paris (les speakers sentaient déjà le retour de l’avoine, dis-donc!), ravalant ta déception que ça n’ait pas matché avec Bruno Lemaire dont tu avais sélectionné le profil sur le « Front Républicain » (cela m’a un peu étonné parce que tout le monde connaît ses pratiques sexuelles, mais tous les goûts sont dans la nature et c'est autorisé par la loi). J’ai cru un moment que cette blessure narcissique t’avait transformée et que tu allais quitter tinder. Toi qui cherchais encore à gauche la semaine d’avant « en même temps » « pas une histoire d’amour » mais pas non plus « un coup d’un soir » (ça doit être dur d'être une femme moderne ; parfois, quand même, je suis content d'être un garçon). Ta voix avait changé, j’ai cru que tu avais compris que l’amour, ce n’est pas « ça ». Tu parlais des gens, les vrais, pas les avatars sur tinder, avec de vrais mots. J’ai cru que la petite fille d'Henin-Baumont qui est en toi, Marine, toute fille de médecins que tu es, se réveillait. Pas celle qui a eu les moyens de s'extirper de cette poche de malheur (même si tu n'as manqué de rien), de quitter le village (même si tu ne l’as pas vraiment quitté, comme Ruffin, ce qui est un bon point pour vous) au risque de devenir une créature de salon parisien, à la merci de tous les Messieurs et Mesdames Claude de la politique et des médias – dont les étranges lucarnes m’évoquent toujours les vitrines des quartiers réservés des grandes villes d’Europe du Nord. Tu connais, peut-être, le destin des filles de la campagne qui fuient la vie du village pour la grande ville, il y en a plein dans les romans de Giono, jusqu'à ce qu'elles y reviennent, en grandes "connaisseuses des choses humaines", comme la "Saucisse" dans Un Roi sans divertissement.
« I had a dream », j’ai rêvé que tu allais te serrer dans les bras avec les autres petites filles d'Hénin-Baumont, que tu étais proche de te défroquer des oripeaux de la petite-bourgeoisie qui ne peut "exister" ("Mon cul", comme dirait Zazie) qu'en se distinguant du peuple, et quémande la pièce aux puissants en étalant ses hosties comme des M&M, vertes, roses, de toutes les couleurs de l’arc en ciel « humaniste », invitant à la Communion dans le mépris du peuple et à la génuflexion devant les idoles de la culture kitsch qui a envahi toutes nos institutions culturelles depuis 40 ans comme cache-sexe du Veau d'Or. Hélas, ça prend du temps de devenir Saucisse (j’en sais quelque chose), même si c'est ce que je te souhaite, ce que je nous souhaite.
Alors, j’ai rêvé que peut-être, que pour commencer, peut-être (je ne suis pas omniscient, je tâtonne dans l'ombre comme tout le monde depuis que les Créatures corrompues se sont employées à éteindre les Lumières et que l'ombre ordo-libérale, le fascisme et la guerre s'étendent à toutes les Comtés) tu aurais pu authentiquement « entendre les voix » plutôt que les briguer. Dire que tu t'en "battais les couilles" (comme disent les jeunes femmes populaires auxquelles j'ai donné cours à l'IESPP de Tournai) d'extorquer les suffrages, que tu voulais juste être une parmi tes pareilles, à joindre tes mains à celles des autres petites filles d’Henin Baumont, pour commencer enfin à nettoyer toute cette merde accumulée depuis si longtemps. Cela aurait été ta place, à Hénin, là où l'obscurité est venue, il y a déjà longtemps. Et ce n'est certainement pas l'autre Marine qui l'a apportée. Tu sais qui c'est, tu l'as vu faire, étant petite, puis à distance, à chacun de tes retours au village. Hélas. Te voilà à arpenter les plateaux pour aguicher l’électeur en exhibant tes charmes écologistes, féministes et anti-racistes pour le compte des seconds couteaux du Macro en chef qui prostitue tout le pays... Comme disait Bourdieu parfois de l'un ou l'autre qui l'avait déçu : "C'est dommage... Oui, c'est un peu dommage".
Alors, ce n’est pas demain que les femmes d'Henin-Baumont commenceront à te reprendre parmi elles. Tu aurais pu, pourtant, faire un pas vers elles, commencer à te ranger derrière le peuple et amplifier sa voix.
Que réclament-elles, elles qui « se contentent de si peu, qui ont si peu de colère » ? Tu vois, au premier tour de la présidentielle, l’autre Marine a fait 8 133 828 voix. Aux Européennes, le candidat gendre idéal (dis-donc, qu'il y en a des parachutés à la "Fête au village", au Bal des célibataires politiques !) a fait 7 765 936 voix, soit 367 892 voix de moins. Pas de raz de marée… Au second tour de la présidentielle, l’autre Marine a obtenu 13 288 686 voix. Cela fait 5 154 858 personnes qui n’ont pas voté pour le RN mais contre Macron. C’est tellement vrai que, deux mois plus tard, au premier tour des législatives, le RN a obtenu 4 248 537 voix. Il n’y a pas de vote d’adhésion. Et au premier tour des législatives de 2024, le RN a obtenu 9 377 297 voix. Soit 3 911 389 voix de moins que l’autre Marine au second tour de la présidentielle. Pourquoi ? Parce que si l’excédent de voix au second tour des présidentielles pour MLP représente des voix CONTRE et non pour, et bien il y a encore beaucoup d’électeurs qui trouvent qu’il y a d’autres opposants sérieux à Macron à ces législatives. Et c'est heureux. Alors, si j’ai raison, quel choix vont avoir les électeurs qui, comme tout frère humain, ont une petite fille d’Hénin-Baumont au fond du coeur, quand les autres vrais opposants à Macron vont être obligés, par toi, "Vincent, François, Paul et les autres", à se désister pour un macroniste ou un crypto macroniste (Renaissance, Horizon, LR, une partie de NFP, il y en a partout, et je ne parle pas du RN). Et bien, le même choix qu’au second tour de la présidentielle… C’est à dire pas de choix quand on a vécu dans sa chair que Macron et son monde constituent « l’ennemi principal ».
Et que vas-tu faire, The day after, si, à cause de toi et de tes comparses politichien.ne.s qui pour conjurer leur vue basse « mentent trois fois par jour », pour citer Paul Nougé, contre toute attente rationnelle, le RN obtient la majorité absolue ?
Tu vas demander au fou qui se prend pour le président de la République de s’emparer des pleins pouvoirs via l’article 16, de dissoudre le RN et d’arrêter ses députés ? C’est arrivé, il y a déjà bien longtemps, en Algérie, au lâche soulagement des « démocrates » qui donc ne l’étaient pas tant que ça, avec à la suite les années de guerre civile d’Algérie. C’est arrivé en Tunisie il y a deux ans, dans le silence absolu des « démocrates » "alter" (deux Forums Sociaux Mondiaux en Tunisie pour soutenir la si exotique « Révolution de jasmin » quand même ! Deux belles conventions d’alter-tourisme…)
Tu vas obtenir la démission du gouvernement légalement élu grâce à des mouvements de rue minoritaires mobilisés sous un symbole polysémique, c’est à dire vide de contenu, surmédiatisés ? Il me semble que Glücksman a déjà commencé à organiser son Maïdan Place de la République... (En Ukraine, on connaît la suite du Maïdan... Cela s'appelle la Guerre).
La décision que tu, vous, allez prendre aujourd’hui (même si tu l’as déjà prise) est historique. Se désister, ou pas. Se ranger dans le Front Républicain de Macron contre la volonté du peuple qui veut la chute du tyran et de son monde, ou pas. Qui ne veut pas que ses enfants servent de chair à canon pour les plus grands profits des marchands d'armes et notre malheur commun. Abolir définitivement la démocratie en participant à un Coup d’État, ou pas. Il est minuit moins une, mais pas à la montre molle de l’influenceuse Sophie Binet. A celle du « Maître des horloges » au petit pied.
Alors qu’il y a un tout autre possible, béant comme le chas d’une aiguille.
I had a dream...
Je sais...
Mais comme dit Giono : "Il habite rue du poète. J'en connais qui vont rire, parce qu'ils la connaissent, la rue du poète, à Manosque... C'est une impasse ! Mais mon homme aboutit quelque part. Il y aboutit en falaise où, quand on est au bout, si on n'a pas des ailes pour voler, on tombe. N'est-ce pas une drôle d'impasse ?"
Il faut donner au peuple la tête qu’il a réclamée (et rien d'autre à part la Dignité, comme toujours, ce peuple que tu voues à l'indignité par son vote !).
L’enjeu de ce deuxième tour doit être l’activation de l'article 68 de la Constitution dès l'Assemblée en fonction, l’épée de Damoclès de la Haute Cour pendra alors au-dessus de la tête du Roitelet, désamorçant toute future « grenade dégoupillée » (Et son « armoire en fer » est bien remplie, crois-moi).
Il faut que le pouvoir soit temporairement neutralisé. Le pouvoir de l'Assemblée : sans majorité absolue. Le pouvoir du tyran : la procédure de destitution.
Et pour cela il faut élire des Députés qui en font le Serment avant de se présenter devant les électeurs, la seule façon rationnelle de trier le bon grain de l'ivraie.
Alors le peuple, le peuple qui fait tout dans ce pays, le peuple qui sait tout faire pourra enfin travailler « sans entraves » quand tous les petits chefs au service du seigneur, qui sabotent tout le travail tout le temps, le vrai travail, le travail « au service du Seigneur » comme dit mon copain Francky, seront tenus en respect…
Alors on sera là, biens, tous ensemble (et pas cet ensemble vide), à se retrousser les manches avec nos pelles, nos seaux, nos pioches, nos marteaux et nos faucilles, à construire notre destin, pour la Paix, pour la Liberté, pour l’Égalité, pour la Fraternité.
"Pour qu'enfin cela s'arrête". Mais comme "ce n'est pas nous, ou pas tout à fait nous, qui avons intérêt à ce que cela s'arrête" (car vois-tu, les femmes d'Henin Baumont, les aides-ménagères, les aide-soignantes, ce sont les potières du Burkina, je n'ai aucun doute là-dessus), ce n'est pas à nous de "diriger" le peuple. Nous pouvons juste l'aider à briser ses chaînes, nous, les petits bourgeois, qui avons tant contribué, nous, dont c'est malheureusement le vrai métier ("petits manipulateurs de capital symbolique" disait Bourdieu qui nous a tant manqué après avoir tant essayé et a fini par tirer sa révérence en nous envoyant nous faire foutre, tous autant que nous étions), à lui faire croire qu'il était dans les fers à jamais. Mais pour cela, nous avons besoin d'être tous dans les bras pour affronter ce qui vient, nous devons être nus, dépouillés de toutes nos identités sociales de travestis transformistes pour qu'on ne puisse nous confondre avec le prochain Frégoli en chef. Soyons vraiment des hommes et des femmes dans la foule, et des hommes et des femmes qui y restent. C'est à dire pas comme Ruffin qui a défié des pouvoirs trop grands pour lui, a recueilli les paroles, a fini par se prendre pour l'incarnation du peuple lui-même et a été possédé par les vautours, comme le héros d'Un homme dans la foule d'Elia Kazan... J'espère de tout mon coeur que l'ange du film de Capra veille sur lui et que lui qui est prompt à prescrire à ses concurrents des chemins de Damas, à la sortie du désert, redeviendra, simplement, l'un d'entre-nous apportant tout son talent, tout son amour, à l'oeuvre commune, au work éternellement in progress qui fait les Hommes libres, parce que chacun et chacune est en permanence dans le cœur de tous les autres. Pour le moment, c’est Frodon qui ne peut pas jeter l’anneau - la présidence - dans les Forges de l'Orodruin, et qui sans un Gollum, s'apprête à devenir la créature de Sauron, ne pouvant plus que compter sur ses voix.
Salut à toi, petite fille d'Henin Baumont,
Le Peintre du Champ